Michelle Williams impeccable dans The Fabelmans: « N’importe quelle mère qui travaille peut se retrouver dans ce conflit »

Michelle Williams (ici aux côtés de Paul Dano): “J’ai fait ce métier presque toute ma vie durant, je suis actrice depuis 30 ans, et j’ai l’impression que chacune de ces années a été nécessaire pour pouvoir interpréter ce personnage." © National
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans The Fabelmans, le nouveau film de Steven Spielberg, Michelle williams campe la mère fictive du réalisateur. Un emploi délicat dont l’actrice, impeccable, s’empare avec le brio pudique qui est sa marque de fabrique.

Michelle Williams détient un record un peu particulier: elle est la comédienne née après les années 80 à compter le plus de nominations aux Oscars, The Fabelmans, de Steven Spielberg, étant venu s’ajouter tout récemment à Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan, My Week with Marilyn de Simon Curtis, Blue Valentine de Derek Cianfrance, et Brokeback Mountain d’Ang Lee. Une énumération qui suffit à situer la qualité exceptionnelle du parcours de l’actrice originaire de Kalispell, Montana. Révélée à la fin des années 90 par la série Dawson’s Creek, Williams s’est rapidement métamorphosée en muse du cinéma américain indépendant, qu’elle s’impose comme l’alter ego de Kelly Reichardt, avec qui elle a tourné à quatre reprises, ou qu’elle illumine des films de Todd Haynes, Charlie Kaufman et autre Sarah Polley. Un éventail qu’elle a élargi ces dernières années en apparaissant dans quelques grosses productions, The Greatest Showman ou Venom par exemple. Et donc, aujourd’hui, The Fabelmans, le dernier opus en date de Steven Spielberg, et sans conteste son film le plus personnel, puisqu’il y revisite son enfance et son adolescence.

Un travail d’équilibriste

Si une actrice s’étant glissée avec bonheur dans la peau de Marilyn Monroe peut sans doute tout jouer, Michelle Williams n’en a pas moins la lourde responsabilité d’incarner à l’écran Mitzi Fabelman, la mère de Sammy, le jeune héros du film, calquée sur celle du réalisateur, Leah Adler. Un exercice délicat, dont elle s’acquitte avec son habituelle maestria. “C’est une version fictive en ce sens qu’elles ne portent pas le même nom, mais tous les détails viennent de Leah Adler, et les circonstances et situations dans lesquelles se retrouvent les personnages ne sont pas inventées, explique-t-elle, alors qu’on la rejoint, détendue, pour une conversation virtuelle. Pour les détails, les maniérismes, la qualité vocale, j’ai tiré mon inspiration de celle qu’elle était dans la réalité, c’est ce qui m’a donné l’architecture du rôle. Ce travail structurel doit être correct pour pouvoir habiter le personnage. Mais au sein des scènes, sur leur musicalité, leur arc et la manière de les jouer, on bénéficie d’une grande liberté. En fait, on essaie d’atteindre un équilibre entre la liberté prévalant entre “action” et “cut” et l’adhésion à la spécificité de cette femme.

Un récit d’apprentissage embrassant son enfance, sa relation avec ses parents et son entourage, et les circonstances qui l’amenèrent à devenir cinéaste, Steven Spielberg y pensait depuis un bon moment déjà. Si le projet a mis longtemps à se concrétiser, il envisageait déjà de confier le rôle de sa mère à Michelle Williams après l’avoir vue dans Blue Valentine, en 2010, trouvant à la comédienne quelque chose de familier. Pour autant, cette dernière n’a pas voulu en savoir plus sur cette connexion souterraine: “Steven ne m’a jamais dit pourquoi il avait pensé à moi, et je ne le lui ai jamais demandé. Quelque part, je préférais ne pas savoir: si ça devient trop littéral, et qu’on vous dit “voilà pour quelles raisons tu lui ressembles”, vous allez jouer un résultat, en essayant de toujours correspondre à ça, et la vision va s’en trouver étrécie. Je ne sais pas pourquoi il m’a choisie, ni ce qu’il a trouvé en moi qui lui rappelait sa mère, mais je suis ravie qu’il l’ait fait.” Au-delà de la pression induite par la situation -ce n’est certes pas tous les jours que l’on joue la propre mère du réalisateur avec qui l’on tourne, avec ce que cela suppose comme charge émotionnelle-, Michelle Williams raconte avoir apprécié chaque moment de cette expérience: “J’ai fait ce métier presque toute ma vie durant, je suis actrice depuis 30 ans, et j’ai l’impression que chacune de ces années a été nécessaire pour pouvoir interpréter ce personnage. C’est un rôle splendide, magnifiquement écrit, qui n’en finit plus de donner, encore et encore. Les situations, les dialogues, on n’a que rarement l’occasion de travailler sur un texte de ce niveau au cinéma. Tony Kushner (qui co-signe le scénario du film avec Steven Spielberg, NDLR) est un dramaturge de premier ordre, et on ne rencontre généralement des dialogues aussi riches que sur scène, et me voilà à jouer ce rôle merveilleux. Je ne pense pas que j’aurais pu le faire à aucun autre moment de ma vie: j’ai dû attendre tout ce temps pour être en mesure de m’en acquitter.

Mitzi (Michelle Williams) devant la caméra de son fils Sammy.
Mitzi (Michelle Williams) devant la caméra de son fils Sammy. © National

Mitzi Fabelman, l’actrice confie encore l’avoir approchée comme un travail en immersion -“Je vis à l’intérieur des personnages que je joue”, explique-t-elle. Tout en ajoutant s’être projetée sans difficulté dans un personnage tiraillé entre sa sensibilité artistique et ses obligations familiales, à une époque -l’Amérique des années 50 et 60- où cela n’avait rien d’évident. “Je pense que n’importe quelle mère qui travaille peut se retrouver dans ce conflit entre aspirations professionnelles et familiales. Nous demandons et attendons toutes tellement de nous. Il est pratiquement impossible de satisfaire les deux équitablement au même moment, et j’ai le sentiment qu’il s’agit d’un processus où il faut se mettre à l’aise avec cet inconfort, et se rappeler que celle que l’on est comme mère peut façonner celle que l’on est au travail, et vice versa. On a l’impression qu’il s’agit de deux dimensions conflictuelles, mais si on prend le temps, elles peuvent devenir symbiotiques.

Élargir son horizon

À l’instar de Steven Spielberg, dont le film raconte comment la découverte, à l’âge de 6 ans, de The Greatest Show on Earth, devait déterminer la suite de son parcours, Michelle Williams a contracté très jeune le virus du cinéma, débutant à 14 ans à peine dans Lassie. “Nous n’avions pas beaucoup de films à la maison, et les rares que nous avions, comme La Mélodie du bonheur ou Le Magicien d’Oz, nous les regardions sans arrêt, se rappelle-t-elle. Les films combinant cinéma, musique et danse occupent toujours une place à part dans mon cœur. C’est ce qui m’a d’abord attirée, les gens qui les faisaient avaient l’air de s’amuser et d’être heureux. Je me rends compte aujourd’hui que si chanter et danser apportent beaucoup de joie, c’est parce que ça requiert en quelque sorte de mettre son esprit en veilleuse, pour se concentrer sur le rythme et la justesse. On ne peut se permettre de trop analyser, ni de se laisser distraire, il faut être dans le moment quand on chante ou l’on danse, et c’est là que réside le bonheur, parce que c’est là qu’est la vie. C’est cette sensation que je recherchais.” Une première impulsion en ayant appelé d’autres: si, pour le jeune Spielberg, la passion pour le cinéma était synonyme d’explorer le monde à travers l’objectif de sa caméra, pour l’actrice, elle aura constitué le moyen le plus sûr d’élargir son horizon. “Je pense que les films peuvent étendre notre compréhension de la nature humaine, souligne-t-elle. Nous pouvons nous y retrouver avec toutes nos lacunes, reflétées sur un écran qui les rend plus grandes que la vie, et peut nous montrer comment accepter les autres, mais aussi nous-même, avec nos parts secrètes, celles qu’on ne voit pas ou qui sont embarrassantes. La découverte du cinéma indépendant m’a conduite vers l’acceptation et l’estime de soi. Si je pouvais aimer les personnages des films de Cassavetes, des personnages difficiles, déterminés et idiosyncratiques, si je me sentais attirée par eux, ne pouvais-je pas en fait retourner cela vers moi? Les films sont là pour célébrer notre humanité, ces particularités dont nous pensons qu’elles nous séparent, mais qui en fait nous lient… Ils ont élargi ma vision du monde.

Dans la peau de Steven Spielberg

Nul doute qu’il y aura, pour Gabriel LaBelle, un avant et un après The Fabelmans. Incarner une version fictive de Steven Spielberg à l’adolescence n’était déjà pas banal; mais le faire devant la caméra du réalisateur de E.T. en personne, voilà qui sort résolument de l’ordinaire. S’il a sans doute été un peu intimidé, il en fallait plus, toutefois, pour déstabiliser le jeune comédien de Vancouver, 20 ans depuis quelques mois, choisi parmi 2 000 prétendants, après avoir fait ses gammes dans des productions horrifiques plus ou moins obscures, Dead Shack et The Predator notamment. Ce rôle tant convoité, LaBelle l’a obtenu au terme de deux auditions à peine, la seconde, en présence virtuelle du cinéaste. “Je n’ai pas du tout essayé de l’imiter pendant l’audition, raconte-t-il. Mais j’avais fait des recherches afin d’en savoir autant que possible sur sa vie afin de pouvoir infuser les scènes que je serais amené à jouer, et pour comprendre émotionnellement ce par quoi était passé le personnage, l’importance de sa relation avec ses parents et du fait de faire des films. Ensuite, ça n’a plus été qu’une question de préparation, de réflexion et de concentration.

Spécifique et universel

Sammy Fabelman, l’alias de Spielberg à l’écran, l’acteur a pu en peaufiner les contours en compagnie de son modèle, fiction et réalité se confondant bientôt. “Après avoir reçu le scénario, je lui ai demandé quelle partie s’en était vraiment produite, et il m’a répondu: « la totalité ». J’ai réalisé qu’il m’appartenait de déterminer la part de lui que je voulais apporter au personnage, et je lui ai donc posé un nombre incalculable de questions sur la manière dont il avait vécu ces années, ses relations, ses objectifs, l’histoire qu’il souhaitait raconter, pourquoi et l’importance que cela revêtait pour lui.” Et de préciser: “Steven Spielberg a filmé sa famille en grandissant. Il y a énormément de matériel avec lui, ses parents, ses sœurs. J’ai pu tout regarder, observer comment il se déplaçait, essayer de reproduire certaines attitudes, sa façon de marcher, de sourire, l’expression sur son visage au moment de faire un film. Mais en termes de comportement, c’était à moi de décider. Et si parfois j’ai tenu à l’inviter dans le film, à d’autres moments, je me suis dit que je pouvais le faire à ma façon. Le film est un composé de Steven Spielberg et de moi-même, avec Sammy Fabelman quelque part entre les deux.

Si Gabriel LaBelle est à ce point crédible en Steven Spielberg, c’est aussi parce que, au-delà de l’imitation de certaines postures physiques, il semble en avoir capté les impulsions profondes. Un processus facilité par ce qu’il nomme des “parallèles intéressantsentre Sammy et lui. “Bien que nos personnalités soient différentes, nous avons vécu des expériences assez semblables: il n’a jamais voulu faire qu’une seule chose dans sa vie, il se sent un peu déconnecté de son entourage, il est le seul enfant juif de sa petite ville et nos parents sont, à l’un comme l’autre, divorcés. Il est à un âge où il découvre ses parents sous un jour nouveau, une réalité dévastatrice, et il appréhende le monde dans une perspective nouvelle, où il ne pourra compter que sur lui-même. Il entame le chemin qui va faire de lui un adulte, quelque chose d’effrayant et d’intimidant à la fois, et il ne sait pas vraiment comment s’exprimer. Autant d’éléments que j’ai pu intégrer tout de suite. Et puis, c’est beau de voir qu’une figure ayant la stature que nous avons voulu donner à Steven Spielberg est simplement un être humain, qui a eu une enfance rude avec des parents qui l’aimaient. Tout le monde peut s’y retrouver: c’est d’ailleurs ce qui est formidable avec son travail de réalisateur, c’est qu’il peut faire des films sur des personnages tout à fait spécifiques, mais qui parlent à tout le monde. On peut voir ses films, et se dire: “Ça me parle spécifiquement à moi, et rien qu’à moi. Sammy, c’est moi, mais nous sommes tous Sammy en un sens”. Voilà ce que j’ai tout de suite compris.Plus Spielberg que nature.

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