LONGTEMPS CALÉ DANS LES MARGES DE LA POP INDÉ, LE CANADIEN DAN BEJAR IMPRESSIONNE AVEC LE NOUVEL ALBUM DE DESTROYER, DISQUE AUSSI ÉLÉGANT QUE SOPHISTIQUÉ, HUMECTÉ DE GRANDES CORDES ROMANTIQUES.

Si le succès ne se commande pas, à l’inverse, peut-être bien qu’il y a moyen de le tenir à distance. Destroyer, le projet du Canadien Dan Bejar (1972), a beau proposer une discographie longue comme le bras, débutée il y a pas loin de 20 ans, ce n’est que très récemment que son nom a commencé à résonner au-delà du cercle d’initiés. Incompréhension ou autosabotage en règle, allez savoir -après tout, dès le nom de son groupe, que l’on imagine plus facilement coincé entre deux combos de black metal sur la Cannibal stage de Dour qu’en embarcation indie pop au long cours, Bejar a joué la confusion…

En 2006, Destroyer connut bien un embryon de reconnaissance: passé inaperçu en Europe, l’album Destroyer’s Rubies réussit alors à capter l’attention aux Etats-Unis. Sourire figé à la Buster Keaton, Bejar explique aujourd’hui: « Le disque marchait bien, mais j’ai été un peu cavalier (sic). J’ai dû faire une douzaine de concerts pour le promouvoir, pas plus. Puis j’ai préféré partir en Espagne. » Pendant sept mois, il s’exilera à Malaga… De toutes façons, pour les tournées à rallonge, le clinquant médiatique (et les finances), Bejar peut compter sur The New Pornographers, gloire indie basée comme lui à Vancouver, qu’il a rejointe dès l’an 2000. « Cela m’a permis de continuer à faire ce que je voulais avec Destroyer, qui de toutes façons ne me semblait pas appartenir au même monde. Du moins jusque récemment… »

Full sentimental

Il y a quatre ans en effet, Bejar a « dérapé ». Plus cadré qu’à l’habitude, l’album Kaputt a amené un nouveau public. « Est-ce que c’était son ambition? Hmmm, pas forcément. Disons qu’une fois le disque terminé, je l’ai écouté, et je me suis rendu compte que c’était de la pop. Donc j’ai enfilé un joli costume et shooté des photos de presse, ce que je n’avais jamais fait. J’ai tourné des clips, là aussi une première pour moi. J’ai joué dans des gros festivals que j’ai toujours essayé d’éviter. Je me suis même retrouvé sur des plateaux télé… »

De cet épisode, Bejar est malgré tout sorti « indemne ». Il n’a en tout cas pas changé sa manière de travailler: comme à chaque fois, il a enchaîné avec un disque prenant la tangente du précédent. Une manière d’esquiver. Ou mieux encore: de se cacher? « Je maintiens en tout cas que ma personne est la partie la moins importante de mes disques. » Après les accents quasi glam de Kaputt, voici donc Poison Season et ses somptueux arrangements de cordes. Un grand disque sentimental, au crooning aussi luxuriant que désenchanté -un peu comme si Bob Dylan avait joué au Carnegie Hall dans les années 50. « J’entendais des cordes et des cuivres, qui me ramenaient davantage vers Duke Ellington ou Frank Sinatra que vers le rock. » Bejar passe aussi par des humeurs très eighties (Archer On The Beach ou le très « springsteenien » Dream Lover), mais sans jamais s’éloigner d’une écriture classique sensible, adepte des grands huit émotionnels. « J’ai de plus en plus envie d’une musique qui évoquerait davantage des ambiances qu’elle n’essayerait de faire passer des idées précises. Ces dernières années, j’ai écouté pas mal de disques de jazz. Ce qui m’a permis de retomber sur tous les standards de ce qu’on appelle le Great American Songbook. En les passant en revue, vous réalisez à quel point nombre d’entre eux se rattachent à une sorte de grandeur fanée, entre la décadence et le déclin. J’aime ça. C’est ce que je voulais retrouver sur Poison Season. »

Sur Hell, Bejar chante ainsi: « I was born bright/Now I’m dark as a well. » Un trait d’esprit de quadra désabusé, qui donne une bonne idée de l’humour à froid du bonhomme. Etant entendu que l’ironie n’empêche pour une fois pas l’émotion. « Aux Etats-Unis, on confond souvent l’ironie et le sarcasme. Ce n’est pas la même chose. L’ironie, c’est la collision entre deux significations, qui en crée une troisième. Ce qui est aussi, in fine, un processus important de la pratique artistique. » Plus bougon inspiré (à la Van Morrison) que caméléon contrôlant chacun de ses mouvements (à la Bowie), Bejar réfute de toutes façons toute grande réflexion qui viendrait briser le geste. « J’ai souvent peur que les choses soient trop construites. En gros, j’ai tendance à me méfier de tout ce qui ne tient pas de la pure inspiration. Je ne suis jamais certain d’y trouver l’élan mystique que j’attends de la musique (rires). »

EN CONCERT LE 04/11 AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

DESTROYER, POISON SEASON, DISTRIBUÉ PAR MERGE.

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RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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