Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

ALORS QUE CORTO MALTESE EST DE RETOUR, LE MUSÉE HERGÉ CONSACRE UNE EXPOSITION À HUGO PRATT. BALADE DES GRANDS CHEMINS? PLUTÔT UNE SUITE DE PETITS RACCOURCIS.

Hugo Pratt, Rencontres et Passages

MUSÉE HERGÉ, 26 RUE DU LABRADOR, À 1348 LOUVAIN-LA-NEUVE. JUSQU’AU 06/01.

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C’est l’un de ces tours de passe-passe dont l’époque est friande. On le sait, Corto Maltese appartient au registre des antihéros lumineux de la bande dessinée dont les aventures ne sont pas réputées soulever les foules. Chaque année, il se vend environ 30 000 exemplaires des aventures du capitaine britannique de la marine marchande. Pas si mal, mais on est loin des gros succès populaires. A l’occasion de la publication du nouvel album Sous le soleil de minuit, les éditions Casterman ont tiré pas moins de… 300 000 exemplaires. Autant dire que l’éditeur fait preuve là d’une belle confiance en l’avenir. Est-ce pour fouetter les ventes de cet opus signé par Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero que Hugo Pratt, Rencontres et Passages a vu le jour? Difficile à dire. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que l’événement déçoit. Du moins, il a déçu un amateur du maître italien qui ne se prétend pas spécialiste de la question. Pourtant, l’idée de base est séduisante, soit retracer le fil de l’intertextualité à l’oeuvre dans les histoires de Corto. Pour rappel, l’intertextualité, telle que l’a définie Roland Barthes, met à jour le fait que toute oeuvre littéraire est composée de la transformation et de la combinaison de différents textes antérieurs. Nombreuses sont les références qui jalonnent le parcours de Pratt: Kipling, Yeats, Rimbaud, Shakespeare, Milton Caniff, Stevenson, Fenimore Cooper, Jack London… Le dessinateur possédait une bibliothèque de 20 000 titres qu’à la fin de sa vie il est parvenu à rassembler dans sa maison de Grandvaux, près de Lausanne. Seul souci: l’exposition a beau pointer les différents maîtres en littérature qui ont influencé Pratt, elle échoue à rendre le lien vivant. C’est la juxtaposition qui domine entre l’aveu du père de Corto, la trace souvent difficile à détecter dans l’oeuvre et la planche originale en question. Dommage que ces convergences ne soient pas plus détaillées et que les mécanismes profonds n’en soient pas exhumés.

Intégrité

Reste qu’en dehors de son propos peu probant, l’exposition a le mérite de rassembler un joli paquet de planches originales, d’aquarelles et de dessins à l’encre de Chine. Ces oeuvres permettent de renouer avec le talent et l’état d’esprit de Pratt dont le dessin, souvent réalisé au feutre, était fougueux, spontané. Au fil des planches, on mesure combien, loin du petit reporter, Corto fait figure d’icône intègre de la bande dessinée. C’est toute la singularité du personnage qui apparaît, cette silhouette détachée qui ne se fait pas beaucoup d’illusion sur le monde. Une singularité qui trouve sa source dans le parcours chahuté du dessinateur, baladé entre l’Afrique, l’Italie, l’Amérique latine et la Grande-Bretagne. Le tout pour un destin dont il s’est plu à entretenir le mystère, comme en témoigne le fameux « J’ai treize façons de raconter ma vie et je ne sais pas s’il y en a une de vraie, ou même si l’une est plus vraie que l’autre » confessé dans Le Désir d’être inutile. On aurait aimé que Hugo Pratt, Rencontres et Passages soit davantage à la hauteur de ce génie disparu il y a 20 ans.

WWW.MUSEEHERGE.COM

MICHEL VERLINDEN

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