Théorie du gamer

En 1995, McKenzie Wark compta parmi les amants de Kathy Acker, l’écrivaine la plus destroy, viscérale et politique de l’Histoire récente de la littérature américaine. Lorsque le chercheur australien finit par émigrer de manière définitive aux États-Unis, en 2000, Acker était décédée: il ne restait d’elle que ses livres et leur correspondance. À lire les ouvrages de Wark, on peut comprendre l’attrait que le chercheur, qui enseigne à la New School de New York, avait pu avoir sur elle. Outre sa fabuleuse érudition (il est le seul homme des USA à mieux connaître Marcel Mariën que le plus grand spécialiste belge) et son remarquable bonheur d’écriture, il y a chez lui, comme il y avait chez elle, un refus de la moindre concession à quoi que ce soit. Théorie du gamer, le livre qu’il consacra aux jeux vidéo en 2007, en porte la trace tout autant que celui qu’il avait rédigé juste avant, le culte Un manifeste hacker -traduit en français il y a une dizaine d’années par Critical Secret. Dans les deux cas, il s’agit de penser une technologie nouvelle non pas à l’aune de son essence, mais à l’aune de ce qu’elle fait, de ce qu’elle produit, de ce qu’elle crée. Dans le cas des jeux vidéo, la chose, pour Wark, est claire: ils donnent lieu à un espace géographique et politique inédit, unissant les praticiens du jeu dans un réseau d’interactions qui finit par faire du monde « réel » une copie du « virtuel ». Cet espace, Wark l’appelle  » ludespace« . À travers lui, ce sont toutes les déterminations politiques, économiques et esthétiques contraignant notre existence qui se révèlent, comme si le reflet était plus fidèle que l’original. Même si le corpus de jeux qui servent au penseur à déployer le concept de « ludespace » pourra sembler vintage aux yeux de certains, ses leçons, où Guy Debord, Jean Baudrillard, Gilles Deleuze et Walter Benjamin n’hésitent pas à jouer les caméos, demeurent plus urgentes que jamais. Un classique des games studies -et de la pensée américaine du début du XXIe siècle.

Théorie du gamer

McKenzie Wark, traduit de l’anglais (États-Unis) par Noé Le Blanc, éditions Amsterdam, 216 pages.

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