PRÉSENTÉE À GAND, L’EXPOSITION VÉRITÉ ET MENSONGE S’INSINUE DANS L’OUVRE ET LA VIE DU DRAMATURGE ET RÉALISATEUR SUÉDOIS, AUTEUR DU SEPTIÈME SCEAU ET DE FANNY ET ALEXANDRE, PARMI D’AUTRES CHEFS-D’OUVRE.

Dans un courrier daté du 9 février 1960, Stanley Kubrick écrivait à Ingmar Bergman: « Votre vision de la vie m’a profondément ému, beaucoup plus que je ne l’ai jamais été par aucun film. «  Hommage vibrant, resté sans réponse: de l’avis de la commissaire de l’exposition Ingmar Bergman: vérité et mensonge, Kristina Jaspers, le réalisateur suédois ignorait vraisemblablement tout, à l’époque, de son homologue américain. Le document compte parmi ceux que l’on peut découvrir, jusqu’au 15 janvier, dans le cadre de l’exposition qu’accueille le Caermersklooster de Gand, en un prolongement judicieux au festival du film. Voilà plusieurs années, en effet, que ce dernier se décline de salles en cimaises, proposant, en marge de son programme, des expositions de prestige qui sont autant d’immersions dans l’£uvre d’auteurs majeurs, comme Harold Lloyd, Jacques Tati ou Stanley Kubrick, justement. S’agissant de Bergman, on parlera de monument du Septième art, un cinéaste essentiel dont le parcours se décline en une succession de chefs-d’£uvre dont chaque nouvelle vision enrichit la précédente, postulat vérifié du Septième sceau aux Fraises sauvages; du Visage à Persona; de Cris et chuchotements à Fanny et Alexandre, et on en passe…

Gand est la troisième ville, après Berlin et Los Angeles, à accueillir une scénographie réalisée notamment au départ des documents personnels de l’auteur, mis à disposition par la Fondation Ingmar Bergman. Riche et limpide, le parcours de l’exposition suit une double articulation, chronologique et thématique. Il évoque surtout, mais point exclusivement, la carrière cinématographique d’un artiste qui, outre ses 39 films, a signé 130 pièces de théâtre, 42 productions radio et 23 téléfilms.

Passé un prologue qui restitue l’une des dimensions fondamentales de l’£uvre bergmanien, à savoir sa part autobiographique (soulignée par un troublant jeu de miroirs entre photos de famille et de cinéma), la visite aligne les phases essentielles de sa vie créative, des premiers longs métrages tournés dans les années 40 à la retraite sur l’île de Farö; de « la quête » à un « épilogue » qui voit Bergman se livrer, dans une interview, à un inventaire argumenté de ses démons.

Passerelles multiples

S’adressant aussi bien au cinéphile qu’au profane, le montage est résolument passionnant, qui permet d’assister à la naissance d’un artiste, dont le style s’affirme définitivement à compter de Jeux d’été, en 1950, avant d’appréhender sa méthode de travail. Et, notamment, la façon dont son £uvre de dramaturge infuse celle du cinéaste -ainsi, par exemple, du finale du Septième sceau, moins spontané qu’il n’a bien voulu le dire, puisque déjà expérimenté sur les planches. Cela, tandis qu’il s’appuie, de la scène à l’écran, sur la même équipe de techniciens et d’acteurs, les Max Von Sydow, Erland Josephson, Ingrid Thulin, Bibi Andersson ou autre Harriet Andersson, tous indissociables de son £uvre.

Harriet Andersson, c’est bien sûr l’inoubliable Monika, dont la sensualité allait faire sensation en 1953, un épisode que l’exposition ne se fait faute d’évoquer, notamment par la voie des publicités américaines – « The Story of a Bad Girl »- et autres curiosités, comme des Monika Sundae, en une parenthèse frivole inattendue. L’épanouissement artistique s’accompagne, en effet, d’une interrogation spirituelle qui plonge ses racines dans l’enfance, et sera déclinée film après film; questionnement qui fait ici l’objet d’une large séquence, et irrigue en particulier, au début des années 60, la trilogie A travers le miroir/Les communiants/Le silence, ce dernier faisant scandale.

Au-delà, l’un des mérites de l’exposition est assurément de multiplier les passerelles vers une £uvre d’un abord a priori austère. La scénographie ajoute ainsi aux diverses thématiques (le couple bénéficie également d’une attention particulière) les éléments biographiques qui, pour apparaître parfois plus anecdotiques, sont néanmoins éclairants -ainsi de l’installation de Bergman à Farö, à partir du tournage de Persona, en 1965, île où il résidera jusqu’à sa mort, en 2007, avec une interruption de quelques années, le temps d’un exil munichois consécutif à une affaire de fraude fiscale.

Remarquable, l’ensemble, qui consacre encore l’une de ses sections à La flûte enchantée, mémorable incursion de l’artiste dans le monde de la musique, s’appuie sur un déploiement impressionnant de photos, montages vidéo, esquisses, scénarios, maquettes, costumes et autres documents rares ou personnels. A quoi s’ajoute, last but not least, une installation centrale en forme de boîte noire où les images du cinéma de Bergman sont agencées suivant 7 thématiques, histoire notamment de s’imprégner un peu plus encore de ces visages en forme de paysages infinis…

INGMAR BERGMAN: VÉRITÉ ET MENSONGE, JUSQU’AU 15 JANVIER AU CAERMERSKLOOSTER, VROUWEBROERSSTRAAT, 6, GAND.

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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