Une fameuse force d’attraction

Sébastien Foucault (ici dans Hate Radio de Milo Rau) a vécu la grande émulation au sein de l'Esact. © Salvatore Lauretana

Y a-t-il beaucoup de Français dans le milieu théâtral en Fédération Wallonie-Bruxelles? A priori, on n’en a pas vraiment l’impression, mais quand on y regarde de plus près, des artistes qu’on pensait belges ou au sujet duquel on ne s’était même pas posé la question tant leurs projets semblent ancrés en Belgique, viennent en fait de l’Hexagone. En prenant comme échantillon représentatif les lauréats des dernières années aux Prix Maeterlinck de la Critique, on relève en effet pas mal de Français: les membres de la compagnie Chaliwaté ( Demain), Magrit Coulon ( Home), Jules Puibaraud ( Des caravelles et des batailles), Sarah Grin ( Partage de midi), Justine Lequette ( J’abandonne une partie de moi que j’adapte)… Mais on pourrait citer d’autres artistes phares de nos scènes comme Selma Alaoui, Aurore Fattier, la compagnie Karyatides ou encore Denis Laujol… Dans la grande majorité, leur parcours a basculé de ce côté-ci de la frontière de Quiévrain à l’occasion de leurs études supérieures, sous la force d’attraction des écoles belges.

Le phénomène n’est pas récent et prend de plus en plus d’ampleur, à en croire Nathanaël Harcq, directeur de l’Esact (École Supérieure d’Acteurs), une des composantes du Conservatoire royal de Liège:  » Aujourd’hui, on compte plus de 50% d’étudiants français, explique-t-il. Depuis une quinzaine d’années, on est dans une courbe croissante. Concrètement, c’est lié à la visibilité de lauréats sortis de l’école, dont les spectacles ont rayonné notamment au Festival d’Avignon et au Festival Impatience (festival français de théâtre émergent, NDLR). Par exemple, Le Signal du promeneur du Raoul Collectif, qui est au départ un projet porté par des étudiants dans l’école. On pourrait citer aussi le premier spectacle de Fabrice Murgia (Le Chagrin des ogres) ou Nourrir l’humanité, c’est un métier (de Charles Culot). Il y a également des projets portés par les pédagogues de l’Esact. Quasiment tous les spectacles de Françoise Bloch depuis plus de dix ans (Grow or Go, Une société de service, Money! ) ont d’abord été des formes développées dans l’école et ensuite professionnalisées. Tout ça montre en France que quelque chose de singulier se passe à Liège. »

Afflux

Le rayonnement de l’Esact, Sébastien Foucault, comédien vu dans plusieurs spectacles retentissants de Milo Rau ( Hate Radio, La Reprise…) et qui présente son propre projet Reporters de guerre au prochain Kunstenfestivaldesarts, l’a vécu de l’intérieur. À 28 ans, après plusieurs années d’études en lettres et un passage dans les milieux underground bruxellois, ce Français originaire du nord-ouest a commencé une nouvelle vie comme étudiant au Conservatoire de Liège, dans la même promotion que David Murgia -benjamin de la classe, frère cadet de Fabrice Murgia et futur membre du Raoul Collectif.  » Il y a eu plusieurs années de grande émulation autour de cette promotion, explique-t-il. L’Esact a toujours été un territoire pour quelques Français parce que les concours en Belgique sont réputés moins durs qu’en France, où des centaines et des centaines de jeunes se présentent. Mais en quelques années, l’école a beaucoup changé, avec l’arrivée de nombreux étudiants français. »

J'abandonne une partie de moi que j'adapte de Justine Lequette: un spectacle belge dont toute l'équipe est française.
J’abandonne une partie de moi que j’adapte de Justine Lequette: un spectacle belge dont toute l’équipe est française.© Dominique Houcmant Goldo

Cet afflux, plutôt flatteur pour les écoles belges, n’est pas sans poser quelques problèmes, notamment en raison de la disparité entre les niveaux de préparation et d’apprentissage des uns et des autres.  » Les Français qui se présentent à Liège ont souvent des parcours scolaires plus importants, précise Nathanaël Harcq, que ce soit déjà dans le domaine du théâtre, ou en sociologie, en anthropologie… Alors que les Belges arrivent souvent directement de l’école secondaire. Contrairement à ce qui se passe en France, il n’existe pas en Belgique au sein des académies un dispositif de préparation à un niveau très élevé. » En Fédération Wallonie-Bruxelles, les académies servent essentiellement à ce que tout le monde puisse pratiquer un art, pas à préparer à un examen d’entrée.

Ce déséquilibre des candidats crée une raréfaction des étudiants « nationaux » et contraint les jurys à imposer des quotas implicites.  » J’étais le seul Belge dans ma classe, et de loin le plus jeune, nous expliquait récemment Simon Thomas, comédien, auteur et metteur en scène à la barre de l’excellent Stanley, à propos de son arrivée à l’Insas, à Bruxelles, où existe le même phénomène qu’à Liège. Beaucoup arrivent avec une formation hyper complète en littérature et toi, tu as juste lu Madame Bovary ! Tout mon parcours n’a été qu’une prise de confiance. »

Face à ce constat mais face aussi à la sous-représentation des personnes racisées et des classes populaires au sein de l’école, l’Esact a lancé il y a huit ans des stages « Profession acteur actrice », adressés à de potentiels candidats résidant en Belgique, comme voie d’accès facilitatrice. Cette démarche connaît aujourd’hui un coup d’accélérateur avec la mise sur pied d’une année préparatoire ( voir Le Vif du 24 février) qui s’ouvrira à la prochaine rentrée à Namur. Un pas vers un rééquilibrage, qui brise certains tabous sur le fonctionnement du secteur.

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