Laurent Raphaël

L’édito: Révolution des genres, à corps et à cris

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« C’est peu dire que cette nouvelle révolution bouscule les repères traditionnels. D’autant que cette vague trans et inclusive s’inscrit dans une remise en question plus large du modèle patriarcal. »

Même si vous n’en connaissez pas dans votre entourage direct, vous les avez forcément croisé·e·s dans une série (Transparent, Mytho…), dans un film (Girl, Petite fille…), sur les planches (lors du prochain festival Guerrières à Mons par exemple, qui ne programmera que des artistes femmes ou « qui se revendiquent comme telles« ), dans un roman (Valide de Chris Bergeron, Point cardinal de Léonor de Récondo…) ou encore dans un magazine culturel (dans Focus par exemple, avec Kae Tempest la semaine dernière, avec Hubert Lenoir dans ce numéro).

Ils et elles ou iels se disent trans, non-binaires, queer voire asexuels et rebattent les cartes d’une sexualité hétéronormée régissant la loi des genres -et par extension la géographie affective et relationnelle socialement acceptée- depuis la nuit des temps. C’est peu dire que cette nouvelle révolution bouscule les repères traditionnels. D’autant que cette vague trans et inclusive s’inscrit dans une remise en question plus large du modèle patriarcal. On parle d’intersectionnalité des luttes, les transidentitaires s’appuyant notamment sur la complicité d’autres courants politiques ascendants comme l’antiracisme ou l’afro-féminisme.

Même avec un esprit bienveillant et ouvert, cette recomposition radicale est parfois déroutante pour celui ou celle qui n’a pas vécu dans sa chair l’inadéquation entre son corps et son esprit. Les schémas cisgenres ont la vie dure. Même sans être un affreux machiste, on peut être légitimement tiraillé entre d’un côté la conviction que la différence a sa place dans la société et que chacun est libre de disposer de son corps, et de l’autre la crainte de voir gommer certaines réalités biologiques au nom d’une émancipation culturelle qui irait trop vite trop loin. Une attitude défensive qui n’est pas que le fait de mâles blancs de plus de 50 ans dont le royaume serait menacé (je plaide coupable) puisqu’elle est reprise également par certaines féministes de la première heure. L’historienne et psychanalyste élisabeth Roudinesco s’inquiétait ainsi d’une « épidémie de trans« , redoutant un effet de mode, notamment pour les plus jeunes qui confondraient troubles identitaires propres à l’adolescence et inadéquation entre le genre « assigné » à la naissance et un moi subjectif impérieux, avec le risque de transitions d’un sexe à l’autre sans retour possible. Une crainte balayée par les nouveaux théoriciens et porte-drapeaux transgenres comme Emmanuel Beaubatie ou le très charismatique Paul B. Preciado, qui n’y voient que l’expression lancinante d’une méfiance historique illustrée par la psychiatrisation des parcours trans et qui a pour effet de reléguer toute identité sexuelle atypique à la marge, à l’anormalité, voire à la monstruosité.

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L’art étant un formidable outil pédagogique, c’est par ce biais que les mentalités ont pu s’ouvrir un peu ces dernières années. Personnellement, la lecture troublante des chroniques de Paul B. Preciado dans Libé a fait germer les graines plantées en mode punk par Virginie Despentes (King Kong Théorie). Ces formidables ambassadeurs de la fluidité des genres ont semé le doute, forcé des portes psychiques verrouillées à double tour. Il ne restait plus ensuite qu’à se laisser porter par des fictions traitant avec tact, délicatesse et nuance du sujet pour ajouter de la chair à ce squelette théorique et permettre l’identification même si l’on n’est pas soi-même traversé (du moins consciemment) par ces questions. Ma vie en rose à l’époque ou plus récemment Tomboy ou la série Euphoria ont participé à ce cheminement intellectuel.

Et puis, il faut se rendre à l’évidence: que ça plaise ou non, la fluidité des genres fait désormais partie du paysage mental des jeunes comme en témoigne tous ces artistes talentueux qui jonglent avec les frontières, de Chris (Christine and the Queens) à Mykki Blanco. Cinq minutes de conversation avec ma fille de 25 ans, hétéro mais pas fermée à d’autres aventures, suffisent à me convaincre qu’il n’y a pas de trauma dans cette fluidité mais juste l’expression d’un intense désir de liberté. Ce qui pouvait encore passer pour un happening artistique à l’époque de Bowie/Ziggy Stardust est devenu la réalité d’une génération.

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