C’est la fin du monde, dansons!

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

En Angleterre, malgré la pandémie, certains s’attendent à un nouveau Summer of love, un été de raves illégales et de fêtes débridées. Ici aussi, ça teuffe pas mal malgré le risque sanitaire. C’est déplorable mais c’est peut-être bien aussi la naissance d’une nouvelle contre-culture. Ce Crash Test S05E40 l’espère, en tous cas. Parce que sinon…

L’autre jour, en rentrant chez moi, je marchais derrière une fille à la voix caverneuse qui avait visiblement passé une nuit à cloper, danser et hurler, accompagnée d’un ahuri qui avait bien du mal à cacher qu’il était en descente d’ecsta. « Les gens de la fête hier soir étaient tous très gentils et prévenants« , a-t-elle dit. Les gens? Non, mais hé ho, t’es pas censée voir des gens, duconne! Aucune envie de repasser trois mois entre quatre murs à cause de ton BESOIN de faire la fête! Si tu veux vivre à fond, va donc camper à Fukushima, ça te fera encore plus de sensations que d’écouter de la mauvaise techno avec des débiles à moustaches dans un trois-pièces en enfilade bruxellois en pleine pandémie! C’est à cause de gens comme toi qu’on n’aura pas de concerts avant 2021 et qu’au bistro, on doit boire des bières dans une cage de plexiglas! Andouille, morue, assassine du contrat social! Gnagnagna. Cinq minutes de dégoût plus tard, je me suis malgré tout dit qu’on assistait en fait sans doute là à la naissance d’une nouvelle culture, d’une contre-culture même. Un été sans festival, sans discothèque, sans nuit complète dans les bars, sans promiscuité autorisée, ça va forcément partir en vrille. En fait, c’est même déjà la saucisse totale.

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On connaît la polémique bruxelloise autour de cette fête improvisée Place Flagey, il y a quelques semaines, et qui n’est que la pointe immergée de l’iceberg. Ça teuffe en effet beaucoup en ce moment, ici comme ailleurs. En Angleterre, ils en sont carrément à craindre un nouveau Summer of love. Les raves prolifèrent, de même que les fêtes à domicile. Ça picole sec, ça se came grave, ça jette ses cannettes vides dans les fourrés… C’est en fait drôlement nihiliste. Forcément, vu qu’on peut y choper un virus potentiellement mortel et qu’on vous a promis pour Noël la plus maousse crise économique depuis 1929. Dans un article du Guardian, une jeune femme revenue d’une rave illégale de 6000 personnes dans un parc de Manchester évoque une « vibe glamour post-apocalyptique ». « Ces gens ne sont pas des clubbeurs, mais des crétins égoïstes » a dit de ces fêtards le patron d’une discothèque de Manchester et, en gros, je suis assez d’accord avec lui. Reste que ces morveux irresponsables semblent découvrir une radicalité qu’ils n’avaient jusqu’ici pas forcément croisée. Ils ne se mettent pas juste la tête à l’envers, ils font perdurer l’esprit DIY et pratiquent la désobéissance civile sans la mettre en scène. Ne pas respecter la distanciation sociale et les gestes barrière pouvant coûter cher, on garde le profil bas. On transgresse en douce, l’air de rien. Ce qui est déjà un très gros changement dans la culture ambiante: se remettre à vivre des trucs sans penser aux photos que l’on va partager sur les réseaux sociaux.

Il pourrait sortir de belles choses de tout ce bordel, avec un peu de temps et un zeste de maturitu0026#xE9;.

« Pour les jeunes gens qui n’ont connu que la scène club commerciale, les raves illégales ressemblent à la découverte de la dance-music en Technicolor« , résume encore très bien le Guardian. Traduisez: un morceau de musique destiné à mettre sur la tête des milliers de personnes en plein air ne sonne généralement pas comme de la deep house taillée pour un petit club de 300 personnes. Il va donc éventuellement y avoir production de nouvelle musique tout spécialement destinée à ces teufs. Ainsi que des clashs avec la police, de la saisie de matériel, une culture du secret, de nouvelles têtes à suivre. Celles et ceux qui participent déjà à cette scène émergente semblent complètement se foutre que la tenue de ces fêtes illégales retarde la réouverture des concerts, des soirées et des discothèques. Comme, fin des années 80, les ravers se foutaient pas mal que le succès de leurs fêtes balayait les discothèques qui passaient encore des slows et des bambas, après les trois rocks et les trois funks. Cette jeunesse est en train de découvrir et de créer quelque chose qu’elle trouve mieux, plus excitant, plus sauvage, plus parfumé aux risques. Je ne dis pas que c’est bien. Du tout même. Pour moi, comme on est là, on est même drôlement plus proches d’un culte morbide et suicidaire que d’une free party digne de ce nom. Mais ce n’est que le début. Il pourrait sortir de belles choses de tout ce bordel, avec un peu de temps et un zeste de maturité. Il faudrait même qu’il sorte de belles choses. Parce que si on n’en reste qu’à un hédonisme de fin du monde et à de potentiels clusters viraux, alors, peut-être bien que c’est en fait vraiment le début de la fin.

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