Murakami au cinéma: des adaptations rares mais précieuses

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Alors que Saules aveugles, femme endormie est en salles, retour sur les adaptations de l’œuvre de Haruki Murakami pour le grand écran.

Curieusement, eu égard notamment à sa qualité et à sa notoriété, l’œuvre de Haruki Murakami n’a été portée à l’écran qu’avec parcimonie. Quelques réalisateurs japonais s’y sont bien sûr essayé, comme Kazuki Ômori qui, en 1982, adaptait Écoute le chant du vent, le premier roman de l’auteur, Juni Ichikawa qui, une vingtaine d’années plus tard, en 2004, s’emparait de la nouvelle Tony Takitani, ou Daishi Matsunaga qui, en 2018, en faisait de même avec La Baie de Hanalei, empruntée au recueil Saules aveugles, femme endormie –autant de films restés inédits sous nos latitudes cependant.

La première adaptation de Murakami à avoir connu un rayonnement international, on la doit au cinéaste franco-vietnamien Tran Anh Hùng qui, en 2010, proposait, sous le titre Norwegian Wood, une étincelante version de La Ballade de l’impossible. S’il en préservait le cadre temporel -la fin des années 60- comme l’ancrage japonais, le réalisateur réussissait surtout, à la suite de ses jeunes protagonistes, à restituer l’essence du roman, oscillant entre amours enfuies et hypothétiques lendemains en quelque déambulation mélancolique ouvrant sur l’éternité. “Ce roman parle d’amour, de perte et de deuil. Mais ce qu’il y a de vraiment spécial dans le livre de Murakami, c’est qu’il crée une relation intime avec le lecteur, nous confiait le cinéaste à l’époque. ça ne m’était jamais arrivé, avec aucun autre livre: en général, on ressent une sorte de distance, mais là, on se sent tout proche, et ça, grâce à sa manière d’écrire. Murakami écrit comme s’il courait un marathon dans sa vie, c’est un long processus. Dans ses livres, il n’y a pas une ligne qui soit fausse. Il écrit de manière très simple, les choses s’ouvrent lentement, pas à pas, et vous vous demandez jusqu’où il va pouvoir aller. Vous éprouvez le sentiment que ça vous pénètre toujours plus profondément -voilà pourquoi j’ai aimé ce roman au point de vouloir en faire un film.” Pour ce qui reste peut-être la transposition la plus fidèle à l’œuvre de l’écrivain nippon.

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Histoire de granges

Huit ans plus tard, le Coréen Lee Chang-dong procède de manière sensiblement différente pour Burning, librement adapté de la nouvelle Les Granges brûlées (reprise dans le recueil L’éléphant s’évapore). Adepte des récits sinueux, l’auteur de Poetry y a intégré des éléments de Barn Burning (L’Incendiaire, de William Faulkner). Une démarche qu’il éclairait en ces termes: “La nouvelle de Faulkner parle de colère. C’est la raison pour laquelle, bien que le film soit une adaptation de la nouvelle de Murakami, il s’inspire aussi en partie de l’univers de Faulkner. Le texte de l’écrivain américain raconte l’histoire de la colère d’un homme à l’égard de sa propre vie et du monde, et évoque de manière saisissante la culpabilité qu’éprouve son fils envers les crimes de son père. Murakami, lui, raconte l’histoire énigmatique d’un homme qui met le feu aux granges pour le plaisir. Finalement, les deux écrivains racontent la même histoire de deux façons contraires: si la grange de Faulkner est bien réelle, puisque c’est l’objet vers lequel il dirige sa colère, la grange de Murakami est une métaphore plutôt qu’un objet tangible.” Quant au film, s’il semble vouloir adopter une trame romantique triangulaire classique, il se dérobe bientôt pour glisser vers le thriller métaphysique. Et laisser Jongsu, son protagoniste central, se consumer d’un feu intérieur incandescent et errer dans un entre-deux, réalité et imaginaire se confondant comme dans une dimension parallèle, motif intimement murakamien s’il en est.

Le cinéaste japonais Ryûsuke Hamaguchi sera le suivant à se frotter à l’univers de l’écrivain. À l’instar du Saules aveugles, femme endormie de Pierre Földes, Drive My Car (2021) est un agrégat de plusieurs nouvelles parues dans le recueil Des hommes sans femme. À savoir, plus précisément celle qui donne son titre au film, mais aussi Shéhérazade et Le Bar de Kino, que l’auteur-réalisateur a assemblées en un tout d’une ampleur exceptionnelle. “Mes producteurs m’ont suggéré d’adapter une nouvelle de Murakami, nous expliquait-il alors. J’avais toujours considéré son œuvre assez difficile à traduire au cinéma, en raison de son contenu et de la place qu’y occupe l’imagination. Mais je me suis souvenu qu’à l’époque où j’avais lu Drive My Car, j’avais trouvé cette nouvelle assez réaliste, et donc plus simple à transposer. Elle ne suffisait toutefois pas pour un film d’une durée de deux heures, et j’ai donc intégré des éléments empruntés à d’autres nouvelles, mais aussi à Oncle Vania, de Tchekhov. Une chose que j’ai gardée à l’esprit, c’est que quand Murakami écrit un roman ou une longue nouvelle, il adopte une structure particulière: que ce soit dans 1Q84, Kafka sur le rivage ou La Fin des temps, on retrouve une même structure, avec un faisceau d’espoir à la fin, un élément que j’ai tenu à conserver dans la construction du film.” Lequel, emboîtant le pas à Yûsuke Kafuku, un metteur en scène de théâtre frappé par la mort soudaine de sa femme, s’insinue au plus profond de la douleur. Pour réussir, depuis l’habitacle d’une Saab rouge, à embrasser des thèmes comme le deuil, le pouvoir des mots et celui de la création, en un geste d’une grâce souveraine. “J’ai veillé à respecter ce que Murakami avait en tête quand il a écrit cette histoire”, relevait encore Hamaguchi: du cinéma et de la littérature comme révélateurs…

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