Terre d’exil

© National

Reliant l’Afghanistan au Danemark, le parcours traumatique d’un réfugié est au cœur de ce déchirant film d’animation qui flirte avec le documentaire.

Grand triomphateur du festival Anima à Bruxelles en mars dernier, Flee affichait déjà un impressionnant palmarès avant même sa sortie officielle en salles: sélection virtuelle à Cannes 2020, première mondiale à Sundance l’année suivante, triple nomination aux Oscars, récompenses glanées du côté d’Annecy, Manchester, New York, Los Angeles ou Toronto… Si le film semble faire l’unanimité, il n’a en tout cas rien d’un exercice complaisant ou facile. Réalisé par le Danois Jonas Poher Rasmussen, il s’attache à raconter avec rigueur et sensibilité l’histoire vraie d’Amin, un Afghan qui a été contraint de fuir son pays à la fin des années 80 alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Une trentaine d’années plus tard, Amin, devenu universitaire en Europe, choisit d’enfin se libérer du poids de son secret et raconte pour la première fois l’horreur de son interminable périple, son combat pour la liberté. Multipliant les allers-retours entre les bribes de son passé et le présent de leur narration, le film dessine ainsi le portrait d’un homme brisé par la vie, et dont le douloureux récit d’exil se teinte d’un espoir singulièrement fragile…

Objet hybride

Faut-il aller au cinéma pour se faire mal? La question mine et taraude à la vision de Flee. Mais la réponse, lumineuse, limpide, se trouve au cœur même de cette incomparable expérience filmique. Ballotés entre animation purement figurative et recherche formelle plus abstraite qui va gratter du côté de l’inconscient -collectif ou non-, le politique et l’intime s’y côtoient avec l’évidence immuable des grandes œuvres cathartiques. Non contente de toucher à l’universel, cette véritable plongée en apnée dans les entrailles d’une mémoire tourmentée explore en effet des sentiments humains éminemment complexes, où la souffrance se mêle à la peur, la culpabilité à la honte. Ainsi, Flee semble souvent moins tenir du simple témoignage illustré que de l’art-thérapie.

© National

À l’inverse de LaTraversée, autre très beau récit migratoire sur l’innocence bafouée que signait récemment la Française Florence Miailhe, Flee ne convie pas le fantastique pour exorciser les démons de l’exil. Objet résolument hybride, mais chevillé à une certaine idée du réalisme, il va même jusqu’à ménager de nombreuses trouées documentaires en plein cœur de son univers animé en convoquant des images d’archives datant de l’époque où Amin a dû fuir l’Afghanistan. En résulte un indispensable film-somme au sein duquel l’odyssée d’un seul homme semble vouloir contenir toutes celles de ses semblables. À travers le destin d’Amin se raconte en effet l’histoire d’un monde transformé en immense terre d’exil. Ses résonances, passées comme actuelles, sont infinies.

Flee

De Jonas Poher Rasmussen. 1 h 23. Sortie: 01/06.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content