AVEC AIN’T THEM BODIES SAINTS, LE RÉALISATEUR TEXAN DAVID LOWERY REVISITE LA MYTHOLOGIE DES AMANTS CRIMINELS, POUR L’EMMENER SUR UN RYTHME HARMONIEUX EN TERRAIN CLASSIQUE ET PERSONNEL À LA FOIS.

Des films sur des amants maudits, il y en a d’innombrables -le motif est éminemment cinématographique, il est vrai. Mais s’il confesse que les Bonnie & Clyde d’Arthur Pennet autre Badlands de Terrence Malick ont constitué des références incontournables à l’heure de se lancer dans son deuxième long métrage, le jeune cinéaste texan David Lowery a su accommoder la mythologie à sa façon. Improbable, le titre original du film, Ain’t Them Bodies Saints, donne d’ailleurs le ton, dont il raconte, alors qu’on le rencontre dans le cadre du festival de Gand, l’avoir choisi parce qu’il « voulait tourner un film ayant l’air d’une chanson folk. Et la façon la plus directe de communiquer ce sentiment était de prendre les paroles d’une chanson comme titre. J’avais entendu, il y a bien longtemps, un morceau dont j’avais déformé les paroles en Ain’t Them Bodies Saints. J’aimais la musicalité qui collait à ces mots, tout comme leur parfum définitivement sudiste, et j’ai décidé de les garder comme titre, l’idée étant de placer le spectateur dans l’état d’esprit approprié plutôt que de vouloir expliquer l’intrigue… »

Plus directe, la version française fait état, pour sa part, des Amants du Texas, ce qui a au moins le mérite de circonscrire le propos. Ceux-ci sont donc en cavale, comme l’étaient avant eux les protagonistes de St Nick, premier opus de Lowery, réalisé voici quatre ans. « Mon intérêt pour ce genre d’histoire vient, jusqu’à un certain point, de mon propre désir de fuir les responsabilités, et d’une certaine peur de grandir et de devenir adulte, un syndrome Peter Pan, pour ainsi dire, sourit-il. Cela remonte à l’enfance, où j’ai toujours apprécié sans la mettre à exécution l’idée de fuir la maison pour faire les choses à ma manière. Et cela a débouché sur ces films, qui tournent autour de gens qui essayent de se définir en dehors des règles normales de la société, ou des attentes que celle-ci nourrissait à leur égard. » Ainsi donc de Ruth et Bob, les héros de cette geste texane qui prend toutefois les règles du genre à rebours puisque, plutôt que de les suivre dans leur fuite, Ain’t Them Bodies Saints les cueille au moment de leur arrestation –« j’ai pris ce qui constitue généralement les deux dernières minutes de ces films, que j’ai prolongées », s’amuse Lowery.

Capturer la beauté

L’idée d’un conte folk, le réalisateur raconte l’avoir eue lorsqu’il s’est découvert dans l’incapacité d’écrire un thriller classique, avec ses scènes d’action sanglantes. « Si je n’ai aucune objection morale à voir ce genre de film, je me suis par contre senti mal à l’aise au moment de devoir écrire moi-même des scènes où des tas de gens se font dézinguer. J’ai donc laissé tomber, pour revenir à l’os. J’avais quelques images en tête, et tout le reste a suivi. »

S’il n’a pas fait l’économie de l’une ou l’autre fusillade, passage obligé de ce genre d’histoire, Lowery a aussi veillé à les subvertir, allant jusqu’à rendre l’une d’elles « aussi maladroite que possible ». Plus fondamental, l’intérêt du film se situe ailleurs, qui s’inscrit harmonieusement dans l’intimité de ses protagonistes comme dans un rapport étroit à l’espace texan. « J’habite en ville, mais à quinze minutes de route, l’environnement est totalement différent, comme si on était dans une autre dimension, et c’est un sentiment que j’ai voulu traduire dans le film. Quant au sens de l’espace, il découle du fait même de vivre au Texas: j’ai toujours aimé le nord de l’Etat, avec des arbres magnifiques, de l’herbe et des cieux immenses. C’était quelque chose de très simple à faire: il suffit de sortir, de trouver les bons endroits et de capturer cette beauté… »

Partant, cette sérénade texane accrédite l’idée d’une nouvelle vague de cinéastes d’un Sud dont sont également issus Jeff Nichols et David Gordon Green: « On a ce sentiment parce que nous vivons tous au Texas, pondère David Lowery. Ce qui s’est produit, c’est que des cinéastes ont décidé qu’il n’était plus nécessaire d’aller à L.A. ou New York, mais qu’ils voulaient tourner des histoires personnelles se déroulant dans un monde qu’ils connaissent et comprennent. Et il se trouve que ces cinéastes, moi compris, sont originaires du Sud et racontent des histoires qui se passent dans leur arrière-cour. Il s’agit avant tout de rester dans un univers familier qui signifie quelque chose à nos yeux. »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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