Olivier Gourmet est proprement saisissant devant la caméra interpellante d’Abdellatif Kechiche, pour qui il a évolué à la limite…

Du film, qu’il a découvert la veille au soir, lors de sa projection officielle à la Mostra de Venise, Olivier Gourmet vous dit, alors qu’on le rencontre dans le jardin d’une villa du Lido, qu’il l’a trouvé « correct », qualificatif on ne peut mieux adapté à Vénus noire ( lire la critique page 31), le nouvel opus de Abdellatif Kechiche, ni réussite exemplaire, ni échec embarrassant. Au c£ur du propos du réalisateur de La Graine et le mulet, une femme, Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », dont il s’emploie à retracer le destin cruel, lorsque, arrachée à son Afrique du Sud natale, elle sera contrainte à exhiber ses formes dans les foires et salons d’Europe du début du XIXe siècle, « freak » exploitée contre la promesse d’une chimérique ascension.

Aux côtés de Yahima Torrès, authentique révélation dans un rôle que l’on ne saurait mieux qualifier que d’ingrat, Olivier Gourmet y campe Réaux, le forain qui prendra la destinée de Saartjie en mains, en faisant un phénomène pour salons libertins parisiens. Un pur salaud, en première lecture, auquel l’acteur s’est toutefois employé à apporter des nuances: « Le scénario était écrit dans ce sens, observe-t-il. Il y avait une volonté de ne pas machiavéliser le personnage. Pour m’aider, Abdel n’arrêtait pas de me dire qu’il était très croyant, afin de lui donner une part d’humanité. Et moi de lui dire qu’il pouvait me parler comme à un comédien un peu responsable, qui sait que pour faire un méchant, il ne faut pas caricaturer et jouer le méchant… «  Avec un résultat probant à l’écran, qui voit s’insinuer, entre Réaux et Saartjie, quelque chose de l’ordre de la relation amoureuse, histoire d’installer une certaine ambiguïté entre eux et de ne pas surligner la part sombre du personnage.

Licence et voyeurisme

S’agissant, cependant, d’explorer le combat pour sa dignité de cette femme, le film balade le spectateur à l’extrême limite de l’inconfort, rejoignant en cela l’acteur – « Il y avait des choses qui étaient à la limite de ce que je pouvais accepter de faire, souligne Olivier Gourmet. Et des choses qui étaient écrites et que j’ai refusées. On en a parlé, Abdel et moi, et il n’y a pas vu d’objection. Il était très tolérant sur ce qu’on acceptait de faire et de ne pas faire. »

En filigrane, s’esquisse la question de la licence, l’un des enjeux du film: « Dans tout art, il y a des limites et des contraintes, poursuit l’acteur. C’est ce qui en fait aussi la beauté. On peut parler de tout, mais il y a la façon: si on montre n’importe quoi, on est dans la téléréalité. Il faut rester vigilant par rapport à ça. » Au vrai, et s’il fait le procès d’une époque où le racisme avait bonne conscience, Vénus noire trouve aussi, dès lors qu’il aborde frontalement le voyeurisme, une résonance toute contemporaine. « Pour moi, cela résonne terriblement par rapport aux supports télé, et à Internet. Ce n’est même pas une question de racisme, mais bien de respect de l’autre, jusqu’où va-t-on et que montre-t-on aujourd’hui? On voit, de nos jours, des jeunes qui en attrapent un autre, le frappent, filment avec leur téléphone et montrent cela sur Internet. On avilit le regard et la différence. Pour moi, la résonance est là. Plus que sur l’aspect ethnie différente, même si c’est là aussi, cela porte sur le théâtre, le cinéma et la télé, et ce besoin qu’ont les gens d’avoir toujours plus de spectacle et de choses trash. Le film pose aussi la question de la mise en scène, et jusqu’où un metteur en scène peut aller, il y a quelque part de la remise en question…  »

Une question éthique, qui fait aussi le prix d’un film à la facture quasi clinique, dont on se demande si elle oriente les choix du comédien: « Le seul vrai moteur, qui est toujours le même, c’est le plaisir. Cela commence à la lecture du scénario: ceux qui me procurent du plaisir correspondent souvent à des films où il y a un univers singulier, une forme singulière et une approche humaine des personnages. Mes choix vont avant tout vers ça, cette notion de plaisir, il ne s’agit pas d’une forme de résistance ou d’engagement. Après, je suis content quand les films remettent en question et questionnent, ça c’est clair… « 

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Venise

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