Couleur Café J3: le soda, le martyr et le flow

Le public de Cypress Hill. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Toujours très peu de musiques du monde pour ce troisième jour. On reste entre reggae et hip-hop avec notamment Groundation et Cypress Hill.

Un type passe: tee-shirt Che Guevara et casquette Coke. Mais oui, bien sûr, la synthèse des contraires, l’alliance des ennemis idéologiques supposés, le yin et le yang, le soda et le martyr. C’est -presque- la vision d’un CC 2015 qui pousse une vision écolo mais use de tonnes d’eau pour arroser le spectateur (certes) cuit, attire du monde mais évite les cachets protubérants d’über-stars et, last but not least, gère un héritage musical qui, tout le weekend, dessine ses deux branches principales, reggae et hip hop. Oui, on radote un peu mais la musique aussi, au fond. Avec des exceptions.

Parmi les enfants non-biologiques de Marley, Groundation. Groupe californien routinier du genre, référence internationale chez les dreadeux. Sans doute pour l’énergie injectée dans le corps jamaïcain originel, et le vecteur scénique roots et incarné. Les racines sont baladées par deux choristes blacks et donnent la couche de béchamel vocale qui fait la sauce du genre. Et puis, il y a le détonateur supplémentaire, le petit vocaliste sec à bonnet, trique toute agitée et imprégnée de la Chose. A côté, le chemin de Damas, c’est Bisounours. Et Groundation, dans le genre reggae 2015, c’est pas mal, voire pas mal du tout.

Un peu comme Sergent Garcia, groupe français mené par Bruno Garcia, qui ne fait pas partie « des 80% de moins de 34 ans qui fréquentent Couleur Café ». Tronche de pirate amorti, comme son mélange de salsa-ragga tendance cumbia colombienne. C’est pulsé et navigue entre indie frenchie, alterhispanisme et références caraïbes. Avec un côté tartiné maison qui paraîtra, au choix, extrêmement sympathique ou juste un peu en-dessous de la tension artistique nécessaire. Mais de tension, pourquoi faire au juste? Le public de CC n’est pas là pour çà: preuve avec les chiffres de consommation alcoolique de ce weekend. Record battu de débit de bière: 21 000 litres vendredi soir, soit 4 000 de plus que le précédent chrono tenu par Macklemore en 2013, lors d’une soirée à plusieurs milliers de spectateurs d’avance sur celle de ce 3 juillet 2015. Et le rhum au fait? La provision de 4 000 litres s’est évaporée tellement vite que l’organisation a du appeler SOS bourrepif pour dégotter 1500 litres supplémentaires. Désormais, aux abonnés absents.

Pas étonnant que la perception festivalière -à CC comme ailleurs- incorpore une brume euphorique hoquetant au gré d’une perf mojito-houblon. On consomme différemment la musique en plaine estivale sous cagnard qu’en salle : preuve avec Milky Chance, groupe allemand dont le tube, Stolen Dance, a récolté plus de 158 millions de vue sur YouTube depuis sa sortie en 2013. Le chanteur bouge d’un décimètre et c’est l’émeute : son bouga bouga d’electro-indie lui aussi coloré reggae, est vivifiant en disque mais là, crucifié par les infra-basses, il sonne lourd. Pas de la faute de la sono : le responsable CC étant allé signaler à l’ingé son de Milky Chance le grotesque du volume, s’est fait envoyer chier par le sourd.

Le public CC rajeunit : c’est flagrant au concert de La Smala au son approximatif et, en live, soumis à un beat un rien feignasse. Là, les spectateurs pigent de quoi il s’agit, ce qui n’est pas le cas de 99% d’entre eux, face à Joey Bada$$ ou Cypress Hill. Le premier, vingt ans, new yorkais, bourre le chapiteau Univers jusqu’à la gueule avec ses comptines d’ado poético-désaxé de Brooklyn. Les seconds, routiers angelos des voitures sauteuses et du chichon glorifié, rassemblent sans doute la plus grande foule du festival, devant le Titan. Joey a un truc intéressant dans la façon de briser le beat, les Cypress dans la manière ondulente de l’honorer. Tous deux possèdent le flow, Graal supposé, ou rivière de paroles qui coule dans le sens hédoniste de l’Histoire. Curieux de se dire que le rap, créé pour exprimer en textes, dysfonctionnements et frictions de la société nord-américaine, se trouve aujourd’hui LA musique internationale à succès majeur. Sans que pour autant, en Europe en tout cas, on ne pige le dixième du blabla US bazardé sur scène. Le flow?

D’ores et déjà, alors qu’on termine d’éplucher la billetterie pour avoir les chiffres précis de fréquentation qui confinent à l’équilibre -68 000 entrées?- voire au bénéfice vu les bars, Couleur Café 2016 est confirmé. Avec un peu plus de musiques du monde, genre?

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