EN VOGUE DANS LES ANNÉES 60, LE FILM À SKETCHES CONNAÎT D’ÉPISODIQUES RETOURS DE MODE. COMME AUJOURD’HUI AVEC LES INFIDÈLES, OÙ LE TANDEM DUJARDIN-LELLOUCHE DONNE CORPS À LA TROMPERIE AU MASCULIN. OUI MAIS LE FILM À SKETCHES, POUR OU CONTRE ?

Apparu au début des années 30, via des productions de majors alors censées mettre en valeur leurs réalisateurs et acteurs phares du moment, le film à sketches, ou film omnibus, explose dans les années 60 en Europe, principalement à travers des comédies italiennes épinglant un maximum de stars à leur générique. S’il ne connaît plus par la suite pareil pic de popularité, à part peut-être dans sa déclinaison horrifique, il ressurgit ponctuellement sur les écrans, souvent sous l’impulsion de producteurs désireux d’explorer un thème spécifique tout en s’attachant les services de cinéastes et comédiens en vue. Bref inventaire des forces et faiblesses du genre à la veille de la sortie des Infidèles avec Jean Dujardin et Gilles Lellouche ( critique dans le prochain Focus).

Le film à sketches multiplie les points de vue.

îuvre composée de plusieurs histoires tournant autour d’un thème commun, le film à sketches apparaît aujourd’hui plus que jamais en phase avec l’époque, sa démultiplication des images, sa culture zapping, son approche fragmentée du sens et du réel. Résultant le plus souvent d’un travail collectif, il permet ainsi de multiplier les points de vue sur un objet, un sujet. Comme dans Chacun son cinéma, signé en 2007 par une grosse trentaine de cinéastes à l’occasion des 60 ans du Festival de Cannes, pour autant de façons d’appréhender cette insaisissable chimère qu’est le 7e art. A noter que l’assertion peut valoir également pour les films à sketches réalisés par un seul et même réalisateur. Ainsi, par exemple, de Night on Earth ou Coffee and Cigarettes, de Jim Jarmusch.

Le film à sketches est inégal.

Atout évident de l’objet, sa nature composite en est aussi le principal talon d’Achille. Avec le film à sketches, en effet, l’ensemble n’est, bien souvent, pas supérieur à la somme de ses parties, loin s’en faut, le genre invitant plutôt à picorer çà et là les bons moments au gré d’un parcours aux allures de véritables montagnes russes. C’est le grand problème des Infidèles, justement, tout en déséquilibres liés à des différences de traitements scéniques, une inspiration et une écriture profondément inégales et une intensité hautement variable. En 1972, dans Everything You Always Wanted To Know About Sex… , Woody Allen jongle de la même manière entre humour navrant (l’épisode zoophile) et génialement désopilant (l’attaque du sein géant, les angoisses des spermatozoïdes).

Le film à sketches ouvre un espace de liberté.

Avec les formats courts et multiples qu’il suppose, le film à sketches ouvre sur un éventail de possibles, un champ d’expérimentation où confronter certaines idées à l’expérience filmée, et où pointeront parfois les germes de longs métrages, plus aboutis, à venir. Ainsi, le 1er segment, réalisé par Terry Gilliam, du Meaning of Life des Monty Python (1983), qui voit le bâtiment d’une compagnie d’assurances dont les employés travaillent comme des galériens se transformer littéralement en navire de pirates prêts à pourfendre le grand capital, préfigure sur bien des points l’aliénation kafkaïenne décrite 2 ans plus tard dans le Brazil du même Gilliam. Pour New York Stories (1989), Francis Ford Coppola invite sa fille Sofia, alors à peine âgée de 17 ans, à cosigner le scénario de la partie qui lui incombe: elle y travaille déjà des figures, celle de la jeune fille riche livrée à elle-même par exemple, qui marqueront plus tard sa propre filmo.

Le film à sketches manque de cohésion, voire de cohérence.

Une simple thématique comme liant, c’est parfois un peu maigre. Surtout si le fil rouge est aussi vaste, et vague, que, au hasard, Paris, New York, le sexe ou l’infidélité. Hétéroclite par essence, le film à sketches souffre d’un statut bâtard, assemblage vaguement signifiant d’éléments épars, et pèche trop souvent par une absence d’unité (de ton, de rythme…). En 1991, dans les inénarrables Secrets professionnels du Dr Apfelglück, le seul lien rattachant les sketches entre eux tient ainsi au cabinet et aux patients dudit docteur. Ce qui, concrètement, autorise tout et n’importe quoi. En même temps, venant d’une équipe largement composée d’échappés de la troupe du Splendid, on n’en attendait pas moins. Ou plutôt pas plus.

Le film à sketches engendre des génériques de rêve.

Dans le New York Stories précité, Coppola partageait la réalisation avec Martin Scorsese et Woody Allen. Tandis que Michel Gondry, Bong Joon-ho et le rarissime Leos Carax se fendaient chacun d’une partie de Tokyo! (2008). Excusez du peu. Et que dire de la pléthore de noms ronflants affichés au générique de Chacun son cinéma? Sans en constituer une caractéristique obligée, cette dimension contribue largement au rayonnement, voire à l’intérêt, du film à sketches. Idem côté casting, Natalie Portman, Orlando Bloom, James Caan, Ethan Hawke, Christina Ricci, Robin Wright Penn, Julie Christie ou John Hurt se partageant notamment l’affiche de New York, I Love You (2009).

Le film à sketches peine à transcender la thématique qui le conditionne.

Trop vague pour assurer une suffisante cohésion d’ensemble, la thématique annoncée n’en détermine pas moins parfois à l’excès le cadre de chacun des mini-films dans le film. Ainsi, fidèles à leur infidèle thématique jusqu’à la mono-obsession, les segments qui composent aujourd’hui Les Infidèles oublient trop souvent de sortir du cadre strict défini au départ, pour des historiettes manquant parfois cruellement de corps, de chair. Un comble, on en conviendra, s’agissant d’intrigues adultérines…

TEXTE NICOLAS CLÉMENT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content