QUARANTE ANS APRÈS BADLANDS, SON PREMIER LONG MÉTRAGE, TERRENCE MALICK CONSTITUE TOUJOURS UNE ÉNIGME. DE TOUS LES PLANS DE TO THE WONDER, SON NOUVEAU FILM, OLGA KURYLENKO LÈVE UN COIN DU VOILE SUR UN MYSTÈRE SOIGNEUSEMENT ENTRETENU…

Depuis qu’on la découvrit dans Quantum of Solace, en 2008, Olga Kurylenko s’est employée à faire mentir la tradition voulant qu’une malédiction s’abatte, presque invariablement, sur les Bond Girls. Ayant payé son écot au film d’action, de Centurion, avec Michael Fassbender, à Oblivion, avec Tom Cruise, l’actrice d’origine ukrainienne a aussi su se diversifier, elle que l’on vit dans le fascinant Land of Oblivion de Michale Boganim, avant de la retrouver, aujourd’hui, devant la caméra de Terrence Malick, pour To the Wonder. Quarante ans après Badlands, son premier long métrage, le réalisateur américain constitue toujours une énigme, sur laquelle ses acteurs lèvent, à l’occasion, un coin du voile, revenant sur une expérience au goût amer pour certains, purement et simplement sacrifiés au montage. Olga Kurylenko est, pour sa part, pratiquement de chaque plan de To the Wonder, un film dont elle assurait en solo le service après-vente lors de la dernière Mostra de Venise, Malick restant fidèle à sa légendaire discrétion tandis que Javier Bardem, son partenaire à l’écran, se décommandait en dernière minute. Et l’actrice de retracer par le menu une expérience assurément peu banale…

La rencontre

« J’ai pris l’avion pour Austin, afin de participer à une audition à laquelle Terrence assistait. J’ai directement senti une connexion lorsque nous nous sommes rencontrés. Le courant est passé entre nous, et les questions qu’il me posait m’ont impressionnée par leur précision. J’avais l’impression d’avoir affaire à un medium: il connaissait mon passé, les expériences que j’avais vécues, il y avait une sorte de télépathie. Et j’ai bientôt compris ce qu’il attendait de moi sans même qu’il ait à l’exprimer -une sensation particulièrement exaltante, moi qui adore ses films. Il m’a donné le pitch de l’histoire, et comme il n’y avait pas de scénario, il m’en a parlé avec ses mots. »

La préparation

« Terrence m’a demandé de relire les grands romans russes: L’idiot, Les frères Karamazov, Anna Karénine. Nous en avons ensuite discuté. C’est l’âme la plus russe qu’il m’ait été donné de rencontrer, plus que celle de n’importe quel Russe. Il connaît la littérature russe de A à Z. Il apprécie que les personnages de Tolstoï ou Dostoïevski puissent être candides et timides, tout en étant susceptibles également d’exploser et de commettre des actes atroces. Il aime leur insolence, et la fierté avec laquelle ils agissent, une dimension qu’il souhaitait retrouver dans mon personnage. »

Le tournage

« Chaque matin, Terry distribue quelques pages, afin que l’on sache ce que l’on va faire pendant la journée. On ne sait toutefois jamais où l’on va, ni comment cela va se terminer, il y a une palette de possibilités. Au départ de ce que nous avons tourné, je pense qu’il aurait pu faire cinq autres films, avec des débuts et des fins entièrement différents. »

L’absence de dialogues

« C’est toujours difficile de s’exprimer à travers le corps, mais c’est aussi intéressant. Mémoriser un texte et le restituer est très facile, mais lorsqu’on doit exprimer quelque chose sans les mots, le processus devient inconscient. Il faut laisser le personnage grandir en soi et, pour ma part, je suis devenue Marina complètement, je me suis transformée en travaillant avec Terry. Cela ne m’a pas ennuyée, bien au contraire, c’est juste une autre façon de procéder. Parfois, je voulais parler, parce qu’il y avait un texte: il pouvait y avoir jusqu’à 30 pages de dialogues dans celles qu’il nous distribuait. Au point que certains acteurs étaient paniqués, craignant de ne pouvoir tout apprendre. Et Terry les rassurait. Personnellement, je n’ai pas été stressée, parce que je savais que ce n’était pas cela qu’il attendait: il n’avait pas besoin de ces mots, mais il voulait qu’on les absorbe, comme une éponge. Il m’est arrivé de ressentir, quand on commençait à tourner, le besoin de parler, et il me disait: « Chut, le silence est préférable, ce moment est tellement magnifique. » D’où le style de ses films. »

Les scènes coupées

« Si toutes les scènes que j’ai tournées s’étaient retrouvées dans le film, il aurait duré dix heures. Le premier montage faisait cinq heures, et Terry a ensuite élagué. C’est inévitable, tellement il accumule du matériel: il filme sur une journée ce que d’autres font en une semaine. Et l’on sait qu’une bonne partie de tout cela n’aboutira nulle part, ce qui est horrible, parce qu’on prend du plaisir à le faire. Mais c’est comme cela qu’il procède, et nul ne l’ignore. Ma scène favorite a été coupée (rires). Beaucoup de scènes de confessions avec Javier Bardem l’ont été aussi -en l’occurrence, il s’agissait de scènes de dialogues, et elles étaient formidables. D’autres encore, où je me disputais avec Ben Affleck, ont connu le même sort. Certaines étaient terrifiantes, et je pense que le public d’une projection-test a été effrayé. Mon personnage est enclin à la mélancolie, elle est instable, et sur foi de ce que nous avions tourné, il était clair, dans mon esprit, qu’elle était hystérique, ce qui ne ressort plus guère du film. Si ces scènes avaient été conservées, on aurait eu une vision tout à fait différente de cette femme. »

La découverte du film

« Me voir dans tant de plans a constitué une surprise, mais pas totale. J’avais l’intuition qu’il en irait ainsi, parce que j’étais la première à être arrivée, j’ai tourné seule pendant deux semaines, sans les autres comédiens, et je suis la dernière à être restée. Et Terry m’a dit qu’il s’agissait de l’histoire de Marina -c’était en tout cas l’idée de départ, même si elle aurait pu évoluer en cours de route. Et au final, cela s’est avéré exact. »

J.F. PL.

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