Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Comme au cinéma – Un jeune critique provincial est le héros de ce film suisse ironique et fascinant, mettant en scène le désir, la cinéphilie, les faux-semblants, avec art et précision.

De Lionel Baier. Avec Robin Harsch, Natacha Koutchoumov, Elodie Weber. 1 h 29. Sortie: 15/09.

Le cinéma de Suisse romande a connu son heure de gloire dans les années 60 et 70 quand, portés par la Nouvelle Vague française, émergèrent des auteurs comme Alain Tanner ( Charles mort ou vif, La Salamandre), Michel Soutter ( Repérages) et Claude Goretta ( L’Invitation). Jean-Luc Godard était suisse, après tout! Et les réalisateurs tout juste cités, le grand Tanner en tête, surent personnaliser leur art en le nourrissant de quête existentielle, d’attention aux êtres, avec une approche de la fiction parfois voisine du documentaire. Dans une production aujourd’hui nettement moins tranchante, le talent du jeune Lionel Baier se signale à l’attention. Le natif de Lausanne aura 35 ans le 13 décembre prochain. Après quelques courts métrages et films documentaires, il avait signé en 2004 un premier long métrage en rupture avec le ronron de la production helvétique. Garçon stupide mettait en scène un jeune homme collectionnant (sur Internet puis en réel) des rencontres avec des hommes, réalisant une série de fantasmes sexuels. Baier y interprétait le personnage principal… sans apparaître directement à l’écran! Avec Un autre homme, il nous invite sur les pas de François, jeune diplômé formé à l’histoire et à la littérature médiévale, qui a suivi sa petite amie enseignante dans une vallée reculée où elle a trouvé un poste. Lui-même se voit offrir un job de journaliste dans une publication locale, où il doit notamment couvrir les sorties de l’unique cinéma du coin. Peu concerné, il recopie des articles d’une revue spécialisée intello et confidentielle, éreintant les films programmés et se mettant l’exploitante à dos. Mais la fréquentation des projections de presse à Lausanne (la grande ville la moins éloignée) lui fera prendre goût à l’activité critique, et surtout subir l’attraction de Rosa, une collègue aux allures de personnage de Godard. Une attraction qui pourrait bien se révéler fatale…

Hors du temps

Admirateur de Truffaut (d’où le prénom du personnage central), Lionel Baier a choisi de tourner Un autre homme dans un très beau noir et blanc qui installe son film dans un « hors du temps » fascinant. Car si l’actualité cinématographique y rappelle sans cesse que nous sommes de nos jours (la première critique que doit écrire François est sur Last Days de Gus Van Sant), cette option esthétique évoque bien sûr avant toute chose l’époque des années 60, de la cinéphilie militante et de ce cinéma suisse roman volontiers existentialiste qui émergeait alors. Mais le ton n’est pas ici, et de loin, aussi généreux, humaniste, qu’il ne l’était jadis dans ce cinéma. Baier filme avec une fascinante froideur les évolutions de son « héros », imposteur patenté qui va peu à peu délaisser une compagne trop banale pour s’attacher au sillage d’une femme manipulatrice, comme le film « noir » en a produit de nombreuses et de vénéneuses. Certains regretteront ce regard glacial, cette ironie que le réalisateur exerce vis-à-vis de François mais aussi de la critique cinématographique, épinglée dans ses (réels) défauts et dérives. D’autres (dont nous sommes) trouveront du plaisir au spectacle cruel que Baier maîtrise d’autant mieux que ses interprètes principaux, Robin Harsch et Natacha Koutchoumov, jouent parfaitement le jeu. l

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