Forza Italia: gros plan sur ce que la musique belge doit aux Italiens

Giacomo Panarisi (Romano Nervoso), Melanie De Biasio, Michaël Sacchi et Mauro Pawlowski ont l'Italie dans le sang et aussi dans la musique. © Debby Termonia
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Des jazzmen aux chanteurs de charme, du festival de Dour au Rockerill, de Melanie De Biasio à Mauro en passant par Romano Nervoso, la scène belge doit beaucoup aux Italiens. Avanti la musica…

IMPORT-EXPORT: Chaque semaine de l’été, gros plan sur ce que la musique made in Belgium doit à ses communautés venues d’ailleurs.

En fin d’article (ou directement sur Soundsgood), une playlist bourrée de tubes italo-belges.

Le Rockerill. Marchienne-au-Pont. Tout un symbole. Un hangar de 4.000 mètres carrés, des vestiges du passé et de la musique bien d’aujourd’hui… Bâties en 1832 et reconstruites en 1919, les Forges de la Providence furent jadis le plus grand complexe métallurgique du bassin de Charleroi. Un site spécialisé dans la production d’acier et peuplé d’Italiens. Aujourd’hui, grâce à Michaël Sacchi et ses amis, le bâtiment est devenu un lieu de musique, d’expos, de fête. Son grand-père a débarqué d’Italie en 1922 pour trimer à La Fabrique de fer. Son père a bossé pendant 50 ans dans la sidérurgie. Mika, lui, fait vibrer la nightlife carolo. Et quand ce n’est pas dans son antre industriel, c’est avec son groupe, Spagguetta Orghasmmond, qui prône L’Amour à Charleroi et chante les coureurs cyclistes italiens (Coppi & Bartali).

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« Quand on parle de musique italienne en Belgique, je pense à celle qui a accompagné l’immigration. Les travailleurs italiens étaient casernés dans les cantines. Il y avait toujours une mandoline ou un accordéon dans les parages. C’est le folklore du pays qui les réunissait et qui s’est ensuite ouvert aux Belges. Ils ont commencé à se produire sur des petites scènes. Puis dans les bals du samedi et du dimanche. » À la fois une manière de sortir de l’usine et d’arrondir ses fins de mois. « Les chorales italiennes aussi ont perpétué les traditions et ont permis de passer le flambeau, de traverser les générations. Et ce notamment grâce à un important tissu associatif. »

« Je suis rital et je le reste », « Je t’aime à l’Italienne »… Les Italiens dans la musique populaire en Belgique, ce sont évidemment les lovers. Ceux qui faisaient craquer les grands-mères. Claude Barzotti, Frank Michael (Franco Gabelli), Frédéric François (Francesco Barracato)… « Il vient de la même rue que mon père, raconte Anthony Sinatra (Piano Club). Les Italiens ont fait peur aux femmes et à leurs parents pendant longtemps. Mais ensuite, ils se sont mis à exercer un petit charme exotique. Un fantasme aussi sans doute quelque part. Puis, c’était des businessmen… »

Anthony Sinatra
Anthony Sinatra

Le grand-père d’Anthony est arrivé dans la région liégeoise en 1949. À une époque où les Belges ne voulaient plus descendre dans les mines et où l’Italie en crise échangeait ses mineurs contre 200 kilos de charbon. « C’était les baraquements, les rats, les poux, le racisme… Certaines chansons parlaient d’elles-mêmes. Mais plein d’artistes ont essayé de cacher leur accent, leur nom. Ils ont arrondi les angles. Mus par le besoin d’être l’Italien qu’on peut accepter. » It It Anita, The Experimental Tropic Blues Band (et Ginger Bamboo), Channel Zero, A Supernaut, Soror, Run Sofa… Nombre de groupes de rock wallons et bruxellois comptent aujourd’hui en leur sein l’un ou l’autre enfant de la Botte. « Même quand tu ne le soupçonnes pas, les racines sont là. Chez les Girls in Hawaii par exemple. La mère des Vancauwenberghe est italienne. »

Spaghetti rock

« L’Italien est un latin lover et les chansons d’amour, tu as parfois l’impression qu’il ne sait faire que ça, reprend Michaël Sacchi. Dans les années 70, à Liège, Charleroi, Bruxelles, tu avais des éditeurs à tous les coins de rues… C’était une tradition familiale. Le gamin sait chanter. On va lui faire enregistrer un morceau de variété. Il y avait très peu d’Italiens dans le rock et le punk. La pression familiale sans doute. J’imagine bien la mamma faire le signe de croix quand le fiston rentrait en perfecto. Il fallait faire bonne figure… » À travers son projet Spagguetta Orghasmmond, Mika joue avec ses origines et sa culture. « Thomas (son acolyte T. Raznor) reprenait les Ramones avec un orgue guinguette musette. Je me suis dit que ce serait parfait pour remettre la variété italienne à l’honneur. Même si les Italiens ne doivent pas trop comprendre notre délire. »

Avec Michaël, Giacomo Panarisi est assurément l’un de ceux qui laisse le plus sa ritalité s’exprimer… Sur une cinquantaine de morceaux de Romano Nervoso, il en chante une quinzaine en italien. « Quand j’ai commencé avec Mangia Spaghetti, j’ai voulu montrer qu’on pouvait faire du rock dans notre langue maternelle. Mes parents sont arrivés de Sicile à la fin des années 60. Ils se sont rencontrés en Belgique et ils ont fait deux couillons: mon frère et moi. Ils étaient tous les deux profs d’italien dans la région du Centre, envoyés par le gouvernement pour l’enseigner. Dans la classe, nous étions pratiquement tous des fils d’immigrés. »

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Panarisi a grandi avec Lucio Battisti, Adriano Celentano, Ennio Morricone, Pino Daniele. Mais aussi Bauhaus, Joy Division… Son grand frère avait une émission de radio le jeudi soir: Il faut tuer La Louve. « Mes parents étaient inquiets mais ils ne m’ont jamais freiné avec la musique. Ils ne voulaient surtout pas que je bosse à l’usine. Je ne sais pas si c’est dans les gènes mais c’est dans l’éducation. La plupart des vieux ont eu des vies de merde et ils ne voulaient pas de ça pour leurs gosses. Même chose avec le foot. Dans notre coin, tu as quand même eu Scifo, Proto… »

« Bien sûr qu’on peut dresser un parallèle, rebondit le Limbourgeois Mauro Pawlowski (Evil Superstars, dEUS). C’était faire quelque chose de plaisant. Quand tu arrives dans un pays au ciel gris et bas, quand tu passes la majeure partie de ton temps à travailler sous terre, quand tout le monde te considère comme un criminel, ça doit être sacrément pesant. » Si la maman de Mauro est italienne, son papa, lui, est polonais. « Les frères de ma mère jouaient dans un groupe de reprises de rock avec mon père. Un truc à la Shadows. Mais lorsque mon grand-père maternel, très protecteur, a senti que le Polak vivait un truc avec sa fille, il lui a interdit de rentrer dans la maison. Donc quand ils répétaient, il devait jouer dehors avec la fenêtre ouverte. Même quand il pleuvait. Et ce jusqu’à ce qu’ils se marient. « S’il rentre, je le tue. » Badass le grand-père. Même si ça a été un adorable nonno… »

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Mauro épingle l’absence très italienne de complexe qui caractérise sa musique. « En Wallonie, je ne sais pas. C’est à moitié l’Italie de toutes façons (rire). Mais les Flamands trouvent plutôt cool que tu ne saches pas très bien jouer de ton instrument. C’est presque un honneur. Or, moi, je n’ai jamais eu peur de faire de la musique compliquée ou sophistiquée. Ado, je jouais dans des cover bands avec des Italiens. J’ai appris tous les solos de Toto par coeur. Je maîtrise Van Halen et Jimi Hendrix. Je n’avais pas besoin de sonner merdique, dark, punk. Evil Superstars avait d’ailleurs déjà un côté prog… »

Quand on évoque les Italiens dans la musique au nord du pays, Mauro parle de Rocco Granata à qui Stijn Coninx a consacré un film (Marina), son ami Remo Perrotti, le pianiste Michelino Bisceglia expert en musiques de films ou encore Ad Cominotto qui joue avec Arno… Le 26 juillet, Cominotto participera à Anvers au spectacle Bella Italia avec Sandra Kim. Une Italienne (Sandra Caldarone) née à Montegnée à qui l’on doit notre seul et unique succès à l’Eurovision.

Agitateurs culturels

Melanie De Biasio aussi est en passe de réhabiliter un lieu qui fait écho à ses racines. L’aérienne chanteuse et flûtiste de jazz a racheté l’ancien consulat d’Italie à Charleroi pour y créer l’Alba (l’Aube), une résidence d’artistes, une maison des talents. « Je me suis toujours sentie italienne mais j’ai appris très récemment que je l’étais civilement parlant. Mon père s’est fait naturaliser belge pour trouver plus facilement du travail. Ce qui est intéressant, c’est qu’il s’est marié avec ma mère alors qu’il était encore italien. Donc, je suis italienne de par ma mère. J’avais le nom. L’amour inconditionnel pour ce pays. C’était essentiel d’y retourner chaque année, de parler l’italien même si je le maîtrise mal. Mais quand on me l’a annoncé, c’est comme si on m’avait remis un bras. » Cocasse. Melanie vient d’être décorée chevalière de l’ordre de l’étoile d’Italie. Ce qu’il y a d’italien dans sa musique? Des textures, des couleurs, une richesse, une largeur dans la voix. Et dans la musique belge en général, selon elle, une certaine forme de chaleur. « J’écoute souvent une radio de Jumet: J600. Elle passe de la musique italienne et wallonne. C’est populaire, généreux. Du bonheur. Tout ce côté italien que je suis en train de découvrir réveille mon côté féminin. Il y a quelque chose qui est en train de s’ouvrir et de se détendre. Aujourd’hui, je me sens assez italienne dans le côté luxuriant. C’est vraiment charnel. C’est un déclic qui permet à la chair de s’ouvrir. Un côté femme que je n’avais pas encore exploré chez moi. Ça participe au fait de pouvoir amener quelque chose de pulpeux et de large. »

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L’aspect organisateur voire entrepreneurial est prégnant dans la communauté italienne de Belgique. C’est un Italien de Dour, Carlo Di Antonio, qui a donné vie au plus gros festival de Wallonie. Et ce sont deux Italiens de Charleroi, Anthony Consiglio et Max Meli, qui se cachent derrière Back in the Dayz (Damso, Roméo Elvis…), agence de booking, label et organisateur d’événements encadrant le boom de nos musiques urbaines. « Je tiendrais peut-être le même discours si j’étais polonaise ou russe mais il y a chez l’Italien l’envie de partager, d’ouvrir les portes. Un côté très accueillant. Puis aussi sanguin qui fait sans doute que les choses se créent. »

Le soleil et les larmes

Fabrizio Cassol (Aka Moon), Éric Legnini, Sal LaRocca, Gino Lattuca, Bruno Castellucci, Daniel Romeo… Les musiciens d’origine italienne sont nombreux sur la scène jazz belge. « Ils occupent une place importante à tous les moments de son histoire mais à quelques exceptions près, ils ne jouent pas quelque chose de très italien, souligne Jean-Pol Schroeder, fondateur de la Maison du jazz à Liège.

Il épingle quand même le saxophoniste Pierre Vaiana qui a travaillé sur les chants de travail siciliens (Itinerari Siciliani). Ou encore le trio Canti All’Arrabbiata qui a repris des chants anarchistes et de lutte. « Il y a le poids du militantisme, de la tradition. Vaiana racontait que son père et ses amis ouvriers se réunissaient pour écouter des chants et de l’opéra. Il se souvenait de castards qui pleuraient en écoutant de la musique. »

Stephen Fasano (The Magician)
Stephen Fasano (The Magician)

L’Italie semble nettement moins présente dans notre électronique. Vito De Luca et son ancien compagnon d’Aeroplane, Stephen Fasano alias The Magician, sont des exceptions. « Je pense savoir en partie pourquoi, glisse ce dernier. L’électro est mineure. Elle est cool parce qu’elle est dark. Elle repose généralement sur un ou deux accords. Parfois une ou deux notes. C’est pauvre pour les Italiens. Ça touche pas des masses la communauté. » Un peuple d’opéra, de grande voix, d’extravagance… « On dit souvent de ma musique qu’elle est cheesy et catchy. Pour mon remix de Lykke Li, j’ai changé le côté triste et mineur en quelque chose de joyeux et de majeur comme l’est souvent la pop italienne. Je trouve que ça procure davantage d’émotion. Regarde l’italo-disco, c’est de la musique électronique avec des mélodies. Il y a un rapport à notre culture. On en fait trop. On aime le too much, l’extraverti. Il n’y a pas de retenue. On donne et on montre tout. Ça se ressent aussi dans la cuisine et je pense dans ma musique. Tu marches vers le soleil avec des larmes dans les yeux… »

Les Filles du bord de mer

Forza Italia: gros plan sur ce que la musique belge doit aux Italiens
© DR

Sorti en 1964 et repris 30 ans plus tard par Arno, c’est à la fois un classique du patrimoine musical belge et l’oeuvre d’un Italien de Jemappes. « Les Filles du bord de mer est une chanson symbolique pour Salvatore Adamo, explique son biographe Thierry Coljon (Le Soir). À l’époque, il vient de sortir Vous Permettez, monsieur? et l’idée est de casser son image de jeune gendre idéal, sérieux, avec sa belle cravate et sa jolie coupe de cheveux. En France, c’est Johnny et les yéyés. En Angleterre, les Beatles et les Stones… Bien loin de ses valses et de ses polkas. »

Le texte des Filles du bord de mer est évidemment plein de malice. « Arno qui a changé le rythme et la tonalité en a révélé le côté sexuel et a insisté sur l’aspect graveleux. Mais dans la bouche de Salvatore, les gens avaient trouvé ça très mignon. Comment il a osé? Personne ne s’était rendu compte à l’époque. Ça dénote son grand sens de l’humour… « 

La chanson est à la fois belge et italienne dans l’âme. « Salvatore parle souvent du surréalisme de Sicile. Et il dit qu’avec ce morceau, il a amené le surréalisme sicilien au bord de la mer du Nord. » L’histoire de la relecture par Arno est elle aussi hautement surprenante. « Alors qu’il est à l’aéroport et part bosser sur un disque à Nashville, Arno a peur de perdre son âme, que le producteur lui fasse enregistrer un album de country. Dans un présentoir, il tombe sur un best-of d’Adamo et l’achète en se disant que ça lui permettra de préserver son européanité. «  Quand il ne l’écoute pas, l’Ostendais s’amuse à reprendre Les Filles du bord de mer avec son complice, le Belgo-Italien Adriano Cominotto (Alain Bashung, David Byrne…). « C’était pour s’amuser mais le producteur a tellement insisté qu’ils ont glissé le morceau sur le disque. » Un accident devenu mythique…

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