Fallait pas m’inviter, semaine 7: Pirette ton char (et autres vannes ordinaires)

Revenu de ses chroniques nocturnes, Guillermo Guiz plonge cette année dans le monde du spectacle et de l’art. Pour y découvrir des formes que sa grossière inculture lui avait cachées jusqu’ici. Fallait pas m’inviter, ça se poursuit ce vendredi. Avec un gala d’humour, chez François Pirette.

J’étais vierge, niveau Pirette. Vierge d’une virginité qu’on souhaiterait jalousement conserver, de celles qu’on garderait même après la nuit de noce. Pas pressé de perdre ma fleur. Comme pour l’héroïne, la cervelle en sauce ou le sondage vésical. 19h30. Malgré cette grimaçante réticence, le devoir ma pelle (tordant): je chausse l’automobile d’une partenaire aussi ravissante que néerlandophone, histoire d’aller découvrir, au Spiroudome de Charleroi, si le premier gala « Rire sur la ville » ruisselle, comme je le crains, d’un humour au ras du cassoulet. Qu’elle soit flamande, en réalité, n’a rien d’anodin dans le contexte. De l’autre côté de la frontière linguistique, François Pirette jouit d’un anonymat quasi absolu. Ma partenaire du soir ne connaît donc ni la bête elle-même, ni ses avatars les plus douloureusement célèbres, d’Amédée à la maman de Kevin (« Je vais m’attaquer sur ta tête »). Aucun a priori donc. Juste un indice, de ma part: « C’est l’humoriste le plus populaire en Belgique francophone. Ses sketches à la télé sont un peu horribles, mais bon, on verra bien. » On verra bien. Car au fond, partir battu d’avance, la carapace ironique brandie sur l’autel du bon goût, ça m’emmerde. Résolution: au trou le snobisme, si Pirette me fait rire, tant mieux. Ce sera toujours ça de pris sur l’ennemi.

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Ce jeudi soir, le festival/gala/spectacle « Rire sur la ville » étrenne sa formule. Une formule chorale à la « Juste pour rire », emmenée par le maître de cérémonie Pirette dans une ville où l’on ne demande qu’à gonfler le pecto-zygomatique. Les caméras quadrillent le Spiroudome: le spectacle sera retransmis fin 2012, sur RTL-TVI. Carton d’audience probablement. Comme d’hab. Le réalisateur chauffe la salle (7000 personnes, à vue de nez), teste les applaudissements, farce un peu, prépare le terrain. Dans les gradins, premier verdict: le groupe du fond, sur notre gauche, a violemment picolé en patientant/le groupe du fond, sur notre gauche, est composé d’handicapés mentaux extrêmement bruyants et démonstratifs (je n’arriverai pas à biffer la mention inutile). Il est 21h et des poussières, François Pirette investit la scène, bigoudis sur la tête, robe de chambre et orchestre ringard en accompagnement. Aie. Tonnerre de clapements. Je crains le pire.

Et bien figure-toi, aussi étonnant que cela puisse paraître, que ça tourne assez correctement, son machin. C’est pas drôle, OK, mais c’est pas pas drôle non plus. Tu saisis? Bien sûr, quand il parle politique, on a envie qu’il arrête de parler politique. Parce que chez lui, Populaire et Populiste sont dans un bateau et Populaire se retrouve régulièrement le cul dans la flotte. Mais le garçon a de la bouteille, du rythme, de la répartie. Il sait comment prendre son public. Et l’avoue explicitement, dans un grand moment de mise en abyme: « Là, je me mets le public dans la poche », lâche-t-il malicieusement, après un nouvel enfoncement de porte ouverte. Aussi sec, je me détends. Dans une autre vie, faut le savoir, je suis vendu, corrompu, foutu. C’est probablement ce qui explique l’empathie quasi instantanée que j’éprouve pour le personnage: il sait. Il sait ce qu’il fait, comment il le fait et pourquoi il le fait. Savoir s’il serait capable d’écrire plus finement n’a, finalement, que peu d’importance. Pirette le Populo assume. Et sa diatribe, accessible et huilée, sans jamais atteindre la plante de pied de l’ongle incarné du génie d’un Desproges ou même d’un Coluche, prête à sourire. Putain de révélation: après 8 minutes, je ne déteste plus le mec. Je le comprends.

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Au fil du spectacle, les invités se succèdent, entrecoupés par les personnages fétiches de l’hôte principal. Dans le lot, Jérôme Daran et Ben nous sortent abondamment les dents (pour Ben, complètement à contre-temps: silence quasi général dans la salle, mourage de rire dans nos sièges), d’autres, comme Kev Adams, Constance, Pablo Andres ou même Elastic sortent joliment des sentiers battus, en fédérant sur leur passage. Les infatigables (mais pourtant si fatigants) frères Taloche font du Taloche (tu le sens, mon baillement, tu le sens?), Pirette fait du Pirette (ma partenaire s’endort pendant son sketch sur les prêtres pédophiles, true story…) et Mr Fraize, dont j’ignorais l’existence, parvient à caler mon horloge zygomatique sur celle du Spiroudome: bide monstrueux, de ceux qui font de la peine et mettent la gêne. En même temps, faut arrêter avec les sketches des années 90, façon Elie Kakou et Pierre Palmade, personnage et voix de femme, etc. C’est fini ce temps-là. C’est fini, non? Derrière nous, comme certainement derrière beaucoup d’entre nous, une femme teste le rire-cheval, tout en commentant les sketches à coups de « c’est bien vrai ça » qui, toutes choses restant égales par ailleurs, sont plutôt amusants. « En fait, celui qui présente le spectacle, c’est lui le moins drôle », me commente, avec un délicieux accent flamand, ma sublime acolyte. C’était sans compter sur Adamo…

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Et oui, il est 2h56, jeudi nuit, dans mon ordinateur, et j’ai une confession à te faire: François Pirette m’a fait rire. Avec le concours d’un Salvatore Adamo qui, en Flandre, semble lui aussi appartenir à la boîte noire des artistes francophones inconnus. Pirette et Adamo en duo, en toute complicité, c’est tout bêtement drôle, et agréable. Même si le temps commence à se faire long (on est à près de 3h de spectacle). Adamo, c’est un chouette monsieur. Et le voir chanter Milkana (en lieu et place d’Inch’Allah) sur des paroles fromagères, c’est tout bêtement gai. Populaire, pas populo, ni populiste. Quand la frontière est respectée, pas de raison de faire la fine bouche. Un spectacle complet de François (t’as vu, depuis que je le déteste plus, je l’appelle François), ça me semble toujours injouable, de mon vivant du moins. Mais comme ça, par petites touches entrecoupées de gens plus et moins drôles que lui, pourquoi pas? Ça n’a rendu personne plus intelligent, mais près de 7000 personnes s’en sont payés une bonne tranche (toi aussi, réhabilite les expressions périmées). Ou ont souri. Par contre, c’est interminable. Et bientôt terminé. A minuit 20, on se rue sur le bar, on se barre dans la rue, on dégaine le GPS et on déguerpit. On ira tous tous tous, a Torre Molinos! François, si tu me lis, tu me comprendras. Et si tu m’invites, je reviendrai. Et tu m’expliqueras.

Guillermo Guiz

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