Toujours attifé comme un mannequin rital des années 80, le DJ montréalais s’amuse tout le long de son 2e album, Ciao!. Nous aussi.

Tiga ne manque pas d’esprit. « Là, je descends de l’avion. Vous êtes le numéro 7 et il y en a encore 4 derrière. Donc c’est bon, vous me prenez à un bon moment: je suis chaud, détendu, mais bientôt je risque de plonger, et commencer à lâcher quelques vannes pathétiques et dépressives. » En attendant, le Canadien pince-sans-rire s’en tient à quelques commentaires sur le foot belge ou sur ce bon vieux « fucking » Jacques Chirac (qui lui a grillé la politesse en sortant du même hôtel bruxellois où on le rencontre ce jour-là). L’essentiel de la discussion porte cependant bien sur son nouvel album, intitulé Ciao!. Il succède à Sexor, sorti en 2006. A l’époque, Tiga en avait agacé quelques-uns. Précurseur de la techno à Montréal, il avait en effet joyeusement sabordé sa crédibilité de pionnier pour enfiler le costume de minet électro-pop à l’humour « tongue-in-cheek » (le carton de You Gonna Want Me et, quelques années auparavant, sa reprise du hit eighties, Sunglasses at Night). Le nouvel album remet le couvert mais en diversifiant encore un peu plus le menu, voire en expérimentant. On y trouve donc du tubesque ( Beep Beep Beep), mais aussi de la pop plus « cubiste » ( Mind Dimension 2), voire fétichiste ( Shoes), jusqu’à des longues plages de crooning disco ( Love Don’t Dance Here Anymore),…  » En fait, j’adore l’Italie. Or, il y a pas mal de disques italiens impressionnants durant la période disco. Des trucs complètement barrés, avec des mecs déguisés en cow-boys chantant des morceaux sur des avions. L’absurde est quelque chose qui compte énormément pour moi en musique. Qu’est-ce qui arrive quand vous arrêtez de penser? »

Dans le cas de Tiga, l’important n’est peut-être pas de savoir quand, mais avec qui il arrête de penser. Car le bonhomme s’est une nouvelle fois entouré d’une solide brochette de camarades, des frères Dewaele (Soulwax) à James Murphy (LCD Soundsystem), en passant par Jesper Dahlbäck ou le nouveau venu Gonzales. Mais il insiste: « Ce sont d’abord et avant tout des amis. » Il est donc possible de tisser de vrais liens, quand chacun passe son temps à courir la planète, entre deux sets DJ? « C’est justement là qu’on se croise! Et d’une certaine manière, c’est cela aussi qui accélère les amitiés. Quand vous êtes loin de chez vous, et que vous retombez sur quelqu’un de votre « coin », le contact est beaucoup plus facile… Mais au bout du compte, je suis surtout intéressé par les gens qui ont un certain sens de l’humour. Or des gars comme James ou Dave et Stef (ndlr: Dewaele) sont des mecs extrêmement drôles. »

Victime consentante

Paradoxe de l’époque: longtemps cantonnés derrière leurs platines ou braqués sur le format maxi, les DJ sortent aujourd’hui tous des albums. La tendance n’est pas neuve. Mais elle n’a jamais été aussi importante depuis qu’on a… cessé de vendre des CD. « Probablement parce qu’aujourd’hui les DJ sont les seuls qui peuvent encore s’offrir le luxe de réaliser un album! » Explication?  » Je peux passer un an et demi de ma vie à faire ce disque. Je peux y mettre du temps, des idées, des connexions… Les critiques sur le disque peuvent même être super positives. Cela n’empêche qu’au bout du compte, il se peut qu’il ne se vende quand même pas. Dans le même temps, je peux booker des soirées comme DJ en Russie ou en Chine, et y faire plus d’argent que le disque ne m’en rapportera jamais. C’est une situation complètement dingue! Mais on peut aussi se dire que l’argent finalement ne fait que se déplacer d’un poste à un autre. Cela permet en tout cas de justifier qu’un idiot à Dubaï veuille me payer un bon paquet de dollars pour jouer à la soirée qu’il organise pour ses potes. Donc… » Donc, Tiga n’hésite pas à enchaîner les sets DJ aux quatre coins du globe. Cela dit, il reste malgré tout encore un problème. « Quand vous n’arrêtez pas de jouer à gauche et à droite, vous finissez par vous sentir comme un zombie. Vous devenez un corps qui est transporté un peu partout. » Difficile cependant d’imaginer que la victime ne soit pas consentante. « Disons que j’ai appris qu’il ne faut jamais questionner l’ambition. Si elle est là, il faut y aller. Vous savez, même si je me sens heureux, je suis une personne torturée. J’ai un carnet que je prends partout avec moi (ndlr: il le sort de sa poche). Tous les soirs, je note ce que je vais faire le lendemain. Parfois j’aimerais bien que cela s’arrête. Mais d’un autre côté, Je suis comme ça. Je dois composer avec. »

Sur le titre Luxury, Tiga affirme que le luxe lui procure la paix intérieure, avant d’énoncer une suite de marques luxueuses. On pensait y déceler un trait d’ironie. On en est plus si sûr. « Non, non, c’est vrai! Je suis quelqu’un de très frivole. Et j’en suis fier (rires). Ce n’est pas ironique, mais plutôt terriblement honnête. C’est un peu l’idée du livre American Psycho: il n’y pas de morale, seuls les biens matériels sont la vérité. Par contre, contrairement au psychopathe d‘American Psycho, j’aime aussi être paumé dans la nature, au milieu des montagnes. Mais bon voilà, le problème est qu’au moment d’écrire cette chanson, j’ai passé trop de temps à Paris. Au lieu d’être avec de vrais potes, j’étais place Vendôme… (sourire) Ce qui est marrant aussi avec ce morceau, c’est que la plupart de mes amis comme Dave et Stef sont loin de tout ça. J’ai rencontré pas mal de gens chez eux, à Gand, et on a l’impression que pas un seul ne veut une belle voiture. James aussi par exemple, c’est un punk, du style: « Tu veux me filer des millions de dollars pour ma chanson? Va te faire foutre! » J’ai souvent des discussions avec eux là-dessus. Je pense que si les gens sont vraiment honnêtes avec eux-mêmes, il n’y a rien à craindre du luxe ou de l’excès. Ce qui compte, c’est ce que vous mettez dedans. » l

Tiga, Ciao!, distribué par Wall Of Sound/Pias. En concert, le 02/05, au Polsslag, à Hasselt.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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