Serge Coosemans

BX-Hell Underground (4): 1983-2004, Rock-à-Gogo avec Jacques « Ponpon » de Pierpont

Serge Coosemans Chroniqueur

DJ Kwak et Serge Coosemans partent cet été à la rencontre de figures s’étant dans un passé un peu oublié illustré au sein de différents undergrounds bruxellois. Le tout évidemment recouvert d’une bonne couche de zwanze…

C’est, de nos jours, quasi inconcevable. Une émission de radio nationale, diffusée à une heure correcte, qui sert de plateforme à la scène underground locale. Cela non pas pour renvoyer l’ascenseur aux labels et honorer le pouvoir subsidiant mais bien par pure passion. À la gonzo, en plus, en ne se contentant pas de rester un témoin mais bien de devenir un acteur de ces courants culturels, en plein coeur de l’action. Attentif à ce qui se trame dans le rock, la bédé et le polar mais aussi du côté de Front 242, de ses suiveurs et autres adeptes, du hardcore, du métal et du hip-hop le plus saignant. Sans oublier les films fantastiques et les festivals. Avec toujours cette idée de secouer le cocotier culturel. Tout cela, entre 1983 et 2004, c’était Rock-à-Gogo, un programme de Radio 21 aujourd’hui mythique animé par le non moins mythique Jacques de Pierpont, alias Ponpon; seul équivalent national de John Peel, même si un tantinet plus rétif que l’Angliche face au reggae et à la techno, par exemples.

En débutant cette série de podcasts, avec Kwak, on s’était jurés d’éviter au maximum une habitude pour laquelle je traîne une certaines réputation, voire même une réputation certaine: la langue de pute. Critiquer continuellement les médias actuels et plus particulièrement la RTBF. Nous voulions parler des undergrounds passés sans malmener le présent. Sans octroyer à certains « usual suspects » la responsabilité de la quenouille actuelle. En on ou en off, tous les intervenants précédents sur nos podcasts se sont par contre considérablement lâchés, à tel point qu’il semble en fait impossible d’aborder le sujet de l’underground bruxellois et belge sans déplorer une « véritable révolution copernicienne » dans l’art de consommer et de médiatiser la culture. C’est un constat plus que du troll, un dossier à charge plus que la manifestation d’une nostalgie de vieux schnock. Oui, c’était mieux avant. Oui, ça pourrait être resté formidable. Il se fait juste qu’une conjuration de tristes sires à l’état d’esprit piteux ont fait que c’est désormais impossible. Ou presque. Plus que quiconque avant lui devant notre micro, Ponpon s’est laissé aller au constat saignant. La détérioration du terreau nécessaire à l’émergence de mouvements créatifs hors-normes. Le manque de relais médiatiques. Le formatage. La segmentation. L’involution de la notion de service public.

BX-Hell Underground (4): 1983-2004, Rock-à-Gogo avec Jacques

Jacques de Pierpont: « Je ressens aujourd’hui une forme de fatalisme. Il y a trop de chapelles culturelles et beaucoup moins de passerelles qu’avant entre les différents genres artistiques. L’underground se divise en petits cocons protecteurs et étouffants, perpétués par de vieux rats ayant plus ou moins bien vieilli mais sans que les 18-25 ne renouvellent vraiment le truc. Vers 2000, il y a un gros reflux. C’est l’avènement du recyclage permanent. L’obsolescence programmée ne touche pas que les machines à laver, c’est valable pour Lady Gaga, aussi. Il n’y a plus de grand mouvement rebelle qui balaye tout. Aux yeux de beaucoup de gens, tout a maintenant une valeur égale, ou plutôt une non-valeur égale. C’est un grand magma mou, tranquille, il y a cette grande léthargie qui endort tout. Il n’y a plus de grands concerts historiques où se sentir faire partie d’une grande communauté et pas simplement d’une micro tribu repliée sur elle-même. Les années 80-90 étaient une période bénie mais ce n’est plus possible de revivre ça aujourd’hui. »

« Ce n’est plus possible de faire sur une radio de grande écoute un Rock-A-Gogo en 2013. Déjà, la notion de service public s’est affadie. Ensuite, les chefs de maintenant sont éduqués pour être chefs. Ils ont cette logique de recours aux bureaux d’études. Avant, les idées d’émissions venaient d’en bas et remontaient vers le haut. Là, c’est le contraire. C’est la direction qui lance un concept avec un cahier de charges déterminé et les gens d’en bas sont perçus comme de simples exécutants. C’est une véritable révolution copernicienne. Ces gens-là ne sont pas à l’écoute de leurs troupes et du public. Ils sont à l’écoute d’experts autoproclamés. Pour qu’il y ait un underground créatif, il faut aussi que les gens ressortent de chez eux. Or, dans une ville comme Bruxelles, ça peut être compliqué de faire bouger les gens à 2 kilomètres de l’hypercentre. Il y a des bistrots rock à Jette (l’Excelsior) et à Schaerbeek mais c’est difficile pour eux. Le public se déplace moins, on s’investit moins dans la culture. »

Menacée une première fois de déprogrammation en 1993, Rock-à-Gogo avait généré une pétition favorable au maintien sur les ondes de 25.000 signatures (dont celles « de scouts catholiques et de jeunesses libérales »). Un grand concert de soutien avait été organisé aux Halles de Schaerbeek, monté conjointement et dans la bonne humeur par des agences aux rivalités pourtant affirmées. En 2004, au moment de formater Pure FM, il a par contre été clairement signifié au bonhomme que ce coup-ci, on se fichait complètement des soutiens éventuels. Rock-à-Gogo, c’était fini et bien fini. Là, il y a peu, de Pierpont s’est finalement fait lourder de Pure (il reste sur Classic 21), cette fois dans une indifférence quasi générale. Parce que plus personne n’écoute la radio? La faute aux bureaux d’études, bien sûr. Notre homme, lui, est entré dans l’histoire du rock belge. Mieux: l’histoire du rock belge, c’est lui.

L’interview in extenso sous forme de podcast ci-dessous:

BX-Hell Underground (4): 1983-2004, Jacques de Pierpont by Focus Vif on Mixcloud

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