Hélène Cattet et Bruno Forzani signent avec Amer un film captivant et risqué, s’emparant des formes du « giallo » pour montrer la peur et le désir, entre plaisir et danger de mort.

Ils sont jeunes, naturels et sympathiques, mais leur (premier) film est d’une remarquable noirceur, d’une audace sensuelle et d’une richesse de style peu banale. Porté aux nues par la critique française, appelé à sortir en salles aux Etats-Unis et ailleurs, Amer (lire notre critique page 31) est la surprise belge de l’année, et peut-être plus. Cette variation inspirée sur les figures du « giallo » (voir encadré) italien mêle érotisme et terreur avec un sens aigu de la forme, mais aussi une urgence qui en fait un objet cinématographique des plus fascinants.

De quel creuset sort donc votre film?

Hélène Cattet: Bruno apporte plus le côté cinéphile. C’est la cinéphilie qui l’a amené à vouloir faire du cinéma. Moi, j’y suis venue par envie de trouver un moyen d’expression qui soit plus que des mots.

Bruno Forzani: Hélène a amené la thématique de la découverte du corps, du désir, de la sensualité. Pour raconter cette quête sensorielle, j’ai pensé au « giallo », car pour nous il parle de sexe, de pulsions, de fantasmes. Nos courts métrages (1) abordaient déjà des sujets très intimes par le biais des codes du « giallo », entre cinéma de divertissement et expérimentation. Amer n’est pas un hommage à un genre, ni un exercice de style. C’est une utilisation très libre de codes, d’une iconographie, mis au service d’un propos personnel. Et fusionnant la forme et le fond. Chaque plan, chaque son, raconte l’histoire.

H.C.: Nous avons voulu développer un univers sonore et visuel propre, une grammaire, un langage évitant dialogues, psychologie. Aller vers l’essence du cinéma, en faisant entrer le spectateur dans la tête et le corps de la protagoniste, pour lui faire vivre les choses de l’intérieur.

On remarque d’autres références, muettes justement. Comme celle au Buñuel du Chien andalou et plus largement aux surréalistes dans leur manière de placer le désir au centre du geste créatif…

B.F.: Le surréalisme fait partie de ces choses que nous avons ingurgitées et qui ressortent maintenant. Il y a aussi le cinéma japonais érotique, et même le western dans la manière de cadrer. Et peut-être même le cinéma expérimental de Kenneth Anger.

Amer manifeste une audace dans son traitement d’une sexualité fétichiste qui parvient à troubler, alors qu’on pourrait penser aujourd’hui avoir tout vu…

H.C.: Mais justement! On peut tout montrer aujourd’hui mais on ne le fait pas! Quand je revois certains films des années 70 et leur audace en matière de sexualité par exemple, je me dis que des films comme ça auraient du mal à exister, et surtout à sortir, à notre époque!

A quel point de précision le film était-il porté avant tournage déjà, avec ses quelque 900 plans?

B.F.: Nous avons écrit le film dans un langage uniquement visuel et sonore. Le scénario, c’est la description de tous les plans du film à venir. Ensuite on a fait un story-board…

H.C.: C’était super minutieux. On a fait tout le film en mini DV, juste nous 2, on a tenté des choses (plans, raccords) pour voir si elles marchaient. Amer est vraiment comme un puzzle dont tous les éléments doivent s’imbriquer, et qui ne pourrait fonctionner si un seul de ces éléments manquait…

B.F.: Si un seul plan ne s’imposait pas dans une séquence, on préférait virer toute la séquence…

H.C.: Parce que chaque plan est un détail qui permet de faire vivre ce que vit le personnage. Tout devait être utile. Avec 39 jours de tournage, le nombre de plans à faire, et un budget limité, ça faisait déjà un fameux rythme à tenir! l

(1) Projetés au cinéma Nova, à Bruxelles, dans le cadre d’une belle programmation de « gialli » , www.nova-cinema.org

Rencontre Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content