Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

TREIZE ANS APRÈS DRUQS, LE GRAND GOUROU DE L’ELECTRONICA SORT UN NOUVEL ALBUM. INVENTIF ET SINUEUX, À DÉFAUT D’ÊTRE SURPRENANT OU RÉVOLUTIONNAIRE.

Aphex Twin

« Syro »

DISTRIBUÉ PAR WARP.

7

Rarement un artiste électronique aura généré un tel culte. Depuis plus de 20 ans, Aphex Twin, alias Richard D. James, incarne l’idée même d’une musique techno aventureuse et tarabiscotée. Appelez ça IDM, pour Intelligent Dance Music, ou electronica: le principe reste identique. Celui d’une esthétique tordue, voire expérimentale, qui utiliserait les outils de la révolution électronique non plus seulement pour dynamiter les clubs le samedi soir, mais aussi pour tenter des figures plus abstraites, plus cérébrales que dansantes. Depuis Selected Ambient Works 85-92, sorti sur le label gantois (!) R&S, Aphex Twin fait ainsi figure de pape du genre. L’aura de mystère qui l’a longtemps entouré a aidé. Les incursions qu’il a pu faire dans le « mainstream » aussi. Avec des singles comme Come To Daddy ou Windowlicker, Aphex Twin a ainsi réussi à sortir de l’underground, sans rien céder de sa bizarrerie: il suffit de rejeter un oeil aux deux vidéos, toutes deux signées Chris Cunningham (un remake tordu d’Orange mécanique pour le premier titre, une parodie de clips r’n’b, dans laquelle les bimbos habituelles affichent toutes le faciès barbu et déformé de Richard D. James, pour le second)…

Ticket de caisse

Le préambule est long, mais pas complètement inutile pour comprendre pourquoi, au début de cette année encore, des fans se sont vidé les poches via une campagne de crowdfunding afin de financer le pressage sur vinyle d’enregistrements inédits datant de 1994 (Caustic Window)… C’était aussi une manière de tromper l’attente: depuis Druqs, sorti en 2001, Richard D. James n’avait plus sorti d’album officiel -du moins sous le nom d’Aphex Twin (il y a eu l’EP sorti sous le nom de The Tuss).

Avant même sa parution, Syro était donc déjà un petit événement en soi. Et un bon album? Un disque dense en tout cas. Sa pochette (un ticket de caisse) et son tracklisting (pas un seul titre prononçable) ont beau rappeler le côté farce du bonhomme, Aphex Twin a soigné son retour. Tous les ingrédients sont là: beats fracturés, basses jacuzzi, nappes ambient synthétiques déviantes. produk 29 [101], par exemple,sonne comme du Flying Lotus jazzy. L’affaire se corse un peu avec 180 db–[130], trip acid-rave lancinant. De son côté, PAPAT4 [155][pineal mix] rappelle toute la dextérité dont est capable James, fracassant les rythmes sur des nappes de synthés analogiques seventies, avant de virer carrément jungle sur s950tx16wasr10 [163.97][earth portal mix]. Le disque se termine avec aisatsana [102], piano solo à la Satie.

Certes, on ne peut pas dire que Syro révolutionne la gamme de couleurs et de sons d’Aphex Twin. L’auditeur navigue ici en terrains connus, à l’image du « single » –minipops 67 [120.2], dont une première version se balade dans l’éther depuis au moins 2008. Cela pourra en décevoir certains. A l’image du paysage électronique général, il semble aujourd’hui devenu difficile d’encore réinventer la roue. Il ne faudrait pas bouder pour autant Syro, album solide et rempli d’idées. Car après tout, malgré les copies (comme celles qui ont fait l’objet récemment de « fuites » sur le Net), Aphex Twin reste encore celui qui fait le mieux du Aphex Twin.

LAURENT HOEBRECHTS

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