Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

PUTAIN DE CAMION – Sous le nom de Merz, Conrad Lambert revient avec un troisième album, beau et léger comme une plume. Séquence émotion.

« Moi et mon camion »

Distribué par Tigersushi/Bang! En concert le 25/07, à Recyclart, Bruxelles.

Il est de ces albums qui n’ont pas besoin de beaucoup d’effets spéciaux pour imposer leur lumière. Ils murmurent à peine, mais leur évidence n’en est pas moins… criante. En fait, ils se cacheraient au fond du cadre qu’on continuerait encore à ne voir qu’eux. Autant dire que ce genre de disques est rare. Moi et mon camion, troisième essai de l’Anglais Merz, est de ceux-là.

Un petit rappel du parcours erratique (et à vrai dire assez mystérieux) de Merz n’est pas inutile. Conrad Lambert, de son vrai nom, est apparu sur l’avant-scène à la fin du siècle dernier. En 1999 précisément, il sortait un premier disque sur une major. Petite sensation, gros buzz. Mais sans que cela n’aille plus loin. Trop de pression? En tous cas, on n’entendra plus parler du bonhomme pendant six ans. Il revient alors avec Loveheart, disque solitaire qui lui remet le pied à l’étrier, et trouve écho jusque chez Chris Martin, le chanteur de Coldplay louant l’art du bonhomme. Merz revient aujourd’hui avec Moi et mon camion, du nom d’une des nombreuses compagnies de déménagement auxquelles il a dû faire appel ces dernières années (il s’est marié en Mongolie, a pas mal bougé en Angleterre, avant d’être repéré aujourd’hui du côté des Alpes suisses).

CHIROPTèRES

C’est d’ailleurs comme cela que débute l’album: un bruit de porte qui se ferme, un moteur qui vrombit, le véhicule qui s’éloigne. Une histoire laissée derrière soi, une autre à redémarrer plus loin. Ce n’est pas plus grave que ça. La vie sera même sûrement meilleure ailleurs. Cela n’empêche pas cette vague mélancolie de poindre, cet entre-deux doux-amer. Le passé est une chauve-souris, nichée dans un coin sombre de la cave. Comme celles que Conrad Lambert a essayé littéralement de chasser de sa maison de Bath, envahie par les chiroptères. Avant de devoir quand même quitter l’endroit et une nouvelle fois prendre la tangente… Cette figure du voyage, de l’errance permanente, on la retrouve aussi chez ce drôle de personnage qui pose sa voix sépulcrale plusieurs fois tout au long du disque. Conrad Lambert avait repéré le bonhomme vagabondant dans la ville. « Je voulais une voix qui sonne comme celle d’un vieil homme, explique-t-il sur son site . J’en ai parlé à Bruno Ellingham qui produisait l’album et qui m’a dit alors: pourquoi ne pas demander au Vieux de Bath ? » L’homme, un ancien acteur de théâtre déclassé, vivant dans un hospice, accepte de jouer le jeu, en échange d’une bouteille de whisky et de quatre paquets de cigarettes. « Malgré qu’il ait été impossible de lui faire chanter la même mélodie deux fois, il apparaît quand même sur trois chansons. «  Dont The Eviction Song, qui ouvre le disque, et dans laquelle il sonne comme Johnny Cash, à côté de la voix fragile de Lambert.

Honnêtement, au départ, il n’y a aucune raison de plonger dans ce disque. Qui a encore le temps de regarder une chanson comme Malcolm, par exemple, se déployer lentement? D’écouter chaque instrument venir l’un après l’autre apporter leur touche au vague à l’âme ambiant? D’accepter les nuances, les variations infimes de No Bells Left To Chime, quand tout pousse à trancher dans le vif? De fait, Moi et Mon Camion ralentit quand tout s’accélère, susurre quand tout le monde gueule. Et en devient d’autant plus indispensable.

www.myspace.com/merzuk

LAURENT HOEBRECHTS

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