Melon Galia, le groupe de post-ados qui ne jouait « pas en place »

La pochette des Embarras du quotidien de Melon Galia, par Dupuy et Berberian. © Les Disques Mange-Tout
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Épisode six de notre série Belgium Underground, en collaboration avec PointCulture: Melon Galia et ses Embarras du quotidien, album sorti en 2001 sur les Disques Mange-Tout.

À l’occasion du lancement de l’application Belgium Underground et en collaboration avec Point Culture, Focus revisite durant 10 épisodes l’histoire de 10 albums marquants même si parfois méconnus de l’underground belge. Chanson française, synth-pop, électronique de salon, post-rock et garage-punk mélodique au menu.

Il y a vingt ans, quand ils commencent à répéter en duo, Thierry De Brouwer et Samir Barris n’ont aucun projet véritable, « pas d’idées », avouent chipoter « des trucs branquignolles » aux textes coquins, grivois même. Ils vénèrent toutefois moins Pierre Perret que Miossec, Matthieu Bogaerts et Dominique A et ce qui les obsède vraiment, c’est « le son de caisse claire de Swell », groupe californien aujourd’hui assez perdu mais durant les nineties vraiment exceptionnel. Les deux jeunes hommes sont vite rejoints par Aurélie Muller, Fred Van Bever et Delphine Sigrist, ce qui rend le Melon davantage musical et apaise un peu les textes. Comme le rappelle la page Wikipédia de Samir Barris, Melon Galia devient alors, très vite, « un groupe phare de la scène étudiante de l’Université Libre de Bruxelles ».

Les Franc-Maçons de la chanson? Les Inrocks au Librex? « Groupe phare de la scène étudiante de l’Université Libre de Bruxelles », voilà bien une étiquette qui prête à sourire. Thierry, Samir, Fred et Aurélie confirment toutefois que cette micro-scène a bel et bien existé, durant la seconde moitié des années 90: « Ça s’est même carrément emballé pour nous, se souviennent-ils à quatre voix, les uns achevant les phrases des autres. Sans doute parce que l’on se distinguait fort des autres groupes. Il n’y avait pas grand-monde pour chanter en français, sur des mélodies fraîches. L’émulsion, on la doit aussi à des animateurs de Radio Campus comme David Mennessier, Thierry Nollet et Jean-Christophe Poncelet, qui nous soutenaient et nous passaient beaucoup sur antenne. Et puis, on avait un gros réseau de potes, ce qui fait d’ailleurs qu’on a rempli sans forcer La Rotonde du Botanique, vu que tous les copains sont venus. »

Melon Galia s’est petit à petit installé dans le circuit et les médias, mais toujours un peu en biais. C’est que c’était à la fois facile et malgré tout compliqué. Facile de plaire à un certain public mais difficile de convaincre les professionnels. Bien que clairement les meilleurs d’une sélection par ailleurs complètement piteuse, en 1998, ils sont par exemple éliminés du Concours Circuit, au principal motif que les pros du secteur ne voient pas très bien comment travailler un groupe qu’ils jugent inclassable. Avec le recul, cela peut sembler aberrant mais dans les années 90, les genres musicaux étaient de fait beaucoup plus codés et cloisonnés qu’aujourd’hui, surtout en Belgique francophone. Thierry De Brouwer s’en souvient: « L’influence indie anglo-saxonne était trop grande pour que l’on puisse nous caser dans la variété. On n’était pas assez rock pour le réseau rock mais trop rock pour la chanson française. En fait, on était tout simplement trop tôt, juste avant le grand engouement pop belgo-wallon et juste avant tous ces quotas de diffusion de chansons et de productions en français qui ont aussi fait que tout et n’importe quoi a commencé à être soutenu et diffusé. »

De 1996 à 2000, Melon Galia vit donc tranquillement sa petite vie de groupe montant et d’espoir de la scène locale, jusqu’à ce que les choses sérieuses pointent le nez. Les Embarras du quotidien, l’album, sort en 2001, et toujours selon la page Wikipédia de Samir Barris, c’est un « rendez-vous raté avec le grand public ». C’est avec le soutien du label Bang, qui se contente pour le coup de la distribution, et les sous d’Alex Melis, du micro-label lillois Mange-Tout, que s’enregistre le disque, non sans tension, ni pressions. « En fait, se souviennent-ils, on était dans la situation du groupe de potes dont la musique était un hobby et qui se retrouve en studio avec John Cunningham, un artiste anglais que nous admirions, ainsi qu’un label qui attend de nous des résultats et paye pour ça. Mais ça n’allait pas trop, on se sentait coincés. C’était une période de séparations et on s’est aussi essoufflés sur cet album parce qu’on voulait tous y faire des trucs différents. On était très jeunes, post-ados. John Cunningham était le seul oeil extérieur, le seul adulte aussi, et il a révélé beaucoup de choses. Il nous posait les questions essentielles: « est-ce vous pouvez faire ça mieux? » et nous, on répondait que non. On lui sortait des trucs comme quoi sur les albums des Beach Boys non plus, ce n’étaient pas forcément eux qui jouaient tout. On n’avait d’ailleurs pas envie de faire mieux. On aimait ce côté inabouti que les professionnels ne comprenaient pas. Finalement, cet album, ça été un enregistrement-marathon pénible pour tout le monde. »

Après bien des hésitations, des crispations et des prolongations, il se tire au bout du compte 2000 exemplaires des Embarras du quotidien, finalement mixé aux États-Unis par Mike Mogis, à la fois producteur indépendant et membre permanent du groupe Bright Eyes. C’est un beau casting pour un groupe de potes bruxellois: John Cunningham et Mike Mogis donc, mais aussi Conor Oberst, chanteur de Bright Eyes qui pousse sur le disque une chansonnette, ainsi qu’une pochette dessinée par Dupuy et Berberian. Les radios n’accrochent toutefois pas, les médias à peine plus, au travers de chroniques bien gentilles mais jamais déterminantes. Thierry De Brouwer: « Je pense que nos EP’s avaient occupé beaucoup d’espace médiatique, qu’on avait beaucoup tourné en Belgique et qu’il y avait sans doute un peu de fatigue à notre égard… » À l’invitation de Grenadine Records, label de Montréal dont ils sont le coup de coeur du moment, Melon Galia part malgré tout en mini-tournée au Canada et aux États-Unis. Anecdote amusante: à Montréal, ils jouent avec Wolf Parade et Arcade Fire pour premières parties. Le reste de la tournée est par contre nettement moins drôle. Ils en parlent aujourd’hui comme d’une expérience rock and roll et même trash. Des squats, des bars avec des télés qui restent allumées, une première partie de groupe de grind-metal, des dysenteries, « tous malades ou presque en pleine période de parano mondiale vis-à-vis de la pneumonie atypique, ce qui ajoutait un petit côté flippant, notamment aux frontières. »

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Revenu au royaume, le groupe entre dans une période trouble et morose, se perd tout simplement, s’embarquant dans des sessions en vue d’un deuxième album qui n’aboutissent à rien. L’ambiance est carrément dépressive. Thierry De Brouwer: « Notre tout dernier concert, c’était pour Ecolo, le soir d’une grosse défaite électorale. Tout le monde tirait la gueule. Dans la salle à cause de cette défaite et sur scène parce que non seulement ça n’allait pas mais on se demandait aussi ce qu’on foutait là. On n’était pas bien dans notre peau, on avait accepté ce truc politisé pour le pognon et là, c’est devenu vraiment plombé. » « Thierry a fini par siffler la fin de la récréation », tranche Samir.

Une quinzaine d’années plus tard, on lit généralement sur le Web que les Melons ont eu leur petit buzz en Belgique et que l’album valait malgré tout le coup, bien qu’un peu raté, moins bons que les EP’s; la belle pop orchestrale y cherchant parfois un peu trop la mélodie, le chant étant par moments approximatif et ordinaire. « On nous disait tout le temps que nous ne jouions « pas en place », explique Aurélie Muller. C’était le terme des pros , « pas en place ». Moi, je crois que c’est surtout un truc de ces années-là. Il y a plein de choses que nous adorions et qui ne sonnaient « pas en place ». Sur scène, on regardait nos pompes, on était mal habillés, on ne chantait pas toujours juste, on ne jouait pas toujours juste. Aujourd’hui, on croule sous les groupes qui sont techniquement très bons, s’habillent bien, ont l’attitude et la gueule qu’il faut et pourtant, moi, je trouve qu’il leur manque souvent quelque chose… » On connaît la réponse: l’innocence, la naïveté, le jemenfoutisme, l’arrogance de ne pas plier aux volontés extérieures. Tout ce que n’aiment pas les pros, donc. Ces gens, souvent, font peur.

Belgium Underground, la nouvelle application de PointCulture, est disponible sur iOS et Android. Infos et téléchargement: www.belgium-underground.be

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