Carnet de route de Nicolas Wieërs, patron de Balkan Trafik

Nicolas Wieërs: "La Moldavie, c'est la Bulgarie d'il y a 25 ans. À part ça, la nature est magnifique, le vin est délicieux." © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Patron de Balkan Trafik, Nicolas Wieërs a quitté la Belgique pour s’installer en famille en Moldavie, le plus pauvre pays d’Europe. Tout en bossant sur l’édition digitale 2021. Carnet de route d’un balkaniste passionné.

Mouiller son maillot, expression simplette ayant le mérite d’être visuelle. Mais pas que. Nicolas Wieërs, 45 ans et 1 mètre 96 quand même, vaut bien deux fois la qualification. D’abord en déménageant, il y a quelques mois, avec sa femme et leurs deux enfants de huit et six ans, à Chisinau, capitale de la Moldavie. Cité probablement aussi inconnue à vos oreilles que comme centre d’un pays d’une superficie comparable à la Belgique.

Coincé entre la Roumanie et l’Ukraine, le coin n’est pas le plus fun d’Europe: pauvre, chamboulé par l’Histoire récente, volontiers corrompu et soumis à la vampirisation russe. L’autre mouillage perso de Nicolas, on le découvre dans les teasers d‘une série documentaire centrée sur les Balkans qu’il réalise. Le natif de Montignies-sur-Sambre, deux fois champion de Belgique de boxe amateur, a décidé de mener un autre combat. De passage à Bruxelles, il explique comment les planètes balkaniques se sont alignées: « Ma femme autrichienne travaille pour la Délégation européenne. On s’est rencontrés via le travail sur les Balkans et le festival. Elle travaillait alors pour le Kosovo et moi, j’avais mon boulot de réalisateur chez Euronews et j’étais freelance au sein des institutions européennes. Elle a eu la possibilité de partir dans les Balkans pour un contrat de quatre années. Je me suis dit que c’était aussi une occasion pour moi d’en apprendre plus sur la région. »

On est à l’été 2020, Nicolas et sa famille déménagent en Moldavie. Il ouvre alors un petit bureau, proche de ceux d’acteurs culturels locaux. Dans un bâtiment de style communiste de six étages, intégralement occupé par des artistes, Nicolas persiste dans son travail de faiseur de ponts entre l’Europe (unionisée, administrative), les Balkans, la Moldavie et aussi la Russie, le grand voisin encombrant.

Les enfants Wieërs fréquentent une école anglophone où s’apprend aussi le moldave, variant à peine du roumain. Nicolas: « C’est magnifique parce que les enfants commencent à le parler! Oui, on a des relations avec le milieu expat’, mais ce qui m’intéresse, c’est de m’intégrer dans la société civile de Chisinau alors qu’il n’est pas forcément facile d’y vivre ce que l’on appelle l’interculturalité. Revenir à Bruxelles après huit mois et seulement des déplacements dans les Balkans, voir ici l’état des routes, les magasins et l’architecture. Wow! À Chisinau, les bâtiments sont gris, mornes, rien n’y a été changé ou entretenu depuis la fin du communisme. La Moldavie, c’est la Bulgarie d’il y a 25 ans. À part ça, la nature est magnifique, le vin est délicieux. » Nicolas & Co sont arrivés donc dans ce drôle de morceau d’Europe alors que, depuis une année, la nouvelle présidente, Maia Sandu, tente de sortir son pays des réflexes brejnéviens/poutiniens comme de l’antique corruption endémique. Là où les jeunes rament bien fort, donnant l’impression, selon notre interlocuteur, qu’on a quand même de la chance de vivre notre Europe, même bancale, même en pleine pandémie.

L’une des leçons données par Balkan Trafik est bien là: montrer la volonté de ces pays de l’Est et du Sud-Est européen de se dégager d’une Histoire lourde. Sans l’être forcément dans les mots, le discours de Balkan Trafik est hautement et viscéralement politique. Un peu par testostérone, celle naturelle de Wieërs, mais aussi par partage européen, continental, universel. Avec cette fois un enthousiasme affiché par son organisateur pour le street art moldave. « J’invite le belge Pierre Coubeau et un super jeune gars du coin, Bima. Au mois de mai, il y aura une première graphique entre les deux. » Le côté vraiment bien de Wieërs, c’est qu’il n’a guère de limite d’audace ou de timidité artistique. Donc là, hormis l’édition digitale de Balkan Trafik 2021 (lire encadré ci-dessous), Nicolas a la volonté de faire tourner des artistes belges dans les Balkans: « Les deux créations belges pour le festival BT cette année, j’aimerais les faire tourner cet été en Moldavie, dans de chouettes petits festivals. Et puis, je ne fais pas bosser les gens gratos, je vais les payer! L’important, c’est de jeter des ponts. »

Une édition 2021 online

« Balkan Trafik, c’est de la musique, du cinéma et déjà deux bandes dessinées parues, résume Nicolas Wieërs. Et puis, il y a aussi une série de dix documentaires de 26 minutes à travers au minimum six pays. Le premier est situé au Kosovo et le second en Bosnie-Herzégovine. » Intégralement digitale à l’exception des photos de Klaus Reimer exposées au Delta à Namur, l’édition 2021 de Balkan trafik intègre aussi le docu du même Nicolas Wieërs sur le Kosovo, via une application disponible sur le site.

Cette année, la musique constitue l’essentiel du festival, avec deux projets particuliers: l’invitation faite au Franco-Libanais Ibrahim Maalouf de rejoindre le Balkan Jazzovic Quintet et à l’Espagnole Amparo Sánchez (Amparanoia) d’onduler en compagnie de The Rocking Beez. On retrouvera avec plaisir Shantel -DJ musicien allemand- et son mix de sons méditerranéens et balkaniques et l’on découvrira avec la même sensation de fraîcheur énergétique les Serbes free de Naked, les Moldaves funky de Zdob si Zdub et le projet belgo-rom de Mec Yek. Balkan Trafik débattra aussi d’essentielles questions actuelles comme celles de la réalité des frontières européennes. Cela et d’autres choses pour un pass global à 9,99 euros. www.balkantrafik.com

Carnet de route de Nicolas Wieërs, patron de Balkan Trafik
© GETTY IMAGES

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