La science des vibrations

Semaines après semaines, Focus envoie son chroniqueur Guillermo Guiz dans l’obscurité, pour passer au crible la nuit bruxelloise. Night in Night out, épisode 12.

Ca commence mardi. Happy birthday to me. Super… Avoir 29 ans un mardi à Bruxelles, ça donne envie de virer témoin de Jéhovah. D’ailleurs, décision express, j’irai planter ma mèche au Temple pour tous mes prochains anti-anniversaires, genre 32 ou 37 ans. Surtout s’ils tombent un mardi.

Concrètement, tu fais quoi un mardi, le jour le plus affligeant de tout le système solaire, quand t’as un machin festif à festifer? Déjà, t’enfiles tes moufles, parce qu’il fait toujours froid le mardi, et les rues sont mal éclairées, et t’as toujours quatre heures de math à l’école. Le mardi, même les speakerines de TVI suintent la dépression nerveuse. Bref, fuck le mardi très puissamment, surtout quand on a 29 ans, âge complètement misérable où, sournoise et triomphante, la trentaine moissonneuse-batteuse attend ta jeunesse pour la réduire en grains de mélancolie.

Toujours est-il (et mister Hyde) que nous voilà mardi soir, quelques amis fidèles et moi, avachis tout confort sur les sièges capitons de l’Ethnic, lounge bar de l’avenue Louise à l’accent grec bien appuyé. Arrivage en ploucomobile, ralentissage pour trouvage de place et hop, une délicieuse prostituée, la beauté figée par le gel, nous offre la délicatesse d’un sourire charmeur. C’est moi ou y’a de plus en plus de tapins avec les années sur l’avenue Louise? « Elle est canonissime, on pourrait l’inviter à prendre un verre, non? », suggère l’un des wannabe-Richard Gere de la troupinette. « Ca devrait être jouable. A 60 euros la vodka RedBull. Parce qu’à mon avis, le compteur tourne. » Et Piotr le mac (oh, le vilain cliché), quand le compteur tourne à vide, ça lui démange la batte de baseball.

Jadis, ma casquette de chacal nocturne professionnel m’emmenait rôder en bande le mardi soir à l’Ethnic, où s’organisaient d’hebdomadaires soirées Erasmus remplies d’Espagnoles olé olé. Olé. Depuis, manifestement, Erasme est retourné en Hollande, les jeunes frivoles d’outre-frontières s’enivrent ailleurs et l’Ethnic, le mardi, ressemble à n’importe quel autre bar de ma connaissance, excepté les trips gays, à savoir à une jolie coquille presque vide où le light-show fend le néant et où le DJ, quand il n’a pas été décommandé, part dans un ego-trip bien plus cinglant encore que cette chronique. En gros, t’es huit à tout casser dans la gargote et le garçon invite ses amis décibels dans une soirée imaginaire au Noxx. Ce qui donne, grosso modo, une chouette conversation de mardi soir interrompue par le perplexifiant Papa l’Americano, dans une version voluptueusement flandrienne poussée à fond les bouchons. Curieux. Tu ne fais pas bouger un bar comme un club.

Regarde le Zanzibar par exemple. Paye pas de mine le machin, planqué sur une place Saint-Lambert woluwéenne plus connue pour ses restos bourges que pour sa trépidante night-life. Toujours est-il (otest) que jeudi soir, après une livrée de coquilles Saint-Jacques et de chicons (parfaitement), nous voici, quelques amis fidèles et moi, au Zanzibar, boui-boui beau-gosse où le DJ n’est autre que le Mojito-maker. Le Zanzibar, ça me rappelle l’époque du Sphinx, pas celui de Gizeh, celui de la rue des Pittas. Tu vois, ce genre de bars où t’emmènes une fille à emballer, où tu reçois des pop-corns salés et fatigués avec ton Bacardi Breezer. En écoutant Ja-Rule et J-Lo. Des bars aphrodisiaques en fait, pas spécialement in dans le wind, mais suffisamment chaleureux, intimes et funkys pour jouer les rampes de lancement hormonales.

Comme ce couple tout gentil tout poli. Lui, réservé, nice mais pas transcendant. Elle, bombe latine plutôt platine (DJ), toute en timidité Charlotte Gainsbourg au moment du Zanzibar phase 1, avant le resto. Une heure et demi plus tard, Zanzibar phase 2, après les coquilles, et voilà la blondinette qui chevauche son désormais mec (plus de doute) dans une choré Showgirls à la Elizabeth Berkeley que même que je dois regarder ailleurs pour pas m’évanouir. Ahhh, le Zanzibar, j’y retournerai tiens, ça donne de l’air, ça change un peu les tanières exotiques où le DJ-barman tire sa playlist des fonds de dossiers « Muzik » sous Windows 97, avec Coolio, Lauryn Hill ou Monica en têtes de gondole.

Soirée engrenage d’ailleurs, jeudi, enchaînée notamment au K-Nal où Goose, dont l’album Bring it on (2006) était quand même bien chaud du slip, venait célébrer la sortie de sa nouvelle plaque, Synrise. Une célébration entamée par un showcase de … Mixhell, projet d’Igor Cavalera, batteur du pétaradant combo brésilien Sepultura. A charge pour le quatuor courtraisien d’assurer l’un des DJ-sets à suivre. Vers 2h, l’étage est à moitié plein selon les organisateurs, à moitié vide selon la maréchaussée et Goose se donne huit morceaux de crédit en tapant l’irrésistible Poney Part 1 de Vitalic (je sais, j’aime bien Vitalic).

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A mon impeccable confrère musical Laurent Hoebrechts, les membres du groupe avaient récemment confié qu’ils manquaient à la fois de dextérité, de culture électro et d’assurance pour s’auto-qualifier de « bons DJ’s ». De fait, si le set de Goose ne manque ni de punch ni d’intérêt, il rappelle au besoin qu’être une tête d’affiche de la scène musicale n’apprend pas automatiquement à gérer un dancefloor. Le cas-type, en ce qui me concerne, n’est autre que Tom Barman, dont je prie, à chacune de ses apparitions platineuses, pour qu’il perpétue le génie initial de dEUS au lieu de me casser les oreilles.

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Bon DJ, c’est la science des vibrations. Jouer sur les enchaînements, sur les tempos, donner du liant, s’adapter… Avant même d’étaler sa (nécessaire) culture musicale. Quand les Français de Jamaica prennent le relais de Goose avec Sabotage des Beastie Boys, je me dis: « Terrible morceau, mais un peu rêche dans le mood électro-frétillant de la soirée ». Non?

La question évoquée se posait d’autant plus, cette semaine, que l’équipe des soirées Buzz on your lips avait invité Caribou (et sa tête de comptable) et Foals à mixer samedi au Magasin 4 après leurs concerts respectifs de l’AB et du Bota. « Ils n’ont jamais fait démarrer le truc et peinaient simplement à enchaîner les morceaux correctement. La soirée n’a jamais pris », m’expliquera par la suite un collègue pointu. Caribou, pourtant, mon MP3 le joue même quand il est éteint. Fan, fan et re-fan donc. J’aurais d’ailleurs dû être au Magasin 4. J’aurais dû être au Magasin 4 si l’ensemble de la perfidie universelle ne s’était pas incarnée dans mes amis fidèles, samedi soir…

Parvis de Saint-Gilles, minuit passé. Comme à l’accoutumée, la Maison du Peuple regorge d’une faune distribuée entre hérauts de la branchitude, pochards du coin, dreadlockistes convaincus, fils caché de Monseigneur Léonard et nous. La sauce musicale est assurée par Freddy Balboa et Manu Simonis de Montevideo. Le duo assure totalement, complètement, jouissivement, enchaînant successivement des titres qui me déchaînent (Pom Pom de Matthew Dear, Tout petit la planète de Plastic Bertrand, Killer de Seal, Happy Togheter des Turtles) ou qui me rendent curieux. Dansage, rigolage et forcément un peu draguage quand la plus jolie fille du bar décide enfin de se libérer de son garde du corps. Long papotage, charmage, baratinage et mon ami, mon frère, qui s’approche consciencieusement de mon oreille pour chuchoter: « Elle est mignonne… mais c’est un trans, non? »

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Alors, forcément, tout s’emballe. Les DJ’s n’existent plus, ma raison non plus, 29 années de sagesse empilée s’évaporent dans une frénésie d’irrationalité, faut qu’on se taille de là, suis bloqué moi maintenant, faut que j’aille au Magasin 4 voir Caribou mais mes fauchés de potes ont des revendications d’entrée gratuite, faut qu’on se taille et qu’on se taille au Wood, parce que c’est branché-gratuit mais le trans, pourtant vraiment fort joli(e), s’enfuit avec nous et au Wood, quelques pas de danse sur une électro minimalo-rentre-dedans et un au-revoir de petit con, sans prendre de numéro ni de Facebook, en voleur, de peur qu’elle s’appelle Sébastien, avant la libération du lit, sans DJ mais avec une couette Ikea réconfortante. C’est aussi ça la nuit, des grands enfants un peu bidons, et ça ira mieux la semaine prochaine. Rideau.

Guillermo Guiz

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