Critique | Musique

Martial Solal – Live at the Village Vanguard

Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

Live At The Village Vanguard est un saisissant résumé de la carrière de Martial Solal. Alors que le disque ressort en Belgique, retour sur un pianiste hors-norme.

Martial Solal, Live At The Village Vanguard-I Can’t Give You Anything But Love, CamJazz CAMJ 7814-2 (Codaex) *****

Il a joué avec Django Reinhardt, Sidney Bechet, Lee Konitz, Dizzy Gillespie, Chet Baker, Stan Getz, Phil Woods, Art Farmer, Hampton Hawes, Michel Portal, Joachim Khün, Dave Douglas, établissant un lien intemporel entre des générations différentes, toutes tendances musicales confondues -à l’exception du free, qu’il a toujours rejeté alors qu’il pratiquait l’improvisation libre. Né en Algérie, Martial Solal débute sa carrière à Paris en 1950. Il y accompagne les jazzmen américains après avoir été musicien de studio pour le label Vogue, et forme son premier groupe vers la fin de la décennie. En 1959, il participe à la musique de Deux Hommes dans Manhattan de Melville puis écrit et interprète la BO d’A bout de souffle. Le film mythique de Godard sera suivi de Léon Morin Prêtre (Melville) et du Procès (Welles), entre autres titres. Il effectue ses débuts aux Etats-Unis en 1963 au Festival de Newport (Teddy Kotick, contrebasse et Paul Motian, batterie), un set qui devient son premier disque « américain » (At Newport 63), début d’une toute autre carrière qui le mènera à Carnegie Hall, à l’opéra de la Fenice ou à la Philharmonie de Berlin. Sa discographie commence à s’étoffer dans les années 90 où il enregistre en duo, trio mais aussi en big band avec lequel éclatent ses talents de compositeur et d’arrangeur. C’est à ce moment de sa carrière qu’il livre ce qui constitue sans doute son chef-d’oeuvre, soit le fabuleux Triangle (JMS, 1995) en compagnie de Mark Johnson (contrebasse) et de Peter Erskine (batterie).

Solitude

Le solo reste pourtant l’un de ses modes d’expression privilégiés, aussi bien en disque qu’en concert. Si sa discographie en comporte quelques-uns, aucun n’est peut-être aussi révélateur de sa personnalité musicale que ce Live At The Village Vanguard. Est-ce dû à l’invitation qui lui a été faite de se produire pendant une semaine dans le mythique club new-yorkais (il n’est, après tout, que le second pianiste, en plus d’un demi-siècle, à y jouer dans cette formule)? Toujours est-il que Solal y montre comme jamais l’étendue de son talent, tel que le temps l’a forgé: avec une spontanéité sans égale, le pianiste, à part deux titres de sa plume (Centre de gravité, Ramage), réinvente une poignée de standards, augmentés d’une bossa de Carlos Jobim (Corcovado), qu’il déstructure au fil de l’improvisation à une vitesse sidérante, faisant montre, comme toujours, d’un humour redoutable à travers ruptures rythmiques et sautes de registres. Il y a du cubisme chez le pianiste français qui nous expose (presque) simultanément toutes les facettes possibles d’un titre (notamment avec Lover Man et ‘Round Midnight), à la façon d’un Art Tatum intellectuel et pince-sans-rire.

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