Je sais que la Terre est plate est un album hautement talentueux. Et confirme que Raphaël est de la trempe des Bashung-Christophe-Manset-Eicher. Un brillant auteur-voyageur.

Un bruit, un courant d’air, un cliché, tous un peu nauséabonds, courent sur Raphaël. Sa musique serait à l’image de son visage angélique alors qu’elle n’est que spleen, angoisses vertueuses et voyages vertigineux. Des chansons obsédées par la transmission et la perte mais potentiellement trompeuses puisqu’elles paraissent sous des mélodies scintillantes. Chantées par une beauté du diable qui fait craquer les minettes mais pas seulement. Le quatrième album de Raphaël prouve que son travail musical transgresse les limites d’un genre ou d’un public. La production lumineuse – partagée entre Tony « Bowie » Visconti ( voir encadré), Renaud Letang et le chanteur – est de la race des seigneurs. L’inspiration féconde enfante des chansons qui couvrent, une nouvelle fois, les thèmes de l’oubli, de l’injustice et de l’exil géographique comme sentimental. La voix nasillarde du chanteur nous rassure toujours sur ses fêlures: elles n’ont pas été guéries par le succès démentiel de Caravane, 1 800 000 exemplaires vendus en France, plus de 100 000 en Belgique. Une chose semble désormais acquise: les nouvelles chansons sont faites pour rester avec nous. Le vent de l’hiver mais aussi Adieu Haïti (en duo avec le Jamaïcain Toots Hibbert, des Maytals), Quand c’est toi qui conduis et le merveilleux Concordia. Qu’on écoute en boucle, avec obsession, ébloui par sa lumière naturelle et son histoire d’aviateur égaré en Argentine. L’un des deux pays des parents de Raphaël Haroche, 32 ans, Français, Juif, slave, dont une grand-mère vient d’Odessa, en Ukraine…

Focus: en écoutant Je sais que la Terre est plate, on se dit que la mélancolie a peut-être été aggravée par le succès…

Raphaël: Je ne pense pas que la mélancolie se soit aggravée. Pour moi, c’est un état naturel qui n’est ni de l’abattement ni de la désolation. J’ai toujours été mélancolique, parce que c’est un sentiment cotonneux, et même euphorisant. La mélancolie, c’est la beauté du souvenir et la fragilité du moment présent.

Une idée est omniprésente dans ta musique, celle de voyage. Pas seulement géographique mais aussi sentimental, historique ou temporel.

Ma chanson Les limites du monde est inspirée du Meneur de lune de Joë Bousquet, un type qui a pris une balle dans la moelle épinière en 1914 et qui a passé toute sa vie couché dans une chambre aux volets clos… C’est une chanson sur le ruban qui se déroule à l’intérieur! L’idée de frontières ne correspond ni à mon schéma de pensée ni à mes principes de droit. A chaque fois, j’essaie de me mettre dans la peau de ces mecs qui n’ont rien et j’évalue l’idée de me barrer au bout du monde, un truc à la Lelouch…

A la Rimbaud disons…

Rimbaud n’a pas disparu. Non, c’est l’idée de passer une frontière, sans amis, carte de crédit ou téléphone et de se retrouver dans un resto à gagner sa vie. Je ne vois pas au nom de quoi on peut interdire cela. Adieu Haïti vient de là, d’une fascination pour l’île qui est le c£ur de l’Amérique, le port de tous les dangers qui a survécu à deux siècles de domination, de dictateurs, de magie et de christianisme.

Ce qui est frappant chez un jeune homme de 32 ans, c’est la présence de la mort, pas seulement par la métaphore de la cigarette dans plusieurs titres!

La cigarette, cela fait trois ans que j’ai arrêté, quelle erreur (sourire)! L’odeur des Gitanes… Pour moi, la musique est une expérience complètement psychanalytique même si j’ai longtemps considéré cette idée comme tartignole! On m’a demandé si Le vent de l’hiver, où je parle du loup à ma porte, fait allusion à la chanson de Reggiani. Si cela se trouve, c’est çà, j’écoutais tout le temps ce morceau ( Ndlr, Les loups sont entrés dans Paris) quand j’étais petit. En même temps, c’est une mise en abîme sur d’autres chansons… Quant au Sixième étage, je me suis rendu compte que le saut dans le vide d’une personne proche de moi, une semaine avant d’avoir écrit le texte, n’était pas étranger au morceau! Pour moi, tout est comme dans un rêve, avec des jeux de mots et des substitutions: tout est sublimé, souterrain.

Tu as écrit Concordia, l’un des plus beaux moments du disque, avec Stéphane Eicher et Manset, dont la fille Caroline est ta manageuse: quelle est la nature de ta filiation avec ces deux-là?

Manset a fait le texte en s’inspirant de l’accident d’avion de Saint Exupéry à Concordia en Argentine et j’ai fait la musique avec Eicher. Avec Manset, on a beaucoup parlé de l’aéropostale parce que dans mon fantasme de « disparition programmée », j’apprenais à piloter des avions (sourire). Manset est dans un autre monde, c’est Nerval, un poète qui n’est atteint que par la beauté et tout ce qui doit entraver cette perception ne l’intéresse pas. Eicher vit le truc que je vis et qu’il a vécu en disant  » Je ne veux pas qu’il fasse les mêmes conneries que moi » même si je ne sais pas très bien de quoi il parle. Il a l’impression qu’il a été attentiste, qu’il était au sommet d’une montagne et s’est laissé redescendre. Mais vu qu’il parle beaucoup en haïkus, en métaphores, je n’arrive pas à savoir ce que je ne dois pas faire (rires).

Quand on vend 2 millions de disques d’un album ( Caravane), comment fait-on pour ne pas péter les plombs?

Ce n’est pas une question de  » péter les plombs« … Au début sur Caravane, c’était extrêmement électrique et euphorisant, je planais un peu. Et puis forcément, il y a une descente: on vit quelque chose d’exceptionnel, puis on revient dans l’ordinaire. Pendant la tournée, j’étais un peu infantilisé: on me met dans un hôtel, on m’assied et on me demande si je ne veux pas un coussin. Je serais devenu fou si la pression n’était pas retombée à un moment.

J’ai été étonné de recevoir avant cette interview un mail d’EMI me disant  » Pas de questions sur la vie privée! « . Je n’aurais même pas eu l’idée d’en poser mais puisqu’on m’en parlait, j’ai googleisé  » Raphaël vie privée » pour voir ce qu’on tentait de me cacher (rires). J’ai trouvé que tu allais être prochainement père. Big deal!

Je ne sais même pas pourquoi ils demandent cela… Si on me pose ce genre de questions, je dis juste que je n’ai pas envie d’en parler. Même si l’idée de transmission est extrêmement importante. Ce matin, j’ai vu les Simpson et je me suis dit que j’allais peut-être être un père comme Homer ( Ndlr, qui étrangle régulièrement son fils Bart). J’aimerais bien ne pas le devenir (rires)!

D’où vient la pression?

De moi. Je me la suis mise et me la mets encore vachement, j’essaie le truc un peu bouddhiste  » Accepte ce que tu ne peux pas changer« , mon disque aura le destin qu’il mérite. Je suis très intéressé par la spiritualité, passionné par les prémonitions, la pensée magique et c’est un peu le sens du titre de l’album, autant pour la licence poétique que pour l’idée qu’on vit dans un monde très cartésien. Descartes nous a laissé l’idée qu’un corps mort est mort et j’ai l’impression que c’est un peu plus mystérieux que cela. Je ne crois pas qu’il y ait de vie après la mort mais j’ai l’impression qu’un mystère nous entoure. Et je crois au pouvoir de la musique, à la transe.

Que faut-il te souhaiter?

La santé pour les gens que j’aime, l’inspiration et m’amuser… on n’est pas là pour chialer!

u Je sais que la Terre est plate sort le 18/03 chez EMI, Raphaël sera le 18/11 à Forest-National. u www.raphael.fm

ENTRETIEN PHILIPPE CORNET

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