POUR SON 9E ALBUM, LE BRESTOIS COUPE L’ÉLECTRICITÉ ET BALANCE DES CHANSONS COMPOSÉES À LA MAISON, FACE À LA MER. LE CIEL DÉGAGÉ, MAIS TOUJOURS VENTEUX.

A chaque fois on se fait un peu avoir. C’est dire comme on aime ça. Miossec sort son 9e album et personne n’est vraiment dupe. Le précédent, Chansons ordinaires (2011), était « rock ». « Du coup, c’était très facile de prendre le contrepied, de se dire qu’on a changé alors qu’on n’a juste pas pris les mêmes ingrédients (rires). » Coupée donc, l’électricité. Voici Ici-bas, ici même, plus acoustique, plus chanson, plus directement « accueillant », mais sans que la grammaire du Breton ne soit bouleversée. Ouf.

En 1995, avec Boire, Christophe Miossec mettait un gros gnon à la chanson française. Sur la pochette, sa morgue de bellâtre vaguement androgyne, clope au bec. Près de deux décennies plus tard, il se laisse photographier par Alban Grosdidier pour sa série Drowning. Noyé, Miossec? Plutôt emporté par le courant, jouissant de l’instant, Ici-bas, ici même. C’est que le temps passe: à portée de vue, en décembre prochain, le fameux cap des 50 ans. Tiens, au fond, c’était comment alors la quarantaine? « Ah, ça a été dur… Enfin cela dépend de quel point de vue on se place. Mais musicalement j’étais un peu largué. Après l’album Baiser, j’ai vraiment perdu pas mal confiance en moi. Je ne m’écoutais pas assez. On en a beaucoup discuté avec ma Madame (sic): « Pourquoi tu fais des disques comme ça, alors que tu es comme ça (rires)? » Effectivement, il y a eu quelques incohérences. »

Le copain Albin

Aujourd’hui, Miossec se laisse donc dériver le long de ses envies. Pour le coup, moins rock que jamais. « Chansons ordinaires est mon dernier disque du genre. C’était des morceaux de local de répétition, de personnes ensemble dans une pièce qui font du bordel. Ce qui était le pied. Mais j’avais envie d’autre chose. De laisser de la place, de l’air, enlever l’électricité. »

Pour une fois, les textes sont prêts à l’avance, des idées de chansons plaquées sur une guitare. Manque plus que des partenaires de galère. « J’ai longtemps cherché, ce n’est pas si évident. » Finalement, la connexion se fait avec Albin de la Simone, quatre albums solos et des participations tous azimuts (Vanessa Paradis, Alain Souchon, Raphael…). « Je craignais un peu que les ego de chanteurs ne se frottent. Mais c’est un type qui laisse la porte grande ouverte. Il amène une vraie liberté. Il a une absence d’ego, une qualité d’écoute qui permettent d’aller chercher plus loin, de se faire mal… Un sacré bonhomme, qui sous des apparences civilisées a vécu des moments très durs. »

Avec Jean-Baptiste Brunhes (ingé son), ils se retrouvent donc à trois, chez Miossec, au bout du bout, dans le Finistère nord… Au fond du jardin, une petite cabane –« C’est un peu Tom Sawyer et Huckleberry Finn (rires). » A l’intérieur, un ordinateur avec un petit préampli et deux micros, quelques guitares, un petit marimba… « Je suis chez moi, j’ai mes repères. Du coup, on s’est passés de maquettes, on attaquait directement les morceaux. Voilà. En gros, on est en face de la mer, et on fait notre métier, qui est de faire de la musique. » Des heures de studio seront encore ajoutées à « Lutèce », des choeurs et des instruments aussi, comme une contrebasse, des violons, un bandonéon… Des invités passeront également la tête, comme Stephan Eicher (Bête, comme j’étais avant) ou l’artiste Sophie Calle (Répondez par oui ou par non). « On a fait atelier écriture à trois. Je suis toujours étonné de voir comment la chanson, et toutes ces petites choses-là qui ne sont jamais prises vraiment au sérieux, gardent un pouvoir d’attraction. Sophie adore la chansonnette, les petits airs populaires. En Camargue, chez Stephan Eicher, il y avait des fêtes de village. On s’est retrouvés sur scène, à 5 h de l’aprèm, avec l’orchestre du bal. C’était génial. Et là, tu remplis ta fonction sociale. »

Plus que jamais, il s’agit donc d’élaguer, laisser tomber les poses pour revenir à l’essentiel, toujours plus près de l’os. Mettre en mots les maux pour soulager (Le Coeur, Nos morts…), revêtant volontiers le costume de l’écrivain-chanteur public. Quitte à être un peu moins « politique » qu’à l’habitude? « Il y a bien une chanson comme Ce qui nous atteint, par exemple. Mais la charge a déjà été plus frontale, c’est vrai. Je crois d’ailleurs qu’il va falloir y revenir, parce que c’est assez terrifiant ce qui se passe (l’interview a eu lieu avant les dernières élections communales françaises, ndlr). Après, de quelle manière, comment l’écrire, c’est une autre paire de manches… » En attendant, Miossec revendique donc plus que jamais un art de la simplicité et de l’épure, un peu à la manière des aphorismes autofictifs de l’écrivain Eric Chevillard –« Il en publie trois par jour sur son blog, c’est assez merveilleux et bluffant. Il en fait des recueils à la fin de l’année. C’est marrant: il a sorti 19 romans qui ne vendent rien du tout, il a fallu ces choses très légères pour qu’il trouve un public. »

Dès l’entame du disque, comme un pied de nez, le bientôt quinqua chante ainsi: « C’est pas fini, on vient à peine de commencer ». Puis un peu plus loin: « C’est pas fini, on peut encore se raccrocher à la poésie. » Carrément. « Ah oui (rires)! La poésie, c’est pas un mot qu’on jette comme ça, je sais. Certains jours d’ailleurs, je virais carrément la phrase, puis je la remettais, je l’enlevais, je la remettais… L’idée, c’est que le but à la fin du mois n’est pas forcément de pouvoir s’acheter une nouvelle bagnole, ou quelque chose comme ça. La poésie, c’est miraculeux. Avoir une capacité à s’émerveiller, s’émouvoir, et la préserver. » Tout un programme en effet.

MIOSSEC, ICI-BAS, ICI MÊME, DISTRIBUÉ PAR PIAS.

EN CONCERT LE 16/10 À CHARLEROI (EDEN), LE 17/10 À BASTOGNE (CENTRE CULTUREL) ET LE 18/10 À BRUXELLES (THÉÂTRE 140).

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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