PENDANT UNE PETITE SEMAINE, DU 12 AU 17 MARS, SOUTH BY SOUTHWEST A FAIT TREMBLER AUSTIN À COUPS DE PALMA VIOLETS, DE MAC DEMARCO ET D’EARL SWEATSHIRT… DE DEPECHE MODE, D’IGGY POP ET DE JUSTIN TIMBERLAKE… PLONGÉE EN APNÉE DANS LE FESTIVAL LE PLUS DINGUE DU MUSIC BUSINESS.

Chaque année, il y a 2000 et quelques centaines de -bonnes ou non- raisons (le nombre de groupes à l’affiche du festival texan) de filer à South by Southwest. Grand raout des musiques de moins en moins indie où se donne rendez-vous, le temps d’une petite semaine, pratiquement toute l’industrie du disque. Certains veulent vendre un énième groupe pourri qui reprend tous les plans plus ou moins hype du moment ou au contraire de gentils revivalistes, poseurs gentiment chiants. D’autres cherchent à découvrir les nouveaux Strokes (les vrais sont tout foutus) ou à débusquer les fils cachés de Joe Strummer. D’autres encore veulent se pâmer devant Depeche Mode, Justin Timberlake (tous deux dans de très petites jauges), Green Day, Iggy Pop, Usher ou Dave Grohl jammant avec John Fogerty et Krist Novoselic, son vieux pote de Nirvana. Assister à une after party de P. Diddy ou voir ce qu’est devenu Vampire Weekend (écoute son dernier disque mon petit, et tu auras tout compris).

SXSW est une tournoyante course contre la montre où la moindre minute passée à marcher, bouffer, ou pire, attendre, est synonyme de temps perdu et de coup de foudre manqué. Mais si South By… peut être synonyme de longues queues interminables et de bousculades pas toujours polies, de barmen qui à deux heures du mat arrachent les verres des mains et les renversent à vos pieds (« On ferme Buddy« ), le plus grand et imposant festival de musique du monde peut aussi être, que ce soit en in ou en off, un écrin intimiste, un oasis du riff et du beat.

A Austin, le soleil tape avec une violence qui semble n’avoir d’égale que la tempête de neige s’abattant au même moment sur la Belgique. L’agence de booking américaine Panache, spécialisée dans la coolitude garage et l’indie comme on l’aime, organise sa première fête de la semaine dans une petite pépinière plantée à l’écart du centre ville. Et en matière de coolitude, Mac DeMarco en connaît un fameux rayon. Sans faire la pute, Mac, la tignasse blonde au vent, enchaîne les tubes lo-fi comme une péripatéticienne les passes. South by Southwest, c’est pour beaucoup l’occasion de se faire remarquer et la technique DeMarco, c’est d’enquiller. Quatorze concerts (à vue de nez) en cinq jours. Qui dit mieux? Assurément l’un des most hardworking bands du festival. Puis aussi un concert à ne pas rater lors des prochaines Nuits Botanique. On imaginait Mac, le troubadour, en slash, branleur, jeanfoutre… Sorry dude.

Si The Mallard, signé sur l’écurie Castle Face Records, le label de John Dwyer (Thee Oh Sees), est une machine psych rock garage plutôt bien huilée et rodée, la grosse claque, c’est The Blind Shake. Un trio de trentenaires qui carbure à l’eau plate, en a dans le moteur et crame le bitume le pied enfoncé pendant une petite demi-heure sur l’accélérateur. C’est punk, méchamment couillu, presque hardcore. Et ça fait même pogoter tonton Dwyer, leader du meilleur groupe de rock du monde (il l’a encore démontré à Austin en retournant tout sur son passage), lors de son seul jour de congé.

Comme chaque année, notre South by Southwest passe par le Trailer Space Records, un petit magasin de disques sympa loin de l’agitation sur 6th Street, artère festive de la ville. Le Trailer Space, c’est comme les restaurants indiens new-yorkais. On y débarque avec sa bibine achetée au Daily du coin. Ça fouille dans les bacs et achète des disques pendant les concerts. Arrivée inattendue des autorités. D’après les statuts de l’établissement, sa capacité est de 49 personnes. Les deux tiers du maga se retrouvent contraints et forcés de picoler sur le parking. Attendent que quelqu’un sorte pisser pour pouvoir rentrer. Dommage pour les excellents Shannon and The Clams. Puis aussi pour les proprios qui vont pouvoir débourser entre 500 et 600 dollars d’amende. Récemment chez Moustache et d’ici quelques mois au Micro Festival, Shannon Shaw (Hunx and His Punx) et ses palourdes balancent du early RNB, des tubes de girls group et du garage sixties qui fait danser avec un entrain rafraîchissant. Bingo.

Ex-Cult (anciennement Sex Cult) est plus sauvage. Produit par Ty Segall, le groupe de Memphis est urbain, nerveux et rappelle sur scène l’anxiété d’un Eddy Current Suppression Ring (hautement recommandable gang australien). En partie grâce au jeu de scène de la boule de nerf Chris Shaw. Quelqu’un a des calmants pour ces gens? Sans doute pas Apache Dropout et son chanteur hurleur. Apache (tout court) et sa filiation New York Dolls/Heartbreakers. Ni les Bad Lovers avec leur côté Eddie and The Hot Rots entre punk et pub rock.

Le DJ Jonathan Toubin, miracle de la science moderne qui s’est quand même retrouvé sous les roues d’un taxi fin 2011 alors qu’il dormait tranquillement dans sa chambre d’hôtel (la conductrice a fait un malaise), retient la nuit avec des vieux machins et fait danser Jacco Gardner. Good vibes.

Don’t believe the hype?

A South by Southwest, il y a toujours l’un ou l’autre nom sur toutes les lèvres un peu gercées par le soleil. Et là pour le coup, il s’agit de Merchandise. Un groupe de Tampa, en Floride, à mi-chemin entre le rock ricain et le punk anglais. Du son certes, un bon son, mais de quoi chercher encore après les chansons. A Austin, les hypes se font et se défont. II, le… deuxième Unknown Mortal Orchestra, est l’un des albums qu’on a le plus usés cette année. Ce qui fait toujours un peu peur avant d’aller voir un groupe pour la première fois sur scène. Vous pouvez acheter sereinement votre ticket pour le Botanique, Ruban Nielson et ses potes font belle impression avec leur pop sous hallucinogènes. Ils rendent même hommage à feu Jay Reatard en reprenant My Shadow. Respect.

Il arrive souvent ces derniers temps que les groupes sonnent bien différemment sur scène que sur disque. Un sentiment qu’avaient récemment laissé les brillants et pour l’occasion déglingués Foxygen dans les caves du Bota. La faute parfois à des albums trop produits ou très ambitieux pas toujours évidents à reproduire en live. Manque de moyens ou choix artistique? Le barbu Matthew E. White emmène assez loin de son album pastoral. Moins délicat, plus rock et groovy.

Elle ne nous avait pas menti. Armée de quelques tubes archi-efficaces et d’un disque de bonne facture, Palma Violets, la sensation anglaise de ces derniers mois (take care kids, elles sont parfois très brèves au royaume du NME), fait preuve sur scène d’une impressionnante force de frappe. Chilli Jesson et Sam Fryer dégagent une énergie et une proximité très « libertiniennes ». Les deux amis donnent tout ce qu’ils ont dans le ventre, gueulent dans le même micro et se rentrent dans le lard dans un esprit très Doherty/Barat. Les Palma Violets ont le talent, la fougue, l’attitude. London Calling…

Les Parquet Courts sont de la région. Ils se sont rencontrés à l’université du Nord Texas de Denton mais ont depuis déménagé à Big Apple. Ça tombe bien, ils ont un côté très punk new-yorkais. Un son proche des Modern Lovers de Jonathan Richman. Un côté Television aussi. L’album même pas distribué chez nous est une petite tuerie, et ça marche aussi plutôt bien face à un public aussi mou du genou soit-il. Chanson de circonstance, Stoned and Starving (Défoncé et affamé) envoie direct en recommander une et trouver un truc à grailler.

Rap on the map

Il y a quelques mois, quand on avait rencontré Flying Lotus à Amsterdam pour parler de son dernier album, le magicien californien, gourou du LA Beat, avouait que s’il était né huit ans plus tard, il aurait fait partie d’Odd Future. Que Tyler, The Creator et ses bros incarnaient une certaine forme de liberté pour un jeune Noir comme lui, qui n’aurait pas pu monter sur une planche de skateboard adolescent sans se faire botter le cul ou insulter par des petits Blancs. A Austin, Fly Lo gère les beats d’Earl Sweatshirt. Maintenant qu’il a passé la majorité et peut envoyer péter sa mère, Earl (19 ans) est prêt à secouer la planète rap. Flanqué de son pote Domo Genesis, le petit moustachu aux yeux fatigués balance ses vieux tubes anxiogènes et des extraits de Doris. Un premier album encore sans date officielle de sortie à l’heure d’écrire ces lignes. Earl, la chanson, termine le set dans une ambiance électrique digne d’un concert punk. Whoa pour paraphraser le titre de son dernier single. A défaut d’avoir chopé Joey Bada$$, l’autre claque hip hop de la semaine, c’est Action Bronson. Ce bientôt trentenaire Blanc du Queens, ancien chef cuistot (même qu’il poste ses recettes filmées sur YouTube), rappe sur les pizzas quatre fromages, les putes, la vinaigrette, les footballeurs américains reconvertis dans le catch (Ron Simmons) et les entrepreneurs de Las Vegas (Steve Wynn). Fameux show et belle énergie pour un type qui n’hésite pas à prendre des bains de foule et jouer les mc’s en faisant tournoyer un jeune handicapé au-dessus de sa tête. Check on YouTube d’ici Dour.

Grande foire, presque agricole parfois, de la musique (certains groupes fatigués de traîner leur matos et leurs guêtres comme des boeufs aux quatre coins d’Austin n’hésitent plus à faire une croix sur l’événement texan), South by Southwest, c’est aussi pour les musiciens une école de vie. Des conditions extrêmement rudes. Comme pourraient en témoigner par exemple les excellents krautrockeurs chiliens signés sur Sacred Bones de Föllakzoid, plombés par des problèmes de son et un timing serré, ou les Canadiens de Suuns, fort peu à leur affaire l’après-midi sous le soleil.

En attendant, même s’il n’est pas un passage obligé pour percer et si les groupes ne sont pas payés, SXSW reste important commercialement. Et pour beaucoup l’occasion de venir présenter un nouvel album à paraître dans les prochaines semaines. C’est notamment le cas pour Hanni El Khatib qui sortira sa deuxième plaque, Head in the Dirt, le 30 avril. Produit par Dan Auerbach (Black Keys), et ça s’entend, Hanni a fait de la gonflette et est plus musclé que jamais. Il a changé de batteur. Est entouré d’un guitariste et d’un bassiste. De quoi faire claquer ses vieux morceaux mais pas vraiment de nous convaincre en ce qui concerne les nouveaux.

Depuis qu’on a eu l’occasion de jeter une oreille sur Sub Verses, le nouveau Akron/Family, Way Up avec son esprit très Animal Collective est devenue notre chanson de chevet. Obsédante au point de ne plus nous lâcher. S’ils ont enregistré ce disque à trois, les Américains se font aider par un quatrième larron sur scène. Sortie le 30 avril messieurs dames.

Passionné par les livres de Steinbeck, Hemingway et Kerouac, Pokey LaFarge fait de la musique de 78 Tours. De la zik américaine dans tout ce qu’elle a de plus roots. Ragtime, early jazz, country blues et folk des Appalaches… Flanqué de ses Sound City Three, Andrew Heissler, c’est son vrai nom, fait embarquer dans la DeLorean chère à Marty McFly. Direction le début du siècle passé. Le son, le look… Tout y est. Protégé de Jack White, Pokey sortira son nouvel album en juin ou mai sur le label de ce dernier: Third Man Records.

A Austin, faut savoir passer du coq à l’âne. Ouvrir pour une soirée torride de soul et de funk labellisée Daptone devant des mecs qui ont des fourmis dans les jambes quand on fait du gospel a cappella et qu’on prie le seigneur comme les Como Mamas, c’est a priori un peu délicat. Et pourtant. C’est à un court moment de magie que les trois Mamas de Como ont convié le Moody Theater, sorte d’amphithéâtre moderne dans lequel Sharon Jones, au beau milieu du public, s’emballe comme à une messe du dimanche. La magie d’Austin fonctionne encore… Comme l’écrit fort justement le journal Internet Huffington Post, « SXSW may no longer be the place to break, it is still the place to be… »

TEXTE JULIEN BROQUET

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