Une année pourrie

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Sur son nouvel album, le rappeur Open Mike Eagle raconte une année de galères, avec un sens de l’autodérision et une sincérité qui font mouche.

Open Mike Eagle n’a pas attendu 2020 pour vivre une année pourrie. Quelques mois avant la pandémie, le rappeur a enchaîné les déconvenues, professionnelles et amoureuses. Après une première saison, son show télé The New Negroes -mix entre humour stand-up et invités musicaux (Lizzo, MF Doom,…)- n’a pas été renouvelé. Dans le même temps, la structure Hellfyre Club montée entre potes a été dissoute, minée par des différents financiers. Pour « couronner » le tout, Michael Eagle de son vrai nom a vu son couple exploser après quatorze ans de mariage. La série noire. De son malheur, le rappeur basé à Los Angeles s’est résolu à en faire un disque, son cinquième album solo.  » I’m my own personal winter« , glisse-t-il par exemple sur l’explicite Everything Ends Last Year.

En marge des grosses cylindrées hip-hop ricaines, Open Mike Eagle n’a jamais été le rappeur le plus clinquant, ni le plus hype. Mais, il faut lui laisser ça, il n’a jamais cherché à l’être. En intitulant par exemple son premier album Unapologetic Art Rap en 2010, il prenait délibérément ses distances avec la grande kermesse trap. Il ne faudrait cependant pas le classer pour autant au rayon intello expérimental ou en faire un rappeur « compliqué ». Cérébral, certes, le rappeur prend toujours soin de glisser du second degré et de l’humour noir dans ses histoires. C’était le cas par exemple quand il a imaginé un album entier autour des logements sociaux Robert Taylor Homes dans lesquels il a grandi avec ses grands-parents, au sud de Chicago ( Brick Body Kids Still Daydream en 2017). C’est encore la règle quand, pour la première fois, il se penche sur des tourments plus intimes.

Une année pourrie

Fan de mangas ( Death Parade) et de comics ( Sweatpants Spiderman, sur lequel il évoque la quarantaine qui approche), il s’appuie sur ces références et son sens de l’autodérision pour mettre de la distance, mais aussi se reconstruire. Dans le New York Times, il expliquait ainsi récemment:  » La thèse de départ est que les Noirs sont ceux qui ont le plus besoin des mangas, qui sont souvent des fantaisies avec des héros possédant des super-pouvoirs. Je pensais faire le lien entre les combats des personnes marginalisées et ces super-héros. Mais entre-temps, la vie m’a envoyé une série d’uppercuts, et j’ai eu besoin de ces super-pouvoirs pour moi-même » , comme par exemple ceux de JoJo’s Bizarre Adventure sur I’m a Joestar.

Sur des productions souvent mélancoliques mais jamais plombées, signées e.a. Black Milk, Gold Panda, Nedarb, et rassemblées par Jacknife Lee (U2, REM, Taylor Swift, etc.), Open Mike Eagle évoque ses galères, à la fois drôle – The Black Mirror Episode, évoquant l’épisode de la série qui a déclenché la fin de son couple-, et touchant ( WTF Is Self Care). En toute fin, sur un morceau enregistré live, le rappeur partage même le micro avec son fils de 11 ans, racontant comment il a failli se noyer l’après-midi même, devant ses yeux, en expérimentant le snorkeling. Conclusion drolatique, absurde et ô combien symbolique d’un disque qui impose Open Mike Eagle comme l’un des rappeurs les plus singuliers et attachants de la scène US.

Open Mike Eagle

« Anime, Trauma, and Divorce »

Distribué par Auto Reverse.

8

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