Deuxième tour de piste discographique pour l’équilibriste à nom d’arbre. Le Western de Saule bourgeonne de chansons juteuses, le vers juste est dans le fruit.
Au printemps 2008, j’ai fait une tournée d’un mois au Canada, de l’est du pays jusqu’à Vancouver, dans des communautés francophones parfois très isolées. Assez vite, je me suis retrouvé seul, mon ingé son ayant dû rentrer en Belgique pour raisons familiales. Je prenais l’avion pratiquement tous les jours et puis, j’arrivais dans des endroits comme Hearst, Ontario, sous quarante centimètres de neige et moins vingt-huit degrés. J’avais l’impression d’être dans Fargo (NDLR: le film des frères Coen). Le concert avait lieu dans une sorte de grande salle de gymnastique et j’étais l’invité unique d’une soirée belge. Sur les tables dressées en noir, jaune et rouge, on servait du lapin à la bière. Depuis Brel, aucun autre Belge n’avait fait une aussi longue tournée canadienne. »
Le Canada de Saule n’est qu’un épisode coloré d’une série de chromos glanée sur trois années baraka. Depuis 2006, la chanson organique du grand Montois est venue embrasser de sa bise tiède un Royaume qui se languissait de fraîcheur francophile. Au-delà du succès mérité du premier album, Vous êtes ici, pratiquement disque d’or en Belgique, quelques jolis moments restent en mémoire. Le concert inaugural du Théâtre 140 où Saule triomphe avec ses joyeux Pleureurs, la vision du même, en solo avec une grosse guitare près de la Gare du midi en route vers une télé française, et puis ce remue-méninges en compagnie de l’équipe de Franco Dragone – l’homme de Céline – pour quelques lampions scéniques de plus…
Maturité
Un midi de janvier de température quasi canadienne, on découvre que Saule – Baptiste Lalieu, 32 ans – n’a rien perdu de son rire de jeune homme des cavernes: c’est son arme de légitime défense et la temporisation idéale face aux questions existentielles. » Ces trois années m’ont un peu accouché de moi-même: au tout début, je débarquais avec ma naïveté timburtonienne, certains rythmes tagadatsouintsouins et ma guitare faisant cling cling cling. Avec les rencontres, les voyages, je me suis ouvert à une énorme envie d’apprendre, de devenir réellement musicien. » A raison de cinq CD achetés chaque semaine, Baptiste amène sa femme au bord de la crise de nerfs pour cause d’appartement surencombré, mais il s’imprègne de musique, digère le choc musical du Mali Music de Damon Albarn, mord Calexico jusqu’à la poussière. Les découvertes additionnées aux rencontres ont transformé la grande tige de 2006: la taille n’a pas changé (1,97 m) mais les chansons ont grandi. Comme son désir d’indépendance: » J’ai longtemps fonctionné en fonçant. Aujourd’hui, j’ai appris à dire non , quitte à prendre des directions tranchées. Je sais que certaines personnes ont été déçues du spectacle mis en scène par Franco Dragone. A sa décharge, je dois dire que c’est lui qui est venu nous voir et qu’il voulait respecter l’humilité poétique de nos chansons. Il a mis des moyens et fait office de mécène. Au final, je pense qu’on a bien sorti notre épingle du jeu parce que le spectacle, davantage façonné par son équipe que par lui, a élargi notre public. »
Bébé charnu
Western est le disque juste que Saule devait sortir: plus charnu que son prédécesseur, il n’en délaisse aucune promesse organique. Toujours capable de repérer une bonne chanson sous le microscope émotionnel ( Graine) comme de rajouter des couleurs instrumentales sans céder à la débauche sonore. D’un budget plus conséquent hérité d’une signature chez Polydor France – pour trois albums (1) – Saule a fait un disque plein, comme on dit d’une vie qu’elle l’a été. Quinze titres y cèdent de l’espace au nouvel âge adulte de leur géniteur: » Ces chansons ont toujours une certaine naïveté, une forme de fragilité, mais je ne voulais pas être prisonnier de cela. J’avais envie d’aborder d’autres sujets, de travailler le point de vue, comme dans Rupture où je m’amuse à un exercice de cadavre exquis sur le thème de la lettre de rupture. Je pense à ces couples qui vivent des déceptions passionnelles mais qui restent ensemble. Dans une histoire d’amour, des sentiments meurent, d’autres naissent. » Nullement autobiographique, la (superbe) chanson a été écrite par un « vieux marié » qui a épousé sa promise quand il avait vingt-deux ans: Saule. A la façon dont il parle de Caroline, mère de leur Théo commun de dix-huit mois, on comprend tout de suite que la qualité de son ancrage sentimental influe sur sa manière de scruter la condition humaine. Face aux défaites absurdes de la vie – la mort recensée dans Grand-mère -, Saule trouve le ton adéquat entre intimité pudique et délivrance publique. Petite misère et l’ironique Bienvenue font aussi partie des moments qui comptent dans l’alchimie globale du disque. Tout comme les deux titres en belle compagnie. Celui d’ouverture résonne de la voix si particulière de Dominique A, jumelle troublante de celle de Baptiste: leur Personne est bien quelqu’un d’unique. L’autre moment partagé, Désert, l’est avec Sacha Toorop auquel Saule laisse la priorité chantée. L’élégance est là aussi. Il serait injuste de prolonger la sarabande de compliments sans créditer les Pleureurs et Seb Martel. Les premiers restent les compagnons de route privilégiés de Baptiste: comme lui, ils se sont nourris de trois années bourlingueuses et complices. Les sensations épanouies de Western leur en sont reconnaissantes. Comme elles le sont au producteur artistique, Seb Martel. Guitariste de la bande à M, ce surdoué amène le sens des couleurs boisées, du son analogique – capté sur une vieille table rachetée aux Stones – et du bon goût généralisé. » Il avait le bagage qui nous manquait. » Cela aurait pu être un mauvais proverbe chinois, c’est juste la bonne devise de Saule pour 2009, année de tous les possibles.
(1) En Belgique, Bang! reste maître d’£uvre de la distribution.
En concert les 13 et 14/02 au Botanique, à Bruxelles.
www.myspace.com/saulevousetesici
Texte Philippe Cornet
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