Flaming Lips: « Le Covid, on pensait que ce serait l’histoire d’un mois, deux au pire »

The Flaming Lips, entertainers bombastiques et ridicules sans ego. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Les Flaming Lips renouent avec le songwriting pop, questionnent leur américanité et sécurisent le concert au temps du Covid. Rencontre à distance avec leur bouillonnante tête pensante.

Il est 11 heures et demie à Oklahoma City. Wayne Coyne est dans l’allée de sa maison assis sur le siège conducteur de sa voiture. « Je donne toujours mes interviews dans la bagnole, sourit le chanteur à la crinière de lion des Flaming Lips. J’ai une maison un peu dingo avec des chiens, des chats et un bébé. Je leur épargne de m’entendre parler de moi toute la journée. » Wayne, papa d’un gamin d’un an et demi, vit dans le quartier depuis 1975 et cette demeure depuis 1992. Il possède quatre des habitations avoisinantes. « On a notre studio, des paons, des animaux. Le genre d’endroit dont je n’aurais jamais osé rêver. » American dream? Peut-être. American Head par contre, ça c’est sûr… C’est d’ailleurs le titre du nouveau Flaming Lips. Un disque sur lequel ils soulignent et assument leur américanité.

Cet album a germé avec le décès de Tom Petty…

On a toujours été fans. Quelques années avant sa mort, on avait vu un documentaire à son sujet. Ils y parlent de ses débuts. C’était avant Tom Petty and The Heartbreakers. Ils se faisaient encore appeler Mudcrutch. Sur le chemin de leur premier trip à Los Angeles, ils se sont arrêtés à Tulsa, tout près de chez moi, pour bosser sur des démos. Ça m’a intrigué et j’ai mené quelques recherches. Qu’est-ce qu’il était advenu de cette musique qu’ils y avaient enregistrée? Je connais toute la scène locale et je n’avais jamais entendu parler de cette histoire. Il n’y a rien de bien mystérieux en fait. C’est devenu leur premier album. Mais mon imagination s’est mise à travailler. Je me suis dit qu’ils auraient très bien pu côtoyer mes frères aînés et leurs potes dealers. Pendant qu’ils étaient en studio, mon frangin a très bien pu vendre des acides à Tom Petty. En 1974, mes frères faisaient leurs trucs les plus dingues avec leur gang de motards et leurs amis. C’est devenu une espèce de fantasme. Comment cette musique aurait sonné si Tom et ses musiciens étaient tombés dans la drogue et avaient rencontré des problèmes avec la police? S’ils n’étaient jamais devenus Tom Petty and The Heartbreakers mais avaient pondu un disque drogué, nostalgique et désespéré. Je me suis dit qu’on devait l’enregistrer, réécrire l’Histoire. Ça a déclenché une réflexion chez Steven (Drozd) et moi sur nos adolescences, la drogue dans nos familles respectives. Le point de départ, c’est Tom Petty qui a le mal du pays, qui est fauché et qui doit bosser. Ça s’est entrechoqué avec de vrais événements qui se sont déroulés dans nos vies.

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Ça ressemble à un concept album…

Tu as toujours envie qu’il y ait de bonnes raisons pour que tu sonnes d’une certaine façon. Avec les Flaming Lips, il y a toujours une étincelle. Après, il te faut des chansons. Et tu ne sais jamais si tu vas les avoir. Parce que les chansons, ce sont des bonbons magiques qui tombent du ciel. Tu ne peux pas prédire quel goût ils vont avoir. Le songwriting reste encore et toujours mystérieux à mes yeux. Comment un morceau devient émouvant? Comment un truc qui te parle de manière si personnelle peut devenir universel et toucher des inconnus? On est les premiers à admettre qu’on ne sait pas. Ce disque nous a pris deux ou trois ans de boulot. Il est le fruit de la chance, de recherches et de cette volonté d’enregistrer un album dont on avait probablement peur. Parler de nos frères, de nos mères.

Que représente Tom Petty à vos yeux?

On aime Tom Petty comme on apprécie les Eagles et Chicago. Je continue d’associer Petty aux seventies. Même s’il a occupé le terrain pendant les années 80 et 90. C’est un bon singer-songwriter, avec un groupe cool. La plupart n’ont pas un son à ce point identifiable. Il y a eu des moments dans la crise identitaire des Flaming Lips où on prétendait être des singers-songwriters, mais ce n’est pas le cas. On est avant tout des weirdos dans un studio, quoi qu’on y fasse. Mais il y a des moments où on embrasse cette identité. C’était le cas avec un disque comme Yoshimi Battles the Pink Robots. C’est du storytelling. Il nous aide à déterminer comment on doit sonner, à quoi les morceaux vont ressembler.

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Quand tu étais jeune, tu étais davantage branché par la musique anglaise qu’américaine. Sur votre album King’s Mouth, tu as d’ailleurs embauché Mick Jones de The Clash comme narrateur…

J’avais flashé sur un spoken word de Combat Rock et l’accent qui allait avec. Je pensais qu’il s’agissait de Joe Strummer, mais c’était en fait la voix de Mick Jones. J’ai demandé à Don Letts, qui l’a côtoyé dans Big Audio Dynamite, s’il le voyait encore et il m’a répondu: « Oui, tout le temps. Il ne fait rien du tout. Il doit être assis chez lui dans son canapé à l’heure où je te parle. Alors, non, il n’aura pas envie d’être le narrateur de votre disque. Parce que Mick ne veut rien faire. Mais je vais le pousser à accepter. » C’est grâce à l’enthousiasme de Don que c’est arrivé.

Qu’est-ce que vous avez de typiquement américain dans votre nouveau disque?

Certains éléments dans les arrangements de cordes et de cuivres me semblent très americana. Comme sortis de films épiques dans lesquels aurait pu jouer James Dean. Il y a des harmonies vocales que Steven et moi avons longtemps évitées parce qu’elles sonnaient un peu trop comme les Carpenters ou les Beach Boys. Cette fois, on s’est dit qu’on pouvait l’assumer. Dans les structures d’accords aussi, on peut se rapprocher de Jackson Browne ou des Eagles. Même s’ils sonnent parfois eux-mêmes comme les Beatles.

Ce que vous avez également de très américain, c’est le sens du spectacle!

On nous a souvent comparés à un cirque ambulant. Je suis plutôt d’accord. Steven et moi, comme beaucoup d’artistes introvertis, faisons des petites choses tout seuls chez nous mais après il faut les interpréter en face d’un public. Je sais qu’on est des artistes. Des bons, des mauvais, peu importe. Mais, alors que je donne des concerts depuis que je suis un adulte, je ne suis pas un performer.

Au temps du Covid, The Flaming Lips a trouvé la parade: donner des concerts dans des bulles en plastique.
Au temps du Covid, The Flaming Lips a trouvé la parade: donner des concerts dans des bulles en plastique.

On peut juste en donner l’impression devant des spectateurs?

On aime l’idée d’être des entertainers bombastiques et ridicules. Ça nous correspond bien. Parce que tout ce qu’on fait, on essaie de le faire sans ego. Il en faut un peu pour te retrouver chaque soir sur scène devant des gens et faire en sorte qu’ils te regardent mais on ne veut pas représenter ce truc: écoute-moi, je suis important, regarde-moi, je suis cool. Il y a de la musique, de l’animation, des lumières. Ça nous aide. On se dit que les gens applaudissent pour le spectacle, nos conneries et les confettis. Ça fait du bien. Quand tu dois donner plus de 200 concerts par an, tu ne peux pas être embarrassé et honteux devant du monde sinon tu abandonnes.

Vous donnez depuis des années une partie de vos concerts dans une bulle en plastique transparente. C’est quoi l’histoire de cette performance au Late Show With Stephen Colbert où le public était lui aussi dans des ballons?

J’ai dessiné moi-même aux premiers jours du confinement un concert des Flaming Lips au temps du Covid. C’était une espèce de commentaire politique comme les dessins de presse que tu vois dans les journaux. Nous, on pensait que ce serait l’histoire d’un mois, deux au pire. L’équipe du talk-show nous a proposé de jouer dans l’émission et a demandé si un « space bubble concert » comme je l’avais dessiné était envisageable. Elle nous a aidés à obtenir des ballons en plastique qui viennent tous de Chine. On a réussi à en rassembler 26-27, mais ça a pris du temps. On ne savait pas si cette pandémie serait encore d’actualité quand on les aurait. On se fourvoyait évidemment. On a joué quatre morceaux, avec des pauses pour s’assurer que tout le monde allait bien. C’est le genre de trucs que les Flaming Lips font. T’emmener dans ta propre bulle. Maintenant, j’ai une centaine de ballons en route depuis l’usine qui les fabrique en Chine. Ils vont arriver à la maison et on va essayer de faire un vrai concert à Oklahoma City d’ici quelques semaines où tout le monde sera dans sa space ball. On peut mettre jusqu’à trois personnes dans les petites et quatre dans les plus grandes. On se produira sur un site qui peut accueillir d’habitude 3.500 personnes. On va voir. On n’a rien d’autre à faire de toute façon. Je me demandais comment on pouvait se produire devant un public et ça, c’est sans danger, fun et ridicule. Il n’y a pas beaucoup d’autres solutions.

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Comment as-tu vécu cette expérience télé?

J’ai été surpris des réactions enthousiastes. Un concert, ce n’est pas juste aller regarder des mecs qui jouent de la musique. Tu es avec tes amis, c’est excitant, il y a une énergie dans l’air. Tout le monde a semblé s’éclater. C’était bizarre mais chouette. On a dû mettre un terme à notre prestation pour que les gens ne doivent pas rester dans ces bulles trop longtemps. C’était un bon test en vue d’un vrai concert, plus long, avec davantage de monde. Ce ne sera pas quatre morceaux et puis tu peux aller aux toilettes. Il faut penser à toutes ces questions pratiques… Les gens se sont tellement amusés. Ils rigolaient, sautaient. Nous aussi on s’est bien marrés. Tout le monde dans le groupe aime ce genre de choses. Certains peuvent penser que les membres des Flaming Lips sont à jamais torturés par la folie ridicule de Wayne. Je les rassure, ce n’est pas le cas. On embrasse ensemble tout ce qui est différent et excitant.

Quaaludes, herbe, LSD… Il y a beaucoup de drogues dans cet album.

Fin 60, début 70, mes frères vivaient constamment sous l’influence d’une substance ou l’autre. Que ce soit les acides, les quaaludes, les joints. Ce n’était pas tant l’alcool, c’était les drogues. Moi, je n’ai jamais trop baigné là-dedans. J’ai pris du LSD une paire de fois mais je n’ai pas aimé du tout. Ça a ouvert quelque chose en moi qui m’a montré à quel point le monde peut être horrible, brutal et laid. Ça ne m’a pas fait le même effet qu’à beaucoup d’autres. Je ne me suis pas réveillé en me disant: « waouh, ce que le monde est beau et plein de couleurs! » Je l’ai toujours trouvé comme ça, moi, de toute façon. Prendre du LSD m’a fait penser à la mort, à la destruction… Les gens sont horribles. Ils sont la pire chose qui ait jamais existé. Ils tuent des animaux, se tuent entre eux, se font du mal, font souffrir. Sous LSD, j’étais trop ouvert à tout ça. J’ai détesté mais ça m’a rendu conscient de cette tristesse et j’en suis reconnaissant. Le LSD m’a permis de voir, d’essayer de comprendre. Je suis aux anges d’être si heureux et d’avoir mené une telle existence mais ce n’est pas vrai pour tout le monde. J’ai donc essayé de chanter à propos de mon expérience de la drogue et de celle de mes frères. Ils étaient tellement dingues. J’ai toujours pensé qu’ils allaient se suicider, mourir. C’est arrivé. L’un d’eux a été emporté par une overdose. Je me souviens avoir été très en colère après un accident dans lequel certains de nos amis ont été impliqués. Le chauffeur était sous influence et il a tué notre pote à l’arrière de la voiture. Quand tu es jeune, tu veux accabler le conducteur, la came, les gens trop cinglés au volant. Mais je ne pense plus comme ça.

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Will You Return When You Come Down parle du sentiment de culpabilité que peuvent éprouver les vivants à ne pas être morts…

Steven et moi voulions faire de la musique mais pas vivre comme le reste de nos familles. Pourquoi? Pourquoi n’a-t-on pas partagé ces choses avec eux? Pourquoi a-t-on emprunté un autre chemin? Il y a eu beaucoup d’accidents de voiture autour de nous. Je chante à propos de l’un d’entre eux en particulier. Un mec que je connaissais de l’école est mort alors que le chauffeur était défoncé. Une partie de sa tête a été arrachée. Horrible. Ils avaient quinze ans. Sa petite amie était enceinte et quatre mois plus tard, elle est morte d’une overdose. On ne parle pas de gosses désespérés de la ville. C’est juste la bête vie de banlieue qui à l’époque, je le pensais, était normale. Pourquoi je n’étais pas dans un de ces véhicules? Pourquoi ça ne nous est pas arrivé à nous? Pourquoi sommes-nous les mecs qui chantent ces trucs et pas ceux qui les ont vécus? C’est ce qui fait qu’on est là. Qu’on nourrit des regrets. Chanter à ce sujet, le tourner en quelque chose de joli te réconforte et cesse de t’obséder. Ça devient tangible et beau.

The Flaming Lips – « American Head »

Distribué par Pias. ***(*)

Quelques mois seulement après la sortie de Deap Lips, leur album avec le duo Deap Vally, les Flaming Lips déballent leur disque le plus pop et accessible depuis quasiment quinze ans. Dans la veine The Soft Bulletin, Yoshimi… et At War with the Mystics, Coyne réincarne Tom Petty, chante s’être fait braquer alors qu’il travaillait dans un restaurant (Mother Please Don’t Be Sad) et raconte un pote de ses frères qui aurait tué un biker avant de devenir un fugitif (God and the Policeman). Un album de singer-songwriter qui va droit aux coeurs.

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