Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

LES SIX DISQUES DE PAUL MOTIAN PUBLIÉS PAR ECM ENTRE 1972 ET 1984 ONT ÉTÉ RÉUNIS DANS UN COFFRET MINIMALISTE MAIS ESSENTIEL…

PAUL MOTIAN

« OLD & NEW MASTERS EDITION »

ECM 2260-65 (NEW ARTS INTERNATIONAL)

****

Paul Motian fait partie de cette poignée de batteurs ayant révolutionné la pratique de leur instrument au début des années 60. Sa première consécration, il la connaît aux côtés de Bill Evans dont, à l’instigation du bassiste Scott Lafaro, il devient le batteur attitré (après avoir déjà joué sur le premier album du pianiste, New Jazz Conception, en 1956) pour une aventure qui marquera l’Histoire du jazz: celle d’un trio où chaque membre est un soliste à part entière dans un ensemble qui allie rigueur et liberté. Ils légueront à la postérité trois albums (Portrait in Jazz, Explorations, Sunday at the Village Vanguard, enregistrés entre 1960 et 1961) qui n’ont cessé d’inspirer d’innombrables trios de piano depuis. L’autre rencontre fondamentale qu’effectue Motian lors de cette même décennie se nomme Paul Bley. Pianiste aussi génial qu’Evans, dont il est proche tout en étant son contraire absolu, le Canadien l’initiera à l’improvisation libre, faisant de lui le seul batteur issu du bop à réussir une transition parfaite vers le free. C’est de ces deux expériences que naîtra le style définitif de Motian: celui d’un iconoclaste dont le jeu oscillera toujours entre foisonnement impressionniste et minimalisme ultra expressif.

Devenu l’un des batteurs les plus sollicités du métier, Paul Motian n’enregistre son premier disque personnel qu’en 1972, à 40 ans passés. C’est cette étape majeure que documente ce coffret: celle des débuts en tant que leader d’un musicien déjà reconnu comme un maître de son instrument. Ce saut dans un univers neuf doit beaucoup à Keith Jarrett qui, en offrant au batteur un piano, transformera l’autodidacte en un compositeur atypique. Avec ses mélodies ouvertes sur l’improvisation, Conception Vessel pourrait d’ailleurs passer pour un disque de Jarrett puisqu’on y retrouve son groupe au complet (Charlie Haden, contrebasse, Sam Brown, guitare, et le patron au piano), augmenté d’une flûtiste et du violon de Leroy Jenkins. Tribute, qui lui succède, s’inscrit dans la même veine: sans Jarrett mais avec un Carlos Ward aux accents colemaniens à l’alto et un second guitariste nommé Paul Metzke. Rompant radicalement avec l’univers de son ancien employeur, Motian enfante son chef-d’oeuvre absolu avec son troisième opus. Si Dance, formidablement servi par le bassiste David Izenzon et le saxophoniste Charles Brackeen, deux musiciens révélés par Ornette Coleman, s’inscrit dans la mouvance de ce dernier, il pousse plus loin encore l’exploration triangulaire abandonnée par l’inventeur du free jazz. Le Voyage qui suit est son jumeau presque parfait. Jean-François Jenny-Clark a succédé à Inzenzon mais les cinq titres qui le composent s’inscrivent directement dans la mouvance de Dance. Psalm et It Should’ve Happen A Long Time ago qui leur succèdent souffrent de faire partie de la première génération des enregistrements numériques. Heureusement, le côté aseptisé de la prise de son se voit compensé par l’extrême dynamisme de la musique. Le premier scelle la rencontre de Motian avec Joe Lovano (sax ténor) et Bill Frisel (guitare) au sein d’un quintette. Le deuxième donnera lieu, avec les précités, à un trio légendaire qui ne disparaîtra qu’à la mort du batteur.

PHILIPPE ELHEM

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content