L’Haçienda a subsisté grâce aux ventes de New Order avant de devenir le temple de l’acid house et de la rave music, le symbole des années Madchester. Aujourd’hui, elle a fait place à des appartements.

Elle a été imaginée par Rob Gretton, le manager de Joy Division et de New Order. Madonna, même si elle a prétendu plus tard au maître des lieux, feu Tony Wilson, ne pas s’en souvenir, y a donné son premier concert en Angleterre, le 27 janvier 1984. Intimement liée à l’ascension de la rave music et de l’acid house, elle est aussi indissociable des années Madchester célébrant la fusion décomplexée des genres. Le mariage halluciné du rock et de la house qu’elle fut l’une des premières à importer de Chicago. Pendant les eighties, l’Haçienda a joué un rôle de catalyseur des tendances et des mouvements musicaux. Elle a même été un temps le club le plus réputé de la planète.

Avant de devenir le temple de la vie nocturne mancunienne, le bâtiment sis au coin d’Albion Street et de Withworth Street West, en plein centre de Manchester, sert de magasin et d’entrepôt à un constructeur de yacht. Puis, dans les années 70, de cinéma, diffusant exclusivement des films de Bollywood pour les immigrés de la communauté sud-asiatique.

L’Haçienda, dont le nom est tiré d’un slogan de l’internationale situationniste – « The Hacienda must be built » -, ouvre en 1982. Les plans du club ont été dessinés par Ben Kelly, recommandé par le designer de la Factory Peter Saville. Financée en grande partie par New Order, Factory Records et son boss Tony Wilson, elle accueille à ses débuts des groupes comme les Smiths et Birthday Party… Rapidement, les factures impayées s’accumulent. Comme pour tous les projets Factory, le profit n’est pas une priorité. Les membres de New Order sont peut-être des passionnés de musique, ils n’ont rien de businessmen. Quant à Wilson, il a coutume de dire que certaines personnes font de l’argent et d’autres font l’histoire. « Ce qui est très drôle jusqu’à ce que tu découvres que tu ne peux plus te maintenir en vie », admettra-t-il plus tard. Wilson devant être soutenu par ses groupes pour payer des médicaments non remboursés contre le cancer.

Superstar DJ

Le succès commercial du Blue Monday de New Order, qui reste 34 semaines dans les charts en 1983, permet dans un premier temps d’éponger les dettes. L’Haçienda entame ensuite sa mue. Pour des raisons financières, d’abord, elle délaisse le live. Le DJ va devenir la star, le centre de toutes les attentions.

Parti travailler dans la restauration à Londres, Laurent Garnier devient, à Manchester, le DJ vedette du club par lequel la dance music a envahi l’Europe.  » La house music n’avait pas encore explosé. Pendant six ou sept mois, je passais aussi bien les Gipsy Kings que du disco, de l’electro, de la go-go, expliquait le Français aux Inrockuptibles en mai dernier. Le funk tournait en rond, c’était propre et policé, la house a apporté de la méchanceté. On se voyait tous à l’Haçienda ou au Dry Bar, le café lui aussi financé par le label Factory. Peter Hook de New Order venait fumer ses joints dans la cabine du DJ. Les Happy Mondays traînaient sur le dance-floor… James, les Stone Roses, A Certain Ratio… C’était une grande famille. On se tapait dans le dos. On dansait ensemble. Les groupes de rock jouaient dans les raves. Les mômes écoutaient autant de rock que d’acid house. Le seul qu’on ne voyait jamais, c’est Morrissey. Il était intouchable.  »

A l’époque, le clubbing est en train de naître. Les soirées se prolongent et les lieux deviennent la Mecque de la génération chimique. Les drogues s’échangent sous le manteau. Pas évident quand on danse torse nu.

« Deux événements liés à la technologie ont tout déclenché, estime Peter Hook qui prépare un bouquin sur le sujet intitulé How not to run a club. La drum machine a permis aux petits blancs de devenir presque aussi rythmiques que les noirs. Et l’ecstasy les a fait danser. »

On parle de second Summer of love. Puis de drogues, de trafic, de bad boys et de racket…

Problèmes de sécurité, problèmes financiers. L’Haçienda, qui avait déjà momentanément fermé ses portes en 1991, perd sa licence en 1997. Elle crache ses derniers décibels avec un concert de Spiritualized. Puis sert momentanément de galerie d’art avant de tomber en faillite et de fermer pour de bon. Deux free parties sont encore organisées par la suite dans ces murs mythiques. L’une d’entre elles se termine par un siège de la police alors que la fiesta bat encore son plein.

Au final, le groupe Crosby Homes démolit le nightclub et réutilise le site pour la construction d’appartements. L’Haçienda était tellement populaire qu’elle est, après son démontage, vendue pièce par pièce (des radiateurs aux lumières indiquant les sorties de secours) à des habitués des lieux, fétichistes et musées lors d’une vente caritative. Un film, le jubilatoire 24 Hour Party People de Michael Winterbottom, évoque brièvement ses heures de gloire et de débauche.

Texte Julien Broquet

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