VICTIME DE SON SUCCÈS, D’UN MONDE OÙ TOUT EST MARCHANDISÉ À L’EXCÈS, LE ROCK INDÉPENDANT S’EST DILUÉ DANS LA GRANDE DISTRIBUTION. MAIS QUE RESTE-IL D’INDIE, EN 2012, DANS L’INDUSTRIE DU DISQUE?

On l’a dit « punk » pour son attitude des débuts, « underground » pour l’endroit d’où il a émergé ou « alternatif » quand le mainstream l’utilisait comme antidote à son propre poison. Se demander ce qu’il subsiste de l’indie rock aujourd’hui, c’est déjà s’interroger sur l’une des étiquettes les plus floues de l’histoire de la musique. Le rock naît indépendant avec les premiers disques d’Elvis sortis par Sun, petite boîte du Tennessee dirigée par Sam Phillips. Il devient cependant très rapidement le joujou d’une industrie qui n’a pour but que le profit. Dès les années 60. Quand des conglomérats, à commencer par Columbia (CBS), qui ont des parts dans des stations de radio, des maisons d’édition musicale et des chaînes de télévision, se décident à en prendre le contrôle. La notion de musique alternative, en marge d’une pop de consommation plus large, apparaît dans les sixties avec le mouvement hippie et le développement de la contre-culture. L’apparition de l’underground et des groupes pour initiés.

L’explosion punk de 1977 en remet une couche. Le punk, c’est l’ère du do it yourself, de l’autoproduction, des petits labels indépendants, des moyens sommaires. De tous ces petits groupes qui veulent se passer des maisons de disques institutionnelles, de leurs salariés, de leurs plans comm’ et de leur réseau… L’indie rock s’est toujours défini davantage par ce qu’il contestait que par ce qu’il était.

Alors que les fortunes dépensées par les Who, Pink Floyd et autre Genesis ne font pas forcément de meilleurs albums, des marginaux comme Ian Dury et Elvis Costello se voient offrir fin des années 70 la possibilité d’enregistrer et de sortir des disques.

Avec leur label, Stiff, mais aussi Rough Trade (Buzzcocks, Stiff Little Fingers…), Factory (Joy Division), 4AD (Bauhaus, Cocteau Twins, Pixies…), Creation (The Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine…), Mute (Depeche Mode), les années 80 constituent en Grande-Bretagne l’âge d’or du rock indépendant.

Aux Etats-Unis, le punk hardcore (Dead Kennedys, Bad Brains…) radical et militant est son phénomène le plus marquant. De nombreuses majors créent d’ailleurs dans la foulée de petits départements autonomes (comme Small chez Sony) chargés de rassembler les groupes à l’auditoire supposé indé pour leur offrir d’emblée une diffusion massive.

Rangés, l’éthique et les principes…

 » Utilisé pour désigner le rock distribué et diffusé en dehors des grandes compagnies, l’indie caractérise différents styles musicaux opposés aux courants dominants relayés par les radios et les chaînes à clips« , lit-on dans le Dictionnaire du rock (de Michka Assayas). Mais dans les années 90, le grunge et la britpop rencontrent le succès commercial. Jouissent de la vitrine MTV. Difficile à assumer quand on a juré allégeance aux valeurs de l’underground, de la contre-culture. Certains ont eu tellement de mal à le vivre qu’ils s’en sont sabordés voire suicidés…

Obligation pour les uns et décision artistique parfois presque politique pour les autres, l’indie est aujourd’hui aussi souvent une simple pose. Le lo-fi, autrefois dû à la piètre qualité des enregistrements, a viré effet de manche avec les progrès techniques. V2 s’est transformé en major de l’indé avec trop de groupes qui se ressemblent pour être tout à fait honnêtes. Et les premiers labels indépendants britanniques Island (1962) et Virgin (1973) sont respectivement des filiales de EMI et Universal depuis peu unis… Tout est dans tout.

Le mode de fonctionnement de l’industrie a changé et les mentalités ont évolué. Si nous voulons vivre heureux, ne vivons plus cachés. Ne mourons plus avec une éthique et des principes. Crevons les poches pleines. Et tant pis si pour ça, faut aider avec son art à vendre du beurre, des bagnoles ou des écrans de télé…

Sauf que pour certains musiciens, la pub est devenue tout juste un gagne-pain. En 2001, Robert Schneider et sa femme (The Apples in Stereo) avouaient dans le New York Times qu’un spot publicitaire à 18 000 dollars pour Sony leur avait surtout permis d’acheter ce dont ils avaient besoin pour leur nouveau-né. Ça fait pleurer dans les chaumières mais ça donne aussi une idée de l’état du marché indé. A fortiori quand on sait ce qui lui est arrivé depuis.

Suicide et renaissances

Alors oui, pour l’instant, on a parfois l’impression que la démocratisation 2.0 de la musique, malgré tous ses avantages, a eu des effets néfastes sur la créativité, la fougue et l’engagement indépendants noyés dans le flot de disques faciles à la portée de tous… Que la contestation, le do it yourself, l’artisanat, se font un peu trop souvent dans son salon devant un Mac et sur les réseaux sociaux avec des dollars et des euros dans les yeux… Que les groupes indé gonflent leur son pour les stades et écrivent des chansons qui vont avec. Que les discours revendicateurs et engagés sont de plus en plus rares. Que l’indie est devenue une musique de trentenaire pour des trentenaires. Que ses frontières sont de plus en plus floues. Qu’un gros tourneur et une major sont rarement bien loin. Qu’il est mort et s’est en gros suicidé…

C’est vrai mais il renaît. Il renaît inlassablement sur des centaines, des milliers de micro-structures passionnées tout juste viables qui tirent leurs albums à 300 exemplaires. Pour régulièrement mourir avec les soubresauts du succès et la récupération immédiate par le business. Parvenant dans le meilleur des cas à survivre dans les entrailles de la bête.

Le rock indé a muté. Il a aujourd’hui l’image d’une musique différente, authentique et sincère, tantôt bizarre, tantôt drôle mais plus d’un rock rebelle qui brandit le majeur au mainstream et à l’industrie. S’il leur tend quelque chose désormais, c’est la main. Histoire de pactiser. l

TEXTE JULIEN BROQUET

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