URSULA MEIER S’ÉTAIT RÉVÉLÉE AVEC HOME. LA JEUNE RÉALISATRICE CONFIRME DANS L’ENFANT D’EN HAUT, ENTRE RÉALISME SOCIAL ET CONTE À LA ANDERSEN.

Au Festival de Berlin, son Enfant d’en haut a remporté l’Ours d’argent, s’inclinant seulement devant le magistral Cesare deve morire des frères Taviani, Ours d’or aussi mérité qu’inattendu. C’est dire l’impact qu’a eu le nouveau film d’Ursula Meier sur une Berlinale prodigue en £uvres significatives. La cinéaste franco-suisse… et aussi belge d’adoption puisqu’elle habite depuis une vingtaine d’années à Bruxelles (elle a fait ses études à l’IAD) confirme sur un mode plus épanoui les belles promesses du fascinant Home avec Isabelle Huppert et Olivier Gourmet. Entre maîtrise formelle et spontanéité, démarche réfléchie et intuitions fulgurantes, Meier dévale une piste personnelle dans le paysage du cinéma européen.

L’idée de L’Enfant d’en haut vous serait, dit-on, venue d’un souvenir personnel?

Oui, mais de manière très inconsciente. C’est très étrange car il n’en était pas question dans ma tête au départ. Je ressentais plusieurs raisons à entreprendre le film. D’abord, je voulais retravailler avec le petit garçon qui avait déjà joué dans Home, où il était le fils d’Isabelle Huppert. Nous avions fait un gros travail ensemble pour ce film, pour qu’il devienne un acteur, pour qu’il acquière une certaine technique sans rien perdre de sa spontanéité. J’avais envie d’aller plus loin, plus en profondeur, dans le travail avec lui. J’ai en fait écrit le scénario directement pour Kacey, comme François Truffaut a pu le faire pour Jean-Pierre Léaud. C’est mon Antoine Doinel ( rire)! Cette fois, nous avons travaillé ensemble de manière plus professionnelle, à partir du script. Une autre source du film a été ma fascination pour cet endroit du Valais, en Suisse, pour ce paysage industriel très plat, cette zone assez déshéritée, de laquelle il suffit de lever la tête pour apercevoir la station de ski pleine de gens riches. L’Enfant d’en haut est un film dans la verticalité, alors que Home, avec son autoroute, était un film « horizontal »… La forme est cruciale pour moi. Certes l’histoire est importante, mais le cinéma, c’est avant toute chose la forme. Et là, il y avait les riches en haut, les pauvres en bas, un cliché mais qui correspond à une réalité dans cet endroit, dans ce paysage. Les pauvres du fond de la vallée ne sont, pour la plupart, jamais montés à la station…

Et ce souvenir?

C’est en écrivant le scénario sur ce gamin qui vole des skis, après cinq ou six mois de travail, que j’ai réalisé qu’il n’était pas le fruit absolu de mon imagination. Une image vécue a émergé de mon inconscient. J’avais 12 ans, j’allais souvent skier, habitant tout près du Jura, et un jour quelqu’un m’a dit, en montrant un garçon:  » Regarde celui-là, c’est un petit voleur, fais gaffe à tes affaires! » Je me rappelle avoir été surprise et fascinée par ce gamin en cagoule, qui a fini par se faire interdire l’accès à la station…

Les lieux de l’action tiennent une place déterminante dans vos films…

Tous mes films se déroulent en effet dans des territoires spéciaux, bizarres. Home avait lieu… nulle part. Et si L’Enfant d’en haut se déroule bien en Suisse, il pourrait se situer n’importe où, pourvu qu’il y ait cette juxtaposition d’un bas et d’un haut reliés l’un à l’autre. Je crois que j’aime bien les no man’s lands car j’en ai moi-même eu l’expérience en naissant aux confins de la France et de la Suisse, dans un endroit étrange n’étant ni ville ni campagne, quelque chose entre les deux. Je demandais à mes parents où nous étions et ils me répondaient:  » Nulle part« … Au lycée que j’ai fréquenté, le jardin était en Suisse et les bâtiments en France!

Où est votre « home », dans la vie?

A Bruxelles, sans doute, puisque j’y ai mon domicile. Mais je suis tout le temps dans le train pour Paris, ou Lausanne. J’aime cette idée de paysages fuyants, incertains. Comme dans les films d’Alain Tanner, dont j’ai été l’assistante, et que je considère comme mon grand-père de cinéma. J’ai montré La Salamandre avec Bulle Ogier à Léa Seydoux avant qu’elle ne joue Louise dans L’Enfant d’en haut. C’était très important qu’elle l’aime, qu’elle se sente proche d’elle, et ce fut le cas.

Comment travaillez-vous avec le jeune Kacey Mottet Klein?

J’expérimente avec lui, de manière très intuitive, sans méthode spécifique, avec empirisme. Je suis sans doute une grande obsessionnelle dans la préparation de mes films, mais une fois le tournage commencé, je suis dans l’intuition, l’animalité, je fais les choses sans chercher à les expliquer, juste parce que je les ressens. J’accorde une énorme confiance à mes interprètes, et il faut qu’ils me le rendent, pour aller ensemble là où le film veut aller.

On s’attache beaucoup aux personnages du film, on ne veut pas que leur avenir se bouche…

Il fallait qu’il y ait une lueur au bout du tunnel, je ne voulais pas d’une fin sombre ou désespérée. Je tiens peut-être ça de mon côté protestant, que j’ai de par mon père. Les épreuves mènent les personnages (et les acteurs) très loin dans le malheur et le questionnement, mais au bout de ces épreuves il doit y avoir la lumière! Je pense que je suis une fille fondamentalement, irréversiblement, optimiste. Et je crois dans les vertus de l’humour, même si l’on rit moins dans L’Enfant d’en haut que dans Home.

Votre petit voleur est en quête d’amour?

Il a besoin d’amour! Il peut fanfaronner autant qu’il veut, jouer au grand. A 12 ans, c’est d’amour maternel qu’il a encore le plus besoin. Un amour que l’argent ne peut pas acheter.

L’Enfant d’en haut a aussi, un peu, des allures de conte…

La dimension imaginaire est importante. Déjà dans le fait que Simon s’invente une autre vie, et tente d’y croire à tout prix. Sur le plan formel, j’ai tourné en HD, et comme c’était la toute première fois pour ma directrice de la photographie Agnès Godard, nous avons essayé pas mal de choses, notamment au niveau des couleurs que j’ai voulu réalistes mais jamais naturalistes. Nous avons choisi une couleur dominante par saison: Noël est en bleu, par exemple. Ce décollement du naturalisme exprime un aspect du film qui peut évoquer certains contes d’Andersen. l

RENCONTRE LOUIS DANVERS, À BERLIN

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