À COUP DE SQUELETTES ET D’ANIMAUX MONUMENTAUX PEINTS EN NOIR ET BLANC, BONOM A SCARIFIÉ L’INCONSCIENT URBAIN BRUXELLOIS. BIEN PLUS QU’UN GRAFFEUR… RATTRAPÉ AUJOURD’HUI PAR LA GRAVITÉ UNIVERSELLE. PORTRAIT.

L’artiste se tient là, juste sous nos yeux, dans le grand désordre que constitue une exposition en train de se monter. L’impression soudain de saisir une ombre. L’éléphant du Mont des Arts, le renard de la Cité Administrative, le corbeau du pont du Germoir, le morse sur bâche du Canal et peut-être même la femme qui se masturbe de l’avenue Louise ou l’homme qui se cache le sexe Porte de Hal… C’est lui. Mais qui lui? Où commence la légende, où surgit le personnage, où s’arrête la réalité?

Vincent Glowinski aka Bonom: l’objet de l’énigme a beau être sous les yeux, on n’en a pas pour autant la clé. Qui est qui? Qui est quoi? Qui fait qui? Qui fait quoi? Le lien entre ces deux entités est complexe. Le graffeur trie le bon grain de l’ivraie: « Glowinski, c’est avant tout mon patronyme, mon nom d’artiste. Bonom n’a jamais été quelque chose d’officiel, c’est un tag, je ne l’ai jamais assumé comme nom d’artiste. Il est devenu un personnage de rue autour duquel s’est créée toute une histoire. Je ne me reconnais pas sous le nom de Bonom. Il est plus question d’incarner un personnage que de l’être. »

Avant de faire un pas vers la schizophrénie artistique en créant Bonom, Vincent Glowinski était comme tout le monde. Né en 1985 à Paris, il suit un parcours sans histoire, faisant peu de cas des « graffitis classiques » qu’il signe dans les friches urbaines et des « cours de dessin après le bac » qu’il attribue à une transmission inconsciente opérée par sa mère sculptrice. Ces cours de dessin, augmentés d’une intense pratique d’observation et d’un travail rigoureux d’autodidacte, le mènent tout droit, à 19 ans, à La Cambre.

Il découvre un nouveau territoire, Bruxelles, et s’émancipe dans le même temps. « Cette ville a marqué un épanouissement dans mon travail de rue, un grand élan, le contraste avec Paris a fait jaillir plein de choses en moi, le côté perpétuellement en chantier de Bruxelles a épousé à la perfection mon désir d’expression de l’époque… Ici, tous les murs ont l’air abandonné. »

A Paris, Vincent avait élaboré une grammaire formelle composée d’animaux et de squelettes préhistoriques. A Bruxelles, en 2005, Bonom répand ces étranges bestiaires et ossuaires sur les murs de la ville. Rupture, insoumission et bras d’honneur à la loi? Certes, mais pas seulement. Bonom est le bras armé, performatif, de Vincent Glowinski qui lui prémâche le travail en noircissant des carnets d’esquisse par centaines. Si Vincent dessine à la lumière du jour, Bonom peint « comme une imprimante » en pleine nuit, le nez collé sur le motif qu’il est en train de réaliser. La silhouette qui grimpe dans le noir relève de l’épiphénomène, elle est l’émanation d’une charge expressive bien plus grande.

Mort et renaissance

Vincent Glowinski identifie trois périodes dans le travail de Bonom, elles ont tout d’une courbe de Gauss. Les débuts sont timides, les interventions dans la ville se font le long d’un axe, celui du Bus 71 que Vincent emprunte souvent. Comme un animal, il dessine les contours d’un territoire qui lui confèrent l’illusion de la sécurité.

Ensuite, vient ce qu’il appelle sa « période la plus arrogante » ou « l’apogée de la jeunesse« , il s’en prend aux bâtiments royaux, l’Albertine, le musée d’Art moderne, mais aussi aux édifices « un peu sérieux » comme on en trouve en face de la gare Centrale. C’est à cette époque qu’il rencontre Ian Dykmans dont les prises de vue « vont dévoiler autant que construire la légende de l’artiste« , comme l’écrit le curateur de l’exposition Adrien Grimmeau. Avec Ian, il accède à une nouvelle dimension de sa peinture qu’il n’avait fait qu’effleurer, la narration. Photographié de nuit avec ses brosses, Bonom livre un véritable combat avec les monstres qu’il fait surgir sur les murs.

En 2009, arrive ce qui doit forcément arriver: l’arrestation policière. Rien de très méchant mais « un tas de petites histoires administratives » qui obligent Vincent Glowinski à s’interroger sur la question de la limite. « La limite est double. Il y a la limite de la loi et du corps. Vincent comprend que Bonom est placé dans un contexte où il ne peut que perdre. Il est en permanence à l’affût, il guette, c’est de la paranoïa de tout instant: repérer et ne pas se faire prendre. La visibilité acquise par le travail dans la ville est un point de départ duquel on ne peut que chuter, tant financièrement -il n’y a rien à gagner- que socialement. Puis, il y a la limite du corps, la chute au sens propre, j’en ai fait l’expérience, c’est après elle que j’ai commencé à parler de singe boiteux. En méditant sur tout cela, j’ai compris, non sans regretter cette force qui m’a quitté, qu’il était impossible de continuer une relation interstitielle avec la société. D’autant qu’il faut se rendre à l’évidence: j’ai joué avec la rue, je n’y suis pas né. »

A ce dossier à charge, il faut ajouter les malentendus qui dénaturent son travail, font de lui un bouffon urbain. Un petit jeu dans lequel la presse excelle. Là où elle débusque l’engagement politique, Vincent Glowinski ne voit que de très personnelles obsessions. L’ode à la nature? Adrien Grimmeau tranche avec beaucoup de pertinence: « L’artiste entretient un rapport étroit avec chaque animal choisi, plus proche de la fusion que de la contemplation. » Du coup, l’exposition qu’il présente avec Ian Dykmans à l’Iselp (lire par ailleurs) est une façon de tourner la page sur Bonom. L’évènement s’accompagne d’une monographie qui confirme le décès. Bonom est mort, vive Vincent Glowinski dont la pratique se poursuit à travers d’autres médiums: sculpture en cuir, suite à sa rencontre avec le bourrelier Geoffrey Corman, mais également performances façon « human brush », à l’instar du spectacle Méduses qu’il a développé avec Ultima Vez, la compagnie de Wim Vandekeybus. Il est fécond le ventre d’où sont sorties les bêtes.

RENCONTRE Michel Verlinden

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