« FFS, c’est surtout l’acronyme de For Fuck’s Sake! »

FFS (Franz Ferdinand + Sparks) © David Edwards
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Le groupe Franz Ferdinand collabore avec les Sparks. Une alliance entre rock de tranchée et pop cabaret bien barrée. Le résultat s’intitule FFS. Une vraie rencontre au sommet.

Quand on parle collaborations, il y a d’un côté celles que l’on n’attendait pas -celles qui piquent même parfois aux yeux (Paul Mc Cartney et Kanye West? Miley Cyrus et les Flaming Lips?). Et puis les autres, celles qui semblent couler de source. FFS, par exemple. A ma gauche, Franz Ferdinand, escadrille arty-pop, Scottish combo qui, après deux premiers albums pied au plancher (Franz Ferdinand en 2004, You Could Have It So Much Better en 2005), et une pelletée de tubes (Take Me Out, Darts of Pleasure…), a dû marquer le pas, le temps de reprendre son souffle, et de repartir au front (Right Action). A ma droite, les Sparks, drôle de fratrie musicale US composée de Ron et Russell Mael, en activité depuis le début des années 70, et qui n’a eu de cesse depuis de tordre la pop, enchaînant les costumes (glam, new wave, synth-pop…) avec une emphase très brechtienne, et une jouissive perversité (les classiques This Town Ain’t Big Enough For Both of Us, Angst In My Pants…).

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En commun, une certaine idée déviante du médium pop, qui rendait l’alliance des deux entités évidente. Au Lloyd Hotel, ancienne prison pour jeunes délinquants d’Amsterdam reconvertie en hôtel design, le message répété par les trois intervenants du jour est d’ailleurs clair. Pour Alex Kapranos, leader des Franz Ferdinand, et les frères Mael, FFS n’est pas une association éphémère et opportuniste. Pas davantage un moyen facile de relancer l’intérêt de la presse et du public. Non, FFS est bel et bien un nouveau groupe. Son nom ne se résume d’ailleurs pas aux initiales des deux formations, insiste Kapranos: « Bien sûr, il fait référence à Franz Ferdinand et Sparks. Mais c’est surtout l’acronyme qu’on utilise en anglais pour l’injure ‘For Fuck’s Sake’ (quelque chose comme l’équivalent de B.. de m..?, ndlr). Vous n’aviez pas capté? Bon, pour des jeunes gens comme nous, c’est assez évident (sourire). »

Plus si jeunes que ça quand même. A côté du quadra Kapranos, Russell Mael affiche 66 ans, tandis que son frangin Ron passera le cap des 70 au mois d’août… Les cheveux gominés, plaqués en arrière, ce dernier occupe la place du milieu. Un charmant petit vieillard affable, racrapoté sur sa chaise, loin du personnage parfois inquiétant qu’il incarne sur scène. Quand on signale qu’on vient de Belgique, partie francophone, il fait mine de murmurer dans sa fine moustache de cardinal de Richelieu: « Le bon côté… », avant d’éclater de rire. « Non, je rigole. C’est juste qu’on a pas mal d’amis belges francophones. Vous connaissez Fabienne Veine de Méééééwch? » Pas personnellement, mais on voit bien, oui, l’ancienne présentatrice du JT, Fabienne Vande Meerssche, que les Sparks ont croisée à l’époque où elle officiait dans Génération 80 (extraits visibles sur YouTube).

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« Et puis Michel Moers aussi, Dan ou Laurence Fasbinder, la veuve de Marc Moulin… », le groupe Telex dont il est question ici ayant joué un rôle important dans le tournant électropop eighties des Sparks. Sur l’album de FFS, un titre comme So Desu Ne est d’ailleurs celui qui lorgne peut-être le plus clairement vers la période dance synthétique des Sparks… « C’est marrant que vous pointiez ce morceau, intervient Alex Kapranos, parce qu’il n’est pas venu du côté des Sparks, mais du nôtre. Et je peux vous assurer qu’il n’a jamais été question de les copier. Du moins pas littéralement. Ils ont par exemple toujours été très forts pour clasher deux idées dans un seul morceau. Dans ma tête, c’est un peu ce que j’ai essayé de faire avec So Desu Ne: organiser la rencontre entre la J-pop (pop japonaise, ndlr) et le style répétitif de Steve Reich. Je ne réalisais pas que cela allait me ramener vers les Sparks! (rires)« 

Est-ce qu’il n’y a pas malgré tout dans l’album de FFS un jeu avec les références des uns et des autres, une série de clins d’oeil plus ou moins appuyés. Comme une sorte de conversation méta-pop?

Alex Kapranos: Ouch, je vois ce que vous voulez dire, mais cela sonne très post-moderne nineties, comme idée, non? (rires)

Ron Mael: Je sais bien que c’est impossible, mais jusqu’à un certain point, on essaie au contraire à chaque fois de faire table rase. Le but est d’essayer de se mettre dans la position d’un nouveau groupe. C’est illusoire. Mais on veut toujours éliminer toutes références trop évidentes au passé. Il n’était en tout cas pas question de jouer délibérément avec les autoréférences stylistiques au travers de l’album.

Dans une interview du Guardian en 2006, entre Franz Ferdinand et Gorillaz, Bob Hardy (bassiste de FF, ndlr) expliquait que les collaborations étaient souvent plus simples dans la musique électronique. En rock, elles avaient souvent tendance à se résumer à une « appréciation mutuelle » un peu vaine…

Alex: Le truc, c’est que quand des groupes de rock se rencontrent, c’est la plupart du temps juste pour « jammer ». Ce qui est souvent terriblement emmerdant. Aucun d’entre nous n’avait ce désir-là. Il y a évidemment un respect mutuel entre les deux groupes, sinon on ne se serait pas retrouvé dans ce projet. Mais on tenait par exemple à avoir du matériel, de la substance, des chansons en gros, avant même de se lancer en studio.

Ron: FFS est arrivé aussi à un bon moment. Actuellement, on fonctionne sans batterie, ni basse, ni guitare. Du coup, les deux entités ont pu fusionner beaucoup plus facilement. Il y aurait peut-être eu davantage de soucis s’il y avait eu deux bassistes, ou deux batteurs. Le seul doublon est du côté des chanteurs. Mais de mon point de vue, Alex et Russell ont deux manières très différentes de chanter.

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Les deux groupes se connaissent depuis un moment. Pourquoi avoir enclenché ce rapprochement maintenant?

Alex: Jusqu’à un certain point, c’est le hasard: il y a deux ans, on s’est littéralement rentré l’un dans l’autre dans une rue de San Francisco… En fait, dès 2004, lors de notre première rencontre, on avait parlé de faire quelque chose ensemble. Dans Franz Ferdinand, on est vraiment fans des Sparks. Mais nous étions tous fort occupés. Cela se serait réduit à un single ou un truc du genre. Donc il a fallu qu’on se recroise près de dix ans plus tard à nouveau dans la rue…

Vous vivez au Royaume-Uni; Ron et Russell vous êtes établis du côté de Los Angeles. Comment avez-vous fait pratiquement pour composer l’album?

Russell: Forcément, de manière assez peu orthodoxe, quand vous êtes séparés de 9 000 kilomètres. Chacun envoyait à l’autre ses propositions. Cela pouvait être une chanson en entier, ou juste un instrumental, auxquels l’autre ajoutait le cas échéant une ligne mélodique, des paroles… Concrètement, on ne s’est fixé aucune règle. Cela a duré un an et demi comme ça. La première fois que l’on s’est retrouvés, c’était pour répéter, une semaine avant de rentrer en studio.

Alex: A partir de là, tout a été très rapide. C’était délibéré: on voulait que le disque capte malgré tout une certaine spontanéité, une énergie. Le disque que vous entendez, c’est nous six qui jouons ensemble, en même temps.

Dès le départ, vous vous êtes fixé l’objectif d’écrire un album entier?

Ron: Disons que l’on n’a jamais évacué tout à fait la possibilité. Mais ce n’était pas forcément le but. Le fait est qu’au bout d’un moment, nous avions trop de matière pour nous contenter d’un single.

Russell: Mais on a mis du temps à se l’avouer. C’est comme pour les concerts: « Non?! Tu crois? C’est pas un peu présomptueux? »

Alex: On se disait la même chose de notre côté!

Russell: Cela semble évident aujourd’hui, mais je sais que pendant longtemps, personne n’osait ne serait-ce que prononcer le mot. Et encore moins se risquer à même évoquer l’éventualité d’une date ou l’autre. Tout se passait tellement bien, personne ne voulait ruiner ça.

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L’un des morceaux de l’album s’intitule Collaborations Don’t Work

Alex: Oui, c’est la tout première démo que les frères nous ont envoyée. Le premier truc que l’on a entendu de ces gars, c’était ça: un titre humoristique, pop tongue-in-cheek. Du coup, on leur a répondu avec des paroles qui faisaient aussi référence à la collaboration, mais celle de la Seconde Guerre mondiale! C’était une manière aussi de se tester, de voir si l’on était réellement sur la même longueur d’onde artistique et humoristique. Ou au contraire, s’ils n’allaient plus jamais vouloir nous parler (rires).

« I ain’t no collaborator, I’m a partisan », chantez-vous en effet. Par extension, est-ce aussi une manière de dire que vous ne trahissez pas la cause pop, que vous restez fidèle à votre ambition de départ?

Alex: Il y a en effet de ça, l’idée que l’on ne se plie pas à certains diktats, certains formats. On ne va pas être ces collabos qui obéissent à cette force extérieure qui vous dicte quoi faire, comment vous conformer.

Ron: Vous savez, on est là depuis un moment. Forcément, les gens deviennent un peu blasés, et pourraient se dire: « De nouveau eux! » Depuis le départ, on a donc toujours cherché à pousser le bouchon un peu plus loin, à tenter de nouvelles choses. C’est un simple réflexe de survie. Là, à ce point de notre carrière, se dire que l’on débute un nouveau groupe, c’est un fameux défi par exemple.

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FFS, c’est une musique à la fois immédiate et toujours un peu barrée, fun et cérébrale. Si on la résume par le terme d’indie pop, cela vous parle?

Alex (soupir): J’ai toujours détesté ce mot. J’apprécie les maisons de disque indépendantes, parce qu’elles se consacrent généralement à donner à des artistes la liberté qu’ils trouveront moins facilement dans les majors. Mais l’idée d’une indie pop ou indie rock en tant que genre est quelque chose qui ne m’a jamais touché. Et si c’est un genre en soi, je ne considère pas en faire vraiment partie.

Peut-être pas une esthétique, mais une éthique, un esprit…

Alex: OK, je vois ce que vous voulez dire. On partage tous un amour et un respect pour la pop (plus probablement même que pour le rock). Une musique immédiate, puissante, mais aussi éphémère. A la fois légère, mais avec une certaine profondeur, et qui n’est pas obligée d’être un format ou une formule. Peut-être que vous pourriez utiliser le terme indie pour décrire ça, mais ce n’est pas le premier mot qui me vient en tête. Cela va au-delà de ça.

FFS, FFS, DISTR. DOMINO. ****

EN CONCERT LE 24/06, À L’ANCIENNE BELGIQUE (COMPLET) ET LE 21/08, AU PUKKELPOP.

La grande bouffe

Cela fait un moment maintenant que le rock a commencé à mettre le nez en cuisine. Du food truck de Kelis aux émissions de « cuisine » de Vice (la chaîne Munchies) en passant par les fromages d’Alex James (Blur), la tendance fooding est partout. Alex Kapranos ne l’a toutefois pas attendue pour s’intéresser à la question. Recueil de chroniques gourmandes, son Sound Bites est paru en 2007. Il sort aujourd’hui pour la première fois en français, sous le titre La Tournée des grands-ducs. Le petit ouvrage rassemble une série d’articles que le leader des Franz Ferdinand a écrits pour le Guardian. Alors qu’il s’apprêtait à partir pendant près de deux ans en tournée avec son groupe, le quotidien britannique lui a en effet demandé de tenir une sorte de carnet de bord « alimentaire ». En résulte un roadbook, dont la première bonne idée est de ne pas se lamenter pendant 150 pages sur la junk food souvent servie en tournée. Alex Kapranos a beau être filiforme, il ne se laisse jamais mourir de faim. Aussi esthète que curieux, le leader adore partir à la recherche d’un bon gueuleton. Par ailleurs, avant d’intégrer la D1 du rock, Kapranos a longtemps travaillé dans des restaurants comme commis, serveur, livreur (de curry indien, coursant tout Glasgow à bord de sa Fiat Panda), sommelier (« mon titre était plus impressionnant que mes compétences »), et même chef (« rien n’aurait pu mieux me préparer à partir en tournée avec un groupe que de travailler comme chef dans un restaurant de Glasgow. (…) Partager un bus oppressant en tournée semble facile, même plan-plan en comparaison »).

Sans recettes (mais avec une liste d’adresses compilées en fin de bouquin), La Tournée des grands-ducs part de l’assiette pour mieux digresser, racontant les expériences qu’elle procure, ou les souvenirs personnels qui y sont liés (« j’ai perdu ma virginité sur le sol de la salle du personnel »). C’est drôle, spirituel, rythmé. Avec cet humour tongue-in-cheek typiquement britannique qui rend cette Tournée des grands-ducs aussi goûteuse qu’épique.

  • LA TOURNÉE DES GRANDS-DUCS D’ALEX KAPRANOS, ÉD. LE ROUERGUE, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR AGATHE MICOULAUD, 144 PAGES. ****

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