ANDRÉ HOLLAND BRILLE DANS THE KNICK, SÉRIE HBO RÉALISÉE PAR STEVEN SODERBERGH ET S’INVITANT DANS LES COULOIRS D’UN HÔPITAL NEW-YORKAIS À L’AUBE DU XXE SIÈCLE, AU CONFLUENT D’ENJEUX MULTIPLES. SECOUANT…
Difficile, de prime abord, d’établir un lien entre Raising Helen, véhicule inoffensif profilé pour Kate Hudson que réalisait Gary Marshall en 2005, et The Knick, série hospitalière d’une noirceur revendiquée mise en scène par Steven Soderbergh, et dont la première saison sort en DVD ces jours-ci. On trouve pourtant derrière l’un et l’autre la paire Jack Amiel et Michael Begler, scénaristes du premier et créateurs de la seconde, avec laquelle ils redessinent les contours d’un genre généralement bien balisé. S’invitant dans les couloirs de l’hôpital Knickerbocker de New York au tournant du XXe siècle, The Knick ajoute à son contexte médical attendu le regard documenté sur une époque qu’elle ne cherche aucunement à enjoliver. De quoi tisser une toile inextricable, relevée encore de diverses audaces: la médecine moderne n’en était, après tout, qu’à ses balbutiements, et le réalisme des reconstitutions d’opérations chirurgicales bien souvent menées en public (1) leur donne une tonalité gore inusitée. Un exemple parmi d’autres de la singularité de la série, au même titre que la partition électro de Cliff Martinez, venue contribuer à l’étrangeté de l’ensemble. Et jusqu’à la personnalité de sa figure centrale, le Dr John Thackery, génie excentrique doublé d’un toxicomane avéré, puisant dans la cocaïne l’énergie pour s’atteler à une tâche insurmontable -un rôle auquel Clive Owen apporte le charisme et la folie requis.
A ses côtés, André Holland impose une présence assurée sous les traits du docteur Algernon Edwards, tout en cristallisant sur sa personne l’un des enjeux cruciaux de The Knick: médecin afro-américain formé à Harvard, et ayant parfait ses connaissances en Europe, il est pourtant l’objet de l’ostracisme et plus encore de ses confrères et des patients de l’hôpital, le racisme ayant alors pignon sur rue. Et de mener un combat opiniâtre pour s’imposer dans cet univers monochrome. « Trouver l’état d’esprit voulu ne m’a guère posé de problème, sourit-il. J’ai grandi dans le sud des Etats-Unis, dans une petite ville située non loin de Selma, en Alabama, et j’ai fait face à une bonne dose de racisme et de bigoterie. Je sais ce que c’est, de toujours devoir faire ses preuves… »
S’il a fait l’essentiel de sa carrière au théâtre -il se produisait encore dans Paradise Blue sur une scène du Massachusetts quelques jours avant d’assurer la promotion de The Knick à Londres-, Holland s’est aussi fait apprécier, récemment, dans divers films battant en brèche les préjugés raciaux: 42, un biopic consacré à Jackie Robinson, premier Black américain à avoir évolué en Major League de baseball, ou Selma, où il jouait l’un des compagnons de lutte de Martin Luther King. « Il n’y a pourtant là rien de programmé, ces rôles se sont présentés, pour une raison ou une autre. Mais si j’ai pris plaisir à les jouer, parce qu’ils m’ont beaucoup appris et que j’avais quelque chose à leur apporter, je ne veux pas me laisser enfermer. Jouer dans un film comme Selma m’a toutefois semblé important, j’y ai vu l’opportunité de mettre mon temps et mon talent au service de quelque chose de bien. »
S’agissant de The Knick, l’acteur confesse n’avoir guère hésité à se lancer dans l’aventure, à la complexité objective de son personnage venant se greffer la perspective de travailler avec Steven Soderbergh. « Steven a tout apporté à la série. Il contrôle énormément d’éléments, puisqu’en plus de mettre en scène, il s’occupe de la photographie et du montage. Et il s’implique par ailleurs dans l’histoire et le scénario. Travailler avec lui, c’est comme une master class en cinéma. On dit souvent de Steven Soderbergh qu’il travaille vite, adoptant un tempo soutenu, et c’est vrai. Il sait ce qu’il veut, et comme il a le montage à l’esprit, il tourne exactement ce dont il a besoin. Mais si, d’aventure, quelque chose ne fonctionne pas, il prendra le temps de chercher la solution au problème. Comme acteur, on se sent totalement pris en charge avec un tel réalisateur. Mais cela induit aussi des responsabilités: il faut être prêt à 100 %, on ne peut se permettre d’apprendre ses répliques à la dernière minute ni de se chauffer petit à petit, il faut être dedans à la première prise. Avec mon background théâtral, ce sentiment m’est familier. J’ai l’habitude de bosser chez moi et de me présenter prêt à jouer. Par ailleurs, Steven construit souvent les scènes sous forme de longs plans-séquences: on doit connaître toute la scène, et la tenir d’un bout à l’autre, ce qui se rapproche également de l’expérience du théâtre. »
Pour s’imprégner de l’époque, et de son personnage, André Holland a notamment lu Low Life, l’ouvrage de Luc Sante sur Manhattan au tournant du XXe siècle, à quoi il a ajouté les essais de W.E.B. Du Bois, premier Afro-Américain à obtenir un doctorat de l’Université de Harvard. Quant au volet médical, il s’est appuyé sur l’expertise de Stanley Burns, consultant pour la série –« il connaît les procédures médicales de l’époque sur le bout des doigts et nous a fait des démonstrations avec ses anciens instruments. C’est dingue, les avancées qu’a connues la médecine en 100 ans. » Voir The Knick, c’est d’ailleurs s’en convaincre. Quant à anticiper le traitement que réservera aux spectateurs la seconde saison de la série? « On en saura davantage sur les personnages: on va creuser dans leur passé et passer plus de temps en dehors des murs de l’hôpital. Et ce sera encore plus sombre, pour autant que ce soit imaginable, mais aussi, paradoxalement, plus drôle. » The Medicine Show, en mode Soderbergh s’entend…
(1) POUR UN SUPPLÉMENT D’ANTHROPOLOGIE MÉDICALE, UN DÉTOUR S’IMPOSE PAR THE OLD OPERATING THEATRE & MUSEUM, DANS LES COMBLES DE LA ST. THOMAS CHURCH, À LONDRES, OÙ LES AMATEURS DÉCOUVRIRONT IN SITU LES INSTRUMENTS ET LES PROCÉDURES UTILISÉS À L’ÉPOQUE. WWW.OLDOPERATINGTHEATRE.COM
RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Londres
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