Laurent Garnier: « Suis-je encore pertinent? »

Laurent Garnier, éternel passionné. © Arthur Garnier
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec ses 30 ans de carrière et une récente légion d’honneur, Laurent Garnier reste un éternel passionné. Portrait minute avant son passage à la Boiler Room, ce jeudi à Bruxelles.

C’était le 8 octobre dernier. À Paris, Laurent Garnier retrouvait le Rex pour y fêter ses 30 ans de carrière. À sa manière: en prenant le contrôle des platines pour un set « all night long », de minuit à 7 heures du matin. C’est ça, la méthode Garnier: ne pas se contenter de balancer quelques morceaux vite fait, mais privilégier au contraire les voyages au long cours. En se donnant assez de temps que pour varier les plaisirs et, surtout, raconter une histoire.

Celle du parrain de la scène techno française démarre en octobre 1987. Arrivé en Angleterre un an plus tôt, pour travailler comme valet de pied à l’ambassade de France, le jeune Laurent Garnier, à peine 20 ans, se retrouve à enchaîner les vinyles derrière la table de mix de la mythique Haçienda, à Manchester, sous le nom de Pedro. « J’étais mort de trouille. Je pensais que j’allais me faire jeter après cinq minutes », se souvient-il aujourd’hui. « Cela étant dit, je n’ai jamais vraiment douté que j’allais mettre un jour un pied dans ce monde-là. Depuis l’âge de dix, douze ans, j’ai toujours voulu devenir DJ. Sans imaginer évidemment où tout cela allait me mener. » En l’occurrence vers une passion qui, aujourd’hui encore, occupe ses jours et ses nuits. DJ pionnier de la house et de la techno, Laurent Garnier a sorti des dizaines de disques, cogéré un label (F-Com), obtenu la première Victoire de la musique dédiée aux musiques électroniques, créé plusieurs émissions radio, etc. Avec le livre Electrochoc, il a également publié l’un des meilleurs ouvrages sur la techno. Il est même question d’en faire un film. « Jusqu’au mois dernier, le chantier était à l’arrêt. Mais entre-temps, certaines choses se sont débloquées. Rien n’est encore fait. Mais j’ai quand même recommencé à bosser sur l’écriture du scénario… »

Généreux dans l’effort, Laurent Garnier a réussi à traverser les modes. Un véritable exploit, a fortiori dans une musique et une culture qui s’adressent à un public jeune. À 50 ans, l’intéressé continue ainsi d’attirer les fidèles. « Régulièrement, je me pose la question: suis-je encore pertinent? Je sais que, dans tous les cas, je vais rester intègre et sincère dans ce que je propose. Mais est-ce que ça va encore trouver un écho, est-ce que je vais encore réussir à saisir l’époque? » Au début de l’année, le DJ a d’ailleurs vécu un drôle de moment. Après avoir joué La jeunesse emmerde le Front national au milieu d’un set, le Garnier a reçu une série de réactions courroucées, certains n’acceptant pas que l’on glisse du politique au milieu de la piste de danse. « C’était étonnant parce que ce n’était pas la première fois que je jouais ce titre. Et puis, ce n’est pas comme si je n’avais pas eu de position très claire sur le sujet, et ça depuis toujours. Mais ça prouve que la techno, et le public qui écoute cette musique, changent. Il y a quinze ou vingt ans, jamais on aurait pu imaginer que quelqu’un qui sort en rave puisse ne serait-ce que penser à voter FN. »

Table d’hôte

Garnier reste donc accroché à ses principes. Celui qui a fait l’école hôtelière continue d’envisager la musique comme une grande table d’hôte, ouverte et généreuse. « Quand je pars pour jouer, je me retrouve souvent seul. Je ne me plains pas, mais cette solitude peut parfois devenir pesante. Par exemple quand vous vous retrouvez au resto. Manger seul est d’une tristesse… Pour moi, la table est un moment de partage. Exactement comme la musique. » C’est sans doute cette gourmandise qui caractérise le mieux Laurent Garnier. Une véritable boulimie musicale, qui ne se limite certainement pas à la house ou la techno, et qui lui permet d’écouter « 250 disques d’une traite, quitte à n’en retenir que sept au final ».

Aujourd’hui, cette passion lui a même permis d’être fait chevalier de la Légion d’honneur. Une première pour un DJ. « Cette décoration, c’est symbolique. Elle n’est pas tant adressée à moi qu’à toute la scène techno en général, à tous ces gens qui se sont battus pour elle. » À quoi ressemblait son discours, lors de la remise officielle de la plus haute décoration honorifique française? « J’ai décidé d’organiser ça, chez moi, dans le Sud de la France, en invitant uniquement des amis proches… C’est toujours difficile de dire des choses devant des gens qui vous connaissent par coeur. Donc, je me suis imposé de raconter des histoires qu’ils ne connaissaient pas, dont même ma femme n’était pas au courant. La semaine avant, je me suis enfermé dans ma pièce à disques, je me suis assis par terre, et j’ai commencé à regarder dans la pile de 45 tours… Pendant des mois, je me suis demandé pourquoi on avait choisi de me décorer moi, ce que j’avais bien pu faire pour mériter ça. Finalement, je suis retombé sur un disque de mon enfance: un morceau de Polnareff intitulé… Sous quelle étoile suis-je né? Ça m’a donné la première impulsion. Je me suis dit que j’allais raconter mon parcours via mes vieux 45 tours: qui est la première personne que j’ai fait danser, pourquoi je me suis fait appeler Pedro, etc. J’ai construit mon discours autour de ces disques. Et j’ai montré comment tous ceux qui étaient présents ce jour-là, étaient déjà tous là, dans le détail d’une pochette, au détour d’un phrase, d’une mélodie. C’était très émouvant… »

La Boiler Room, de retour à Bruxelles

On le sait bien, dans la jungle des nouveaux « concepts » qui pullulent sur le Net, seul un petit nombre arrive à survivre. À cet égard, la Boiler Room, lancée en 2010, est un véritable cas d’école. Au départ, l’idée est on ne peut plus basique: filmer et diffuser un set en direct, la caméra braquée sur le DJ. Visuellement sans grand intérêt, les vidéos fournissent néanmoins des mix inédits, « prêts à l’emploi ». Si ces émissions restent la clé de son succès, la Boiler Room a bien compris l’intérêt de compléter son offre. Et de miser de plus en plus sur la valeur ajoutée. La plate-forme lance ainsi une nouvelle série« dédiée à la techno et au street art partout en Europe », intitulée Into The Dark (en collaboration avec une fameuse marque de vodka). Pour fêter cela, elle a décidé d’organiser huit soirées dans huit villes européennes. Dont la première a lieu ce jeudi, à Bruxelles, avec Charlotte de Witte et Laurent Garnier!

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