Réalisateur de Frost/Nixon, Ron Howard s’attache au caractère shakespearien de l’ancien président démissionnaire des Etats-Unis.

Acteur apprécié avant de devenir un cinéaste prolifique, Ron Howard a construit, en une vingtaine d’années, une filmographie aux contours multiples, ayant embrassé les genres les plus divers, du drame psychologique au fantastique, de la comédie au thriller, de la fable pour enfants au western détourné. Corollaire de cette polyvalence: une facture variable, qui l’a vu réaliser les remarquables A Beautiful Mind (Un homme d’exception) ou Apollo 13, mais se complaire dans un même élan dans le kitsch d’un Grinch, quand il ne commettait pas une adaptation poussive du Da Vinci Code de Dan Brown.

Succédant à ce dernier, Frost/Nixon, qui recadre les entretiens-vérité qui opposèrent l’ancien président des Etats-Unis à un journaliste de télévision, compte parmi ses indiscutables réussites. Alors qu’on le rencontre dans un palace bordant Central Park, Ron Howard, qui a pourtant Hollywood à ses pieds, allie à une exquise courtoisie une modestie non feinte…

Focus: qu’est-ce qui vous a amené à réaliser ce film?

Ron Howard: la lecture de la pièce m’avait beaucoup surpris. Je ne connaissais guère David Frost, et j’ignorais tout des difficultés ayant précédé ces entretiens. Et si ces interviews avaient eu, pour moi, un effet cathartique à l’époque, je n’avais pas vraiment saisi ce qu’avait dû représenter pour Nixon le fait de se trouver là. Peter Morgan, l’auteur, a accompli un boulot fantastique en créant un thriller de prétoire autour de cela, et plus encore: en voyant la pièce, j’ai aussi réalisé son impact émotionnel. On tenait là quelque chose de très riche, en plus d’un drame à idées, et j’ai décidé de m’y consacrer.

Qu’est-ce qui rend Nixon si fascinant, 35 ans encore après les faits?

Il présente un véritable paradoxe, avec une dimension shakes-pearienne. Quelle que soit la façon dont on l’appréhende, cela tourne au profil psychologique. J’ai rencontré des gens qui avaient travaillé avec lui, dans son staff ou au sein des équipes de recherche qui préparaient les entretiens. Plus de trente ans après, il y a toujours un profond respect, et une reconnaissance de ses qualités, son intelligence, son éthique de travail, sa vision géopolitique. Mais en même temps, il y a cette immense frustration, et cette déception de l’avoir vu laisser ses démons personnels l’entraîner, et abuser du pouvoir. Il y avait en lui la complexité d’un homme qui ne s’est jamais senti à l’aise dans sa peau – c’est un introverti dont l’ambition est d’être un grand leader global, ce qui s’avère déjà source de conflit.

Aviez-vous l’intention de racheter Nixon, ou plutôt d’en faire le croquemitaine?

Ni l’un ni l’autre. Je ne voulais pas l’exonérer. Il était important de reconnaître ses qualités tout en soulignant ses abus de pouvoir. Nous en avons même fait l’inventaire dans une scène. Nous voulions opérer ce rappel à l’attention des spectateurs, ce qui nous offrait aussi l’opportunité de choisir des domaines où il existe un parallèle avec l’administration Bush, quelque chose que n’essayait pas de faire la pièce.

Quel était votre sentiment sur Nixon à l’époque?

Les entretiens ont signifié énormément pour moi à l’époque. J’avais vécu dans l’agitation des sixties, le Vietnam, suivis du Watergate, de sa démission, de l’amnistie que lui offrait Gérald Ford, de la perspective que l’on ne saurait jamais ce qui s’était produit, pas plus que l’on n’a jamais eu le fin mot sur l’assassinat de JFK. Quand ces interviews se sont présentées, j’étais vivement intéressé, non que je haïssais Nixon, mais j’étais frustré, et en pleine confusion, avec le halo de mystère qui entourait ces événements. Elles m’ont permis d’établir pour moi-même qu’il avait bel et bien abusé du pouvoir et que, d’une certaine façon, justice avait été rendue. C’était la fin d’un chapitre douloureux, et je me souviens m’être dit, dans toute la naïveté de mes 23 ans, que ce type d’abus de pouvoir ne se reproduirait jamais…

Ne vous êtes-vous jamais, comme jeune metteur en scène, retrouvé dans une situation comparable à celle de David Frost. N’avez-vous jamais été en face d’une superstar qui ne joue pas le jeu?

La première star que j’ai dirigée, c’était Bette Davis, dans Skyward, un téléfilm. Elle adorait le rôle, mais ne supportait pas mes 25 ans. Au téléphone, elle n’arrêtait pas de me donner du  » Mr Howard« , à quoi je lui disais:  » Miss Davis, please, just call me Ron.  » Et elle:  » Non, je continuerai à vous appeler Mr Howard jusqu’au moment où j’aurai décidé si je vous apprécie, ou non.  » Je n’en dormais pas la nuit, alors que le premier jour de tournage approchait. On tournait au Texas, il faisait incroyablement chaud, mais j’avais décidé d’arborer veston et cravate – j’avais vu William Wyler le faire, et j’étais tellement peu à l’aise. Bette Davis jouait une pilote, et je devais lui donner une indication. Je me suis approché, elle a feint la surprise et a élevé la voix à l’attention de l’équipe:  » J’ai vu cet enfant s’avancer vers moi, et je me demandais ce qu’il pouvait bien avoir à me dire« , avant d’éclater de rire. Je lui ai donné mon indication, et elle s’y est tenue. Un peu plus tard, le même jour, je reviens avec une autre suggestion, à quoi elle rétorque que cela ne fonctionnera pas. Elle a néanmoins refait la scène, avec l’ajustement demandé, après quoi elle a admis, à très haute voix:  » Vous aviez raison, cela fonc-tionne beaucoup mieux, merci.  » A la fin de la journée, au moment où je lui ai donné son congé, elle m’a répondu:  » OK Ron, à demain. « ,avant de m’envoyer une tape sur les fesses… (rires)

Y a-t-il toujours en vous quelque chose de ce jeune homme de 25 ans qui ne pouvait pas dormir la nuit?

Toujours, et cela ne va pas s’améliorer. On met beaucoup de soi-même dans ce que l’on fait, et on est fort exposé. Je me donne à 110 %, j’expérimente, je ne veux pas me contenter de manufacturer les choses. Quand un film comme Da Vinci Code essuie un tir nourri de la critique, cela ne me fait pas plaisir – mais il y avait là un vrai défi. Pour chacun de mes films, il y a quelque chose sur quoi j’aimerais pouvoir revenir afin de le faire sensiblement différemment.

L’insécurité est-elle un moteur nécessaire à la créativité?

J’ai travaillé avec Henry Fonda sur The Smith Family. Il savait que j’étais intéressé par la mise en scène, et m’a encouragé, tout en me donnant un conseil:  » Si tu aimes le cinéma, deviens metteur en scène, c’est un médium de metteur en scène. Et si tu aimes jouer, il n’y a rien de tel que la scène, où tu peux prendre les rênes de ta performance. Mais, a-t-il ajouté, tu devras te faire peur, sans quoi cela ne durera pas. Un réalisateur ne peut voler en pilotage automatique. » Et il avait raison…

Entretien Jean-François Pluijgers, à New York.

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