Bill Callahan: un apôtre à l’AB

Bill Callahan (ici au Café de la Danse à Paris, en 2010) © Flickr/djenvert

Le héros très discret s’est enfin rendu en capitale européenne. Il était attendu depuis des années par ses fidèles, impatients, pleins d’espoir, désireux d’être inondés par ses lumières fades… Hier soir, ils ne furent pas déçus.

19h30, Boulevard Anspach, l’AB a rendez-vous avec l’Histoire. Le sait-elle à cette heure-ci? Sans doute. Le public rôde, il n’est pas concentré sur ses discussions, les coups d’yeux furtifs inondent les lieux. Partout on cherche. Partout on scrute la trace du Dieu muet, l’ombre du prince désenchanté. Où est-il? Comment se prépare-t-il? Quels titres va-t-il interpréter? La première partie commence avec un gentil Scottish, folkeux, guitare acoustique en bandoulière qui occupe l’immense scène vide du temple. Alasdair Roberts sait très bien qu’aussi sympathique soit-il, ses chansonnettes traditionalistes ne passeront pas l’épreuve du temps, dans un instant, elles seront balayées d’un revers de manche de guitare par l’ouragan du Maryland.

« T’ank you »

Les préliminaires envoyés, il est temps de passer au plat de résistance. Le public a la dalle. Quatorze ans, 7 albums callahanesques que Bill n’était pas venu habiter les lieux. Les minutes qui séparent les deux sets sont interminables. Puis le voilà. En un accord, il n’y a plus un centimètre carré de disponible. Silence, l’audience à grande majorité flamande est disciplinée. Plus un bruit, plus un murmure, on ferme les yeux. On attend. Formation classique: guitares, basse, batterie mutante composée de fûts et de percussions. L’arrivée est nonchalante – pas méprisante – mais pudique. Les alt-countristes savent que l’on va aller jusqu’au bout du bout, tous ensemble. On commence avec les nouveaux titres du petit dernier Dream River, il faudra attendre trois-quatre morceaux avant que l’apôtre lâche un généreux « t’ank you » à ses auditeurs déjà envoûtés. C’est là que tout commence. On arrête les politesses, on se chauffe, il est temps d’entamer le premier point d’orgue, le premier col avec America de l’avant-dernière Apocalypse. C’est parti. Il se passe quelque chose d’unique, cette version live dévoile un potentiel post-rock et psychédélique à cette chanson. On a même envie de danser, de pleurer, mais on est pas là pour ça. Une explosion toutes les dix secondes, on change de couleur à chaque mouvement de mèche du messie. Chaque instant est chargé, mais pourtant tellement sobre.

L’Amérique aride

Nous écoutons de la musique d’aigle décati. Nous sommes la dernière goutte de bourbon rescapée d’une bouteille crasseuse dans une Airstream garée au milieu du Désert de Chihuahua. Nous sommes petits. Nous sommes l’Amérique aride, désenchantée. La suite est impeccable, surprenante. Bill Callahan revisite Bill Callahan avec une intelligence rare. Il s’impose comme le copain qui ne parle pas que pour être juste. Et on comprend alors qu’il est le plus grand, que sa voix d’outre-tombe enterre tout ce que le marketing nous impose comme légende. Autre point d’orgue: One Fine Morning, qui arrive à surpasser la version de l’album. Difficile de ne pas convulser. Les incontournables s’enchaînent, impossible de mesurer le temps qui passe, mais comme nous sommes allés haut, comme nous survolons les plaines d’un continent éternel, il doit être tard. Peut-être l’heure de rentrer. Le set se termine sur un solo de chaque musicien, généralement déglingué, déconstruit, pesant. À ce stade-là, les instruments jouent seuls. Il n’y aura qu’un titre de rappel. Que le public choisira. Il ne reste plus que l’espoir. Celui d’un album qui fera passer Rough Travel for Rare Thing pour un brouillon. L’avenir musical du géant semble enthousiasmant et plein de surprises. Nous simples mortels resteront à jamais touchés par la grâce disgracieuse du plus grand, du plus humble. Merci pour ce beau cadeau.

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