Retour sur l’épatant quatrième long métrage de Mathieu Amalric, Prix de la mise en scène à Cannes, et sur nos écrans depuis quelques jours…

Dans une levée cannoise qui n’en fut d’ailleurs point avare, Tournée (critique dans Focus du 25/06) restera comme un ovni délicieux, road movie hors normes déroulant sa trame insolite au détour de routes de France arpentées par une troupe de strip-teaseuses américaines New Burlesque. Et, dans le même mouvement, déambulation à rebours des chemins balisés de l’existence. Quelques jours après avoir enflammé la Croisette, Mathieu Amalric, le réalisateur du film, nous en dévoilait les dessous… « Le film est parti de L’envers du Music-Hall de Colette. Je cherchais un cadre qui résonne avec ce texte où, pendant 6 ans, elle a eu envie de se libérer de quelque chose -peut-être de sa vie avec Willy, un homme qui signait sous son nom à lui les livres qu’elle écrivait. C’est à ce moment qu’elle est tombée amoureuse d’une femme, Missy, et qu’elle est partie dans un truc de music-hall. Je cherchais cette pulsion-là, aujourd’hui. Quand je suis tombé sur un article d’Elisabeth Lebovici, dans Libération, où elle parlait du New Burlesque, j’ai senti tout de suite que Colette aurait fait ça. »

Héritier de la tradition anglo-saxonne du music-hall, le cabaret New Burlesque mêle la satire sociale à une gestuelle dénudée et volontiers outrancière. Devant la caméra de Amalric, les Mimi Le Meaux, Evie Lovelle et autre Dirty Martini, s’en font les ambassadrices irrésistibles. « Je les ai d’abord connues par la scène, commespectateur. Vous vous prenez leurs shows dans la figure, à quel point chaque numéro raconte leur personnalité, leur intimité, leur trouille ou leur sens politique. Au lieu de faire des discours, le corps devient un vecteur politique. » Adjoignez-leur un personnage de producteur flamboyant, inspiré, moustache comprise, de Paulo Branco, mais encore de Jean-Pierre Rassam et Humbert Balsan, aventurier qu’interprète l’acteur-réalisateur en personne, et le film prend forme – « c’est souvent la percussion de 2 matières qui fait naître une histoire, observe-t-il. J’ai toujours été fasciné par les producteurs. L’irresponsabilité qu’ils doivent prendre en charge, mais aussi leur courage physique, financier, une forme d’inconscience et de désobéissance. »

Résistance au formatage

Désobéissance, le mot est lâché. Derrière Tournée point en effet le refus du conformisme, exprimé sur différents modes -voir déjà, ses héroïnes dont la seule présence décomplexée est un formidable pied de nez au formatage. « J’ai eu le sentiment que ces femmes étaient en colère contre quelque chose. Peut-être essaient-elles, après avoir eu le courage d’apprendre à aimer leur corps, de lutter contre l’image, et contre l’obligation d’avoir un corps parfait aujourd’hui. » S’y ajoute une subversion pratiquée en douceur, et distillée, par exemple, au détour d’un running gag particulièrement savoureux. A l’arrivée dans chaque nouvel hôtel, le producteur demande que l’on baisse le volume de la musique ambiante, pour se voir non moins systématiquement opposer, par un employé arborant l’uniforme de circonstance, un refus ennuyé mais catégorique. « Parfois, on est subjugué par la bêtise que l’être humain s’inflige en société. J’ai préféré en parler avec humour, mais cela raconte aussi quelque chose sur la liberté de ces femmes, et sur la désobéissance possible face à la violence de la société. Là, ce n’est pas trop grave, mais en d’autres temps… » Quant à poser des gestes de résistance au quotidien? « Désobéir, c’est peut-être parler à l’intelligence et à la sensibilité de chacun. Essayer que si on aime quelque chose, ce soit contagieux et le faire aimer. » Voir Tournée, c’est déjà s’en convaincre un peu…

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Cannes

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