Le parlé-chanté de Dry Cleaning: « On voulait être excités, proposer quelque chose de différent »

Avec son premier album, New Long Leg, Dry Cleaning ne risque pas de parler à un mur...
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

En Angleterre, depuis quelques années, les meilleurs groupes de rock parlent plutôt qu’ils ne chantent. Dry Cleaning s’impose avec son premier album, New Long Leg, comme l’un des nouveaux fers de lance du sprechgesang. Rencontre.

C’est un fait. Une évidence même. Quasiment tout ce que le Royaume-Uni du rock a accouché de plus excitant depuis cinq ans a rangé le chant et les jolies voix au placard. De Black Midi à Squid en passant par Shame et Black Country, New Road ou encore The Cool Greenhouse, le rock anglais a le causant. Geordie Greep, Ollie Judge, Charlie Steen, Isaac Wood et Tom Greenhouse sont plus des poètes que des chanteurs. En tout cas, que ce soit sur du post-punk, de la musique dansante, bruitiste ou du jazz, ils parlent, récitent, déclament. C’est aussi l’une des particularités de Dry Cleaning et de Florence Shaw, les nouveaux protégés du label 4AD.

Né en 2017 dans le sud de Londres, Dry Cleaning s’est fait remarquer dès 2019 avec son premier single Magic of Meghan. Shaw avait quitté l’appartement de son ancien petit ami le jour où Meghan Markle et le prince Harry avaient annoncé leurs fiançailles… Tout un programme. Dry Cleaning a vu le jour après une soirée karaoké, à chanter My Chemical Romance (oups), le Virtual Insanity de Jamiroquai et le Born to Run de Bruce Springsteen. « Nick (Buxton, batteur), Lewis (Maynard, basse) et moi parlions de monter un groupe depuis quelques temps et on s’est dit ce soir-là qu’on devrait enfin organiser cette jam qu’on évoquait depuis des mois, résume le guitariste Tom Dowse, avenant derrière ses allures d’homme des bois. Au départ, on voulait partir sur un truc simple et amusant à écouter. Mais sans trop savoir où ça nous mènerait. »

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Artiste et illustratrice, Florence Shaw a rejoint les rangs un peu plus tard. Elle a étudié comme Tom au Royal College of Art et a pas mal bossé dans l’enseignement, la formation et l’accompagnement d’étudiants tout en menant parallèlement ses activités de créatrice. « À un niveau purement pratique, le parlé-chanté m’est tout de suite apparu comme quelque chose d’accessible. Je n’avais pas d’expérience musicale quand on a commencé. Donc, parler, c’était un moyen de créer un pont, d’apporter tout de suite ma contribution. Je pouvais le faire immédiatement sans interrompre le cours des choses en apprenant pendant des mois à chanter. En plus, je ne suis pas intimidée quand je dois parler en public. Certains ont vraiment du mal, sont terrifiés à l’idée de devoir s’exprimer devant des gens. Je n’ai jamais ressenti tout ça. »

Style vocal d’expression musicale oscillant entre le parlé et le chanté, le sprechgesang a été mis au point au début du siècle dernier par Arnold Schönberg avec son Pierrot lunaire (1912), composition construite sur la traduction allemande des poèmes du Belge Albert Giraud. L’alternance entre parlé et chanté est ancienne à l’opéra mais le sprechgesang a alors ceci de moderne qu’il fusionne les deux, s’inscrivant déjà à l’époque dans un souci de démocratisation du chant.

S’il est caractéristique d’une période dans l’Histoire du rock, c’est celle du punk et plus encore du post-punk. Des Sex Pistols et de The Fall. De John Lydon et de Mark E. Smith. Fin des années 70, début des années 80, le sprechgesang devient un moyen d’expression privilégié qui rompt avec le rock traditionnel, apostrophe l’auditeur, se prête à l’expression du dégoût et du sarcasme. Il colle assez bien au jeu souvent rudimentaire des musiciens qui vont avec. Une manière de souligner que tout n’est pas question de virtuosité et de perfection. Même si la pratique n’est pas nécessairement indulgente. « Quand tu n’incarnes pas vraiment les mots, c’est rapidement détectable. De la même manière que chanter faux« , remarque Shaw.

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« On ne cherchait rien de très clair et tangible vocalement parlant, reprend Dowse. Quand tu as un groupe depuis longtemps, tu commences à comprendre la dynamique, les combinaisons, les énergies et tu développes une espèce d’instinct pour deviner les gens avec qui tu peux faire de la musique. On s’est demandé ce qui marcherait avec notre univers sonore. On voulait être excités, proposer quelque chose de différent. Je pense que la musique à guitares est devenue trop souvent banale. Elle suggère tout ce que tu dois ressentir. Je regardais des groupes de rock anglais sur YouTube l’autre jour. C’est comme s’ils avaient un séquenceur d’émotions. Flo, elle, est toujours en train d’explorer. Ça reflète un peu ce qu’on a pu entendre dans le hip-hop et dans le grime. »

Briser les règles

Ces gens-là de Jacques Brel, L’Homme à tête de chou de Gainsbourg, le New York de Lou Reed, le Loser de Beck. Même Bob Dylan, son chant approximatif et son timbre nasillard… Le sprechgesang est un peu partout. Mais a fortiori aujourd’hui, à une époque où les goûts et les styles prennent un malin plaisir à se mélanger, il serait saugrenu d’imaginer que le rap n’est pour rien dans sa résurgence. Florence remonte plus loin, se souvient de son enfance. Quand elle trifouillait dans l’imposante collection de disques de ses parents avec pour seule consigne de ne pas mettre ses doigts partout. « Ma mère écoutait très souvent The Last Poets, Gil Scott-Heron… C’était vraiment son truc. Ça résonnait souvent dans la maison. On avait The Velvet Underground en vinyle. Beaucoup de Talking Heads. Ils avaient vraiment une super sélection. Ce qui est marrant. Parce que, quand je suis devenue adolescente, j’ai écouté la pire musique du monde. De la merde, des trucs affreux. Pop punk, nu-métal… Je me suis rebellée contre le bon goût pendant une courte période avant de revenir sur le droit chemin (rires). Je me suis intéressée au hip-hop plus tard. Quand je suis arrivée à l’université, lorsque j’ai rencontré tous ces gens avec des goûts très différents. J’ai écouté beaucoup de Buck 65 pendant tout un temps. Du storytelling aussi, énormément. »

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Shaw voit en cette éducation musicale, ce parcours mélomane, les germes de son phrasé. « C’est à mon avis un peu tout ça. Les disques de spoken word ont suscité mon intérêt à différents moments. Même les Pet Shop Boys et des trucs du genre, j’ai toujours trouvé ça excitant. Cette manière de délivrer les choses me parlait. Ça me semblait briser les règles peut-être quelque part. C’était très direct. Et puis ça semblait être un challenge que de le faire correctement. De proposer quelque chose de sincère et pas d’embarrassant. Tant de pop music qui tournait quand j’étais gamine puis adolescente était liée au spoken word. P. Diddy, So Solid Crew… Ce serait dingue de penser que le rap n’a pas eu d’effet sur moi. Cette espèce de démocratie d’utiliser sa voix parlée en musique a accompagné toute ma vie. Ce n’était pas un truc dingue en tout cas. C’était presque normal. »

Lorsque Shaw a débarqué à sa première répétition de Dry Cleaning, elle a emmené avec elle ses propres écrits et une copie de Fears of Your Life, un livre illustré de Michael Bernard Loggins chroniquant 180 de ses petites et grandes peurs. Florence ne compte plus les siennes. « J’en ai des tonnes. C’est l’histoire de ma vie (elle se marre). » Dowse embraie: « L’attention autour du groupe et son exposition suscitent la crainte de mal faire les choses, de ne pas arriver à naviguer correctement dans l’industrie musicale. J’ai aussi peur de ce qui se passe dans notre pays pour le moment. Et un peu partout dans le monde. De où on va en tant que société. »

L’Anglaise et son compagnon d’interview se sont exprimés à travers le comics tendance arty. Sleep Torpor pour elle. God Fauna pour lui. « On a tous les deux un certain sens de l’humour. Mais c’est différent. Flo explore toujours une certaine forme d’anxiété. La bizarrerie des situations de tous les jours. Et moi, je fais la même chose mais dans une espèce de science-fiction. C’est un déclencheur pour mon imagination. » Elle avoue ne pas être une grande lectrice. « On a tendance à le penser parce que j’écris des choses. Mais je suis davantage une auditrice. Et je regarde beaucoup de films, de télé. Je peux y passer mes journées. La lecture, c’est plus compliqué. J’ai besoin de conversation. J’adore la manière qu’ont les gens de parler. C’est ce que j’aime écouter. C’est ce qui m’inspire. C’est ce qui m’excite. Je lis bien sûr, mais ça me nourrit moins. »

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Shaw a par exemple beaucoup d’admiration pour Björk. « Les paroles sont souvent la raison pour laquelle j’aime un disque ou une chanson. J’ai beaucoup écouté l’Islandaise et je l’ai toujours trouvée fabuleuse comme parolière. Je ne sais pas si les gens en parlent souvent mais je trouve ses textes géniaux. Elle utilise ces très longues phrases parfois… Je suis fan des gens qui parlent anglais et dont ce n’est pas la langue maternelle. De l’inventivité qui en découle. Pas de leurs erreurs. C’est cruel d’ailleurs d’utiliser ce terme. Mais j’aime cette espèce de perspective fraîche que tu peux avoir en utilisant une langue qui n’est pas la tienne. L’ordre et la combinaison des mots. J’adore sa manière d’écrire. C’est comme des conversations. Et elle ne laisse pas le temps limiter la longueur de ses phrases. Elle les porte avec elle. Ça ressemble à un flux de pensée. Je conseille à tout le monde de se pencher vraiment sur ses textes. »

Temps de réflexion

New Long Leg, le premier album de Dry Cleaning, qui vient de sortir chez 4AD, a été enregistré durant l’été 2020 dans la campagne galloise, aux Rockfield Studios avec le mythique John Parish (P.J. Harvey, Dominique A, Aldous Harding…). « En termes de son, c’est je pense une progression logique après nos deux premiers EP. On nous a souvent qualifiés de post-punk. Je pense que c’est dû à la voix de Flo et à ses paroles sarcastiques. Mais ça touche à plus de musique que ça, résume Dowse, qui s’est pris la musique en pleine figure avec Pavement et l’explosion rock des années 90. Avec cet album, on a eu l’opportunité d’étoffer un peu notre palette. On a essayé d’utiliser chaque chanson pour proposer quelque chose de différent. »

Shaw traite des mêmes sujets dans son art et dans ses morceaux. « Ce sont les mêmes trucs qui m’intéressent. Je suis surprise quand les gens qui utilisent différents médias comme la musique, l’art, la scène, l’écriture traitent de choses fondamentalement différentes. Ça m’est étrange quelque part. Parce que je pense que quand tu es à l’aise, tu gravites autour de tes préoccupations. »

Dire les mots plutôt que les chanter rapprocherait-il au final ceux qui les prononcent de l’acteur. « Je n’ai jamais joué la comédie. De ce que j’en ai lu, du moins pour certains, c’est plus être le vaisseau de ses propres émotions que faire semblant. C’est repenser à des choses qu’on a vécues, des choses qui sont sous la surface. Et ça, c’est ce que je fais. Je le vois comme un temps de réflexion. Un moment pour faire face à ce qui me tracasse ou à ce que je trouve troublant. C’est un carburant.« 

Dry Cleaning – « New Long Leg »

Distribué par 4AD. ****

Le parlé-chanté de Dry Cleaning:

Solide et cohérente carte de visite, New Long Leg est un album qui ne manque pas de caractère, d’intelligence et d’humour. Nettoyage à sec. Paroles à l’os. « Never talk about your ex. Never never never. » Ces chansons parlent de dentiste avec des jardins mal entretenus, de peluche de lama, de mayonnaise au fond du frigo et du rôle perturbateur du Brexit dans les relations amoureuses… Pour ceux qui ne tapent pas un clou en anglais et auraient peur de se lasser de cette voix monocorde et de ces monologues, Dry Cleaning évoque toujours quelque part le post-punk de Magazine, Wire et The Fall ou encore le Sonic Youth de Goo et a de quoi plaire aux fans de Courtney Barnett et des singles taillés pour la radio. Un groupe qui aurait figuré sur les compilations MTV Fresh il y a 20 ans.

Beaux parleurs

Sinead O’Brien

Découverte grâce à Dan Carey et son exceptionnel label à tête chercheuse Speedy Wunderground qui a définitivement un faible pour le parlé-chanté, Sinead O’Brien a commencé à écrire ce qu’elle voyait autour d’elle quand elle est partie travailler à Paris. Ces écrits sont devenus la base d’un rock déclamé, d’une poignée de singles et d’un EP sorti l’an dernier.

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Billy Nomates

« Non est la meilleure des résistances… Non, je ne tiens pas dans ta poche. Et non je ne vais pas me raser partout, je n’ai pas douze ans. » Proche des Sleaford Mods avec qui elle a partagé l’une ou l’autre chanson, la cinglante Billy Nomates est une conteuse moderne. Un côté Kate Tempest en plus rock qui aime parler autant que chanter. Son premier album a été produit par Geoff Barrow (Portishead, BEAK>).

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The Lounge Society

Son premier EP ne sortira qu’en juin (Dan Carey again) mais The Lounge Society se pose déjà comme l’une des nouvelles sensations du rock à guitares de l’autre côté de la Manche. Originaire du Yorkshire (les hameaux de Hebden Bridge et Todmorden), The Lounge Society joue dans la cour de Squid, marche sur les pas de Shame et gesticule sur les dancefloors qu’affectionne le label punk funk DFA.

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