Nuits Bota: L’audace de Charlotte

© Olivier Donnet
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Mercredi soir, la 25e édition des Nuits Botanique s’ouvrait avec leur principale tête d’affiche: Charlotte Gainsbourg, chanteuse enfin libérée.

Dès le deuxième morceau – Ring-A-Ring O’ Roses -, elle lâche son piano, et pivote pour faire face au public. Elle plie la jambe gauche, pose le talon sur le bord du tabouret. Un flash: désormais, devant nous, c’est Jane Birkin. Sur la scène du chapiteau du Botanique, c’est pourtant bien Charlotte Gainsbourg.

Elle figure au centre du dispositif: un ensemble de cadres de néons blancs, mise en scène qui lui ressemble, simple, sobre et élégante. Graphique aussi: comme des miroirs lumineux, dans lesquels Charlotte Gainsbourg se scruterait – I’m A Lie, se présente-t-elle, « à jamais réservée / à toute heure timorée ».

Nuits Bota: L'audace de Charlotte
© Olivier Donnet

Pendant longtemps, la chanteuse-actrice a semblé louvoyer autour de la musique. Un pas en avant, deux en arrière, l’approchant sans oser vraiment y plonger, écrasée sans doute par le poids de l’héritage paternel. Par timidité aussi: légitimée en tant qu’actrice, Charlotte Gainsbourg ne semblait jusqu’ici oser la chanson que si elle la maintenait dans un rôle de composition, dirigée par des « metteurs en son », certes doués, comme Beck ou Air. Avec Rest, l’un des albums marquants de 2017, elle s’est également faite accompagner par le musicien électronique Sebastian. Cette fois, pourtant, c’est bien elle qui a pris les commandes de l’entreprise. Et pour la première fois, a baissé la garde. Rongée par le deuil (sa soeur Kate, en 2013), Charlotte Gainsbourg a lâché prise. Et osé.

>> Toutes les photos du concert, par Olivier Donnet.

Cette nouvelle assurance se traduit désormais aussi sur scène, où Rest occupe d’ailleurs quasi à lui seul le propos. Bien sûr, il ne faut toujours pas s’attendre à voir l’intéressée se lancer dans un moonwalk ou tenter un stage diving. À défaut de charisme, Gainsbourg a toutefois une aura. Une voix fragile dont elle a su faire une force. Il en faut d’ailleurs pour se mettre à nu à ce point. Par exemple en ouvrant son concert avec un morceau aussi frontal que Lying With You (« Où est parti mon baiser / Quand le coffre s’est fermé »). Charlotte Gainsbourg regarde dans le miroir, y voit ses failles, et ses fantômes. Celui de son père, d’abord, mais aussi celui de sa soeur Kate. Ils sont partout. En les embrassant, plutôt qu’en tenant vainement de les repousser, Charlotte en a fait un atout, démontrant ce que l’art et la musique peuvent transcender. Avec pour conséquence un concert, qui loin d’être plombant, se révèle au contraire euphorisant.

À la fois hyper-personnelles et pudiques, les confessions de Charlotte Gainsbourg sont passées au filtre des rectangles de néons, disposés autour d’elle et de ses musiciens. Les tubes lumineux entourent le propos, l’enserrent, sans jamais le cadenasser. La chanteuse joue d’ailleurs avec. Comme la seule fois où se permet de sortir, littéralement, du… cadre, se rapprochant du public pendant une version jouissive de Deadly Valentine, tempête disco-électro-dark qui, au milieu du concert, prend des allures épiques. À l’inverse, quand elle enchaîne avec Kate, ode déchirante à sa soeur, elle se retranche au fond de la scène, debout et droite comme un « i », les mains le long du corps.

Nuits Bota: L'audace de Charlotte
© Olivier Donnet

En poursuivant avec Charlotte For Ever, elle s’écarte pour la première fois de Rest. Mais c’est pour mieux évoquer le père évidemment. En réalité, il n’est jamais très loin. Sur scène, les musiciens – Paul Prier (claviers), Bastien Doremus (machines), Louis Delorme (batterie), Gerard Black (choeur) et, à la guitare, le régional de l’étape, David Nzeyimana, alias Le Colisée (!) – ont revêtu l’uniforme: chemise en jeans, sur t-shirt blanc. Look très années 80. À moins que… oui, évidemment, le clin d’oeil à Gainsbourg/Gainsbarre himself.

C’est encore plus clair, quand, en toute fin de concert, Charlotte reprend carrément Lemon Incest. C’est l’un de deux rappels de la soirée. L’autre est une reprise du… Runaway de Kanye West. La chanteuse effacée, timide, reprenant le plus mégalo des rappeurs? On applaudit le joli pied de nez. Il a du sens (et pas seulement parce qu’il est très 2018). « I’m so gifted at finding what I don’t like the most », chante Charlotte Gainsbourg, comme un écho à I’m A Lie évoqué précédemment.

À cet égard, la chanteuse n’a certainement pas chassé tous ses démons et ses doutes. Mais elle a décidé de les assumer. De cette nouvelle assurance, elle se sert pour s’ouvrir, abaisser ses défenses, et transformer ses tourments en oeuvre d’art. Dans la foulée, elle en profite pour embrasser enfin complètement un héritage et une mythologie familiale qui ont pu être pesants. Elle les met en scène, joue avec. Quelque part, c’est le plus bel hommage qu’elle pouvait rendre à son père…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content