Clips wallons, ou l’art de la débrouille suprême

Le réalisateur Nicolas Moins et le chanteur de La Chiva Gantiva Rafael Espinel. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Gaëtan Streel, UTZ, La Chiva Gantiva, Nicolas Michaux réalisent, souvent eux-mêmes, des vidéos généralement modestes en moyens mais grandes en ambition: voyage dans le pixel musical belge. Avec un bout d’Alice on the Roof aussi.

« Dans les rues de Jérusalem, on se trimballait une équipe de cinq personnes derrière le groupe, dont deux étaient chargées uniquement de porter le magnétoscope, tellement il était lourd. On courait dans les souks avec une procession insensée, l’encombrement du matériel était effrayant. Cela se passait vers 1982 pour le Valley of the Kings d’Allez Allez. » Pionnier du clip musical en Belgique dans les années 80, réalisateur du Grand Sommeil pour Daho ou de Fly pour Machiavel, le désormais retraité Michel Perrin se marre à l’évocation de l’entreprise parfois babylonienne qui consistait à clipper l’artiste. Dans une décade à la fois tape-à-l’oeil et audacieuse où il n’était pas rare de tourner en 35 mm. Trois décennies plus tard, la révolution a eu lieu et, comme toujours, l’esthétique est façonnée par la poursuite des avancées technologiques (voir encadré). Alors, parfois, il arrive que les tournages de clips belges déploient de gros moyens apparents, par exemple celui de TaxiWars, juteux projet jazzy de Tom Barman: le shooting, au printemps 2015, de Death Ride Through Wet Snow dans un studio près de Bruxelles implique une solide équipe technique, dont le cameraman/directeur photo Renaat Lambeets, ami de Barman, guère réputé pour brader ses prix. Ajoutez-y une caméra HD haut de gamme -la Red- et des lights à profusion, la note s’envole donc. Ben non, la petite boîte bruxelloise en charge de la production ne facture qu’un prix symbolique. En espérant que l’expérience honore d’abord son CV.

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Art de la débrouille suprême et du troc industriel, même lorsqu’une jeune actrice qui monte s’implique dans la vidéo des Liégeois MLCD bouclée de nuit à Londres en décembre 2013. Là aussi, Pauline Etienne, tout juste révélée par son apparition dans La Religieuse, a accepté de se geler dans l’hiver anglais par amour désintéressé du morceau Fire. Mais comme en production de disques, celle de vidéos connaît aussi un échelonnement de prix selon l’origine du financier et le marché visé: ce que Marc Pinilla, producteur, explique pour le tournage du récent clip d’Alice on the Roof pour Lucky You. Pas loin d’être une exception en vidéo belge, en tout cas francophone où, autre tendance majeure, les chanteurs prennent l’habitude de se mettre également derrière la caméra.

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La Chiva Gantiva

PIGEON, RÉALISÉ PAR RAFAEL ESPINEL ET MAURICIO LEDESMA.

Dans les rues colorées d’une ville colombienne, on suit un métalleux à longue tignasse qui mange et danse avec appétit.

Rafael, chanteur de La Chiva: « Cela a été tourné en deux jours à Cali, la ville de Colombie où j’ai grandi. Ado, j’étais dans une école sous l’égide de l’Opus Dei et, en réaction, je suis devenu un radical-métal (sic), du genre à porter des pulls noirs à manches longues y compris quand il faisait 30 degrés. Cali est un endroit superficiel, pas très loin de la côte du Pacifique, mais son modèle, c’est Miami. Moi, j’allais au centre-ville et je croisais les mendiants, les Blacks, les marginaux. Cette vidéo, réalisée en Canon 6D, a pour moi une valeur sentimentale. »

Rafael Espinel a coréalisé quatre des six clips de La Chiva avec Nicolas Moins: tous deux ont étudié l’illustration aux Beaux-Arts de Bruxelles. Comment fonctionne le binôme? Nicolas: « On est complémentaires dans le sens où Rafael veut parfois glisser trop d’idées, donc j’en enlève… J’apporte la « structure européenne » (sourire) et je m’occupe aussi des réseaux sociaux pour La Chiva Gantiva, notamment de la page Facebook. On a d’ailleurs créé notre propre chaîne YouTube, ce qui a aussi fait grandir le groupe, notamment par l’humour des visuels, comme dans Wepaje ou Para arriba. L’argent? On a parfois eu un peu de fric, genre 2.000 euros de la Fédération Wallonie-Bruxelles mais le plus souvent, c’est la débrouille: pour le clip de Pelao, on a réussi à convaincre la firme montoise I-Movix -qui fait notamment des captations aux Jeux olympiques- de nous prêter à l’oeil une caméra Phantom, capable de superralentis et qui se louait normalement à 4.000 euros la journée. »

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Gaëtan Streel

CHACUN POUR SOI, RÉALISÉ PAR GAËTAN STREEL.

Un semi-bobo trentenaire, considérant que tout lui est dû, se conduit d’odieuse façon égocentrique.

Gaëtan Streel: « J’ai publié un message sur Facebook en demandant si des gens étaient intéressés de venir m’aider. J’ai récupéré un peu de matos à gauche et à droite et, mis à part quelques sandwiches et une machine à faire des étiquettes, le clip ne m’a rien coûté. Sauf beaucoup de travail. Faire de l’humour sans argent? Je pense que le résultat peut être beau sans grosse machine derrière soi: dans cette chanson (du nouvel album à paraître le 13 mai, NDLR), je critique une forme d’égocentrisme, celle de gens de ma famille dont la conduite m’a peiné. La vidéo est une catharsis. J’avais en tête American Psycho, un égoïste qui n’a même pas conscience de ses travers. »

« Le clip est d’autant plus important à notre époque qu’une chanson ne passant pas à la radio, avec une chouette image, peut quand même trouver une diffusion naturelle sur le Net. Qui aide à peindre un portrait plus large de la musique. Et puis cette démarche de réaliser soi-même le travail conforte dans l’idée que l’objet artistique m’appartient: c’est aussi la conséquence de fonctionner avec des moyens modestes. »

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Nicolas Michaux

NOUVEAU DÉPART, RÉALISÉ PAR NICOLAS MICHAUX ET LIA BERTELS.

A base d’archives vintage de la RTBF, évocation mélancolique en images graineuses du temps qui passe.

Nicolas Michaux: « J’aime traîner sur le site de l’INA, sur YouTube ou sur la Sonuma qui gère les archives de la RTBF: j’y ai découvert les trois reportages qui ont été montés dans le clip. Le premier, signé Josy Dubié, montre la crise dans les années 70 du bassin sidérurgique liégeois: ma grand-mère occupe toujours à Ougrée une habitation sociale qu’elle habite depuis 1951. Mon grand-père sous-traitait d’ailleurs avec Cockerill. Les autres images viennent du cramignon, une danse traditionnelle de la Basse-Meuse et puis il y a aussi ce reportage sur le vieux Bruxelles des Marolles, le tout évoquant à la fois l’usine et la célébration du week-end. Avec l’achat des archives, le clip a dû couter 700 euros, la Sonuma nous a fait un bon prix.  »

« J’essaie de travailler avec des connaissances: la coréalisatrice Lia est la copine d’un ami, et pour cet album-ci, l’idée était vraiment de ponctionner égoïstement le talent de mon entourage. J’aime bien la notion de « scène », de famille et je me méfie d’un clip qui cannibaliserait la chanson. J’aime aussi le rituel, le souffle, le fait de capter l’instant: c’est pour cela que j’ai demandé à la photographe Lara Gasparotto de réaliser les images du disque et de la promo lors d’une balade sur un terril. On sentait la destruction de la nature par l’industrie charbonnière et la repousse ultérieure, tout comme la solitude dans un milieu organique. »

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UTZ

TUDO PARADO,RÉALISÉ PAR RENATO BACCARAT, CHRISTOPHE VANDERBORGHT ET JOOP PAREYN.

Un personnage masculin dessiné sort de son cadre au mur pour rejoindre -en animation- une fille de la même espèce de l’autre côté de la pièce.

Renato Baccarat: « A la base, je suis illustrateur, j’ai fait les Beaux-Arts à Bruxelles, et je suis super attaché à l’image en général. Le clip est devenu indispensable pour n’importe quelle proposition musicale: en postant la vidéo de Tudo parado et une autre pour Braços, on a fait le constat que plus c’est narratif, plus c’est partagé. La notion de « petit film » accentue le rayonnement du morceau. Tudo parado a coûté environ 1.000 euros, histoire de payer un peu mes deux coréalisateurs pour un jour de tournage et deux d’intégration des animations qui, elles, ont pris une bonne semaine à fabriquer. Avec un peu plus de 2.000 vues, Tudo parado a fait un score honnête pour la Belgique, mais modeste quand on voit qu’un groupe à la même échelle qu’UTZ au Brésil (Renato est né à São Paulo, NDLR) va très vite enclencher 15.000 visites. »

« Le Brésilien est très fort dans la fable, dans l’anecdote, dans la métaphore pour illustrer une idée et, souvent, en décalage. Par exemple, l’ivrogne et l’équilibriste était une métaphore pour parler de la dictature au Brésil dans les années 60. L’humour me touche beaucoup, même si entre les cultures belge et brésilienne, il ne passe pas la barrière… En ce qui me concerne, j’ai l’impression que les deux pays m’ont nourri et j’adore la poésie de Michel de Ghelderode. »

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Alice on the Roof

LUCKY YOU, RÉALISÉ PAR MARC CORTESE ET MÉLANIE BRUN.

Alice passe le miroir vers un univers de cocktail bar peuplé de danseurs flamants roses.

Marc Pinilla, chanteur de Suarez et producteur d’Alice: « Comme je suis le producteur des clips d’Alice, je paie. Lucky You est le troisième clip de l’album, en partenariat avec Sony France qui a des envies et un ressort international: je les suis dans leur mouvement et le label m’avance une partie des liquidités à débourser. C’est l’une des ressources des multinationales. Lucky You a été réalisé à Paris en un jour avec de grosses machines, pas le 5D traditionnel. Je n’ai pas trop envie de parler du coût parce que le chiffre peut paraître démesuré: disons qu’en France, en dessous de 15.000 euros, on n’a rien. »

« En Wallonie, l’image est très, très peu importante parce qu’on est un petit pays (sic), on n’a pas besoin de paillettes ni de prétention mais d’une bonne chanson et d’un personnage sympa. Mais en France, en Allemagne ou même en Flandre, il y a davantage une mentalité de grand pays et comme la concurrence est rude, l’image est essentielle, la bonne chanson ne suffit pas: il faut renvoyer quelque chose de fort. On a choisi Cortese et Brun parce qu’ils savent diriger les acteurs qui n’en sont pas -faut trouver des subterfuges et des parades pour nos faiblesses- et on essaie de faire rêver les gens pendant trois minutes. »

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Esthétique et technologie

Le passage de la pellicule, éradiquée du clip contemporain, à la vidéo haute définition s’est fait en plusieurs étapes: aux authentiques caméras full HD du début de millénaire dont l’achat est conséquent (100.000 euros, plus pour un modèle cinéma) se sont substituées des machines dix fois moins chères mais, surtout, une génération d’appareils photo équipés de vidéo. Le Che Guevara du genre s’appelle Canon 5D EOS Mark II et lorsqu’il arrive sur le marché en 2008, il transforme littéralement la façon de filmer. Par son prix bas -moins de 3.000 euros le boîtier-, il offre une image qui donne d’emblée une impression cinéma. Moins par sa résolution, inférieure au piqué du grand écran, que par la texture de l’image et sa profondeur de champ possiblement réduite. D’où des milliers de clips (de documentaires et de courts métrages) où le flou derrière le personnage central dessine une nouvelle forme d’imaginaire, tout comme la sensibilité de l’exposition qui permet de tourner également en (très) basse lumière. Les fichiers étant traités par une post-production elle aussi aux coûts nettement réduits: un portable et un programme genre Final Cut suffisent à terminer le produit. Canon continue à sortir des modèles d’appareils photo et se trouve désormais en concurrence avec d’autres ustensiles mobiles à petit prix -comme la Black Magic-, ce marché-là étant désormais en route pour la norme cinématographique ultra HD, la 4K.

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