AVEC TRACKS, DE JOHN CURRAN, L’ACTRICE AUSTRALIENNE POURSUIT UN PARCOURS SANS FAUTE L’AYANT CONDUITE DU ALICE IN WONDERLAND DE TIM BURTON À LA CRÈME DU CINÉMA INDÉPENDANT, DE GUS VAN SANT À JIM JARMUSCH.
La carrière de Mia Wasikowska a débuté sur un malentendu, pour ainsi dire. Remarquée dans la série In Treatment, l’actrice australienne se voyait consacrée star à tout juste 20 ans par la grâce du Alice in Wonderland de Tim Burton. On lui aurait tracé un destin d’icône Disney à moins, fût-ce sous l’égide du réalisateur de Edward Scissorhands, film pour lequel elle confessait alors une affection toute particulière. Quatre ans plus tard, c’est pourtant dans le cinéma indépendant que s’est épanouie la comédienne, dont la filmographie aligne les noms de Gus Van Sant (Restless), John Hillcoat (Lawless), Jim Jarmusch (Only Lovers Left Alive), et l’on en passe, comme Cary Fukunaga pour qui elle fut une incomparable Jane Eyre en attendant d’incarner la Madame Bovary de Sophie Barthes. Road-movie désertique, Tracks, de John Curran (l’auteur, notamment, de The Painted Veil), s’inscrit ainsi dans la continuité d’un parcours où le blockbuster qui la révéla définitivement demeure l’exception. Non qu’elle renie pour autant l’expérience: « Si on devait me proposer un blockbuster qui me plaise, je le tournerais. Mais je suis plutôt portée vers les projets à plus petite échelle. Alice fut toutefois formidable, ne serait-ce que pour l’exposition que le film m’a value, et l’opportunité qu’il m’a donnée de faire de plus petites choses. L’un des aspects étranges du cinéma, c’est qu’il faut aussi être significatif sur le plan financier… » Comme pour mettre ces propos en perspective, une suite à Alice, qui l’associerait à nouveau à Johnny Depp, est d’ailleurs annoncée à l’horizon 2016…
Voler de ses propres ailes
Ouvrant un été placé sous le signe de Mia Wasikowska -elle sera encore à l’affiche de Maps to the Stars, de David Cronenberg, et de The Double, de Richard Ayoade, attendus en août-, Tracks a aussi valu à l’actrice de revenir travailler dans sa contrée d’origine: « J’ai toujours résidé en Australie. Les cinq ou six dernières années, j’y vivais chez mes parents, multipliant les allers et retours, sans endroit à moi où me poser. Le tournage de Tracks a coïncidé avec le moment où j’ai décidé d’avoir un chez moi, pour passer à une vie plus adulte. Le faire alors même que je tournais en Australie s’est révélé fort agréable: j’ai pu fusionner deux mondes qui étaient, jusque-là, dissociés, les films m’amenant en général à l’étranger. »
Voler de ses propres ailes, c’est ce qu’entreprend Robyn Davidson, dont l’histoire vraie se trouve au coeur de Tracks. Soit, au mitan des années 70, l’itinéraire d’une jeune femme tournant le dos à une existence la laissant insatisfaite pour débarquer à Alice Springs, au milieu du Northern Territory -entendez de nulle part. Et de se lancer bientôt dans une traversée solitaire (n’était la présence de son chien Diggity, et de quatre chameaux) de l’Outback australien à destination de la côte Ouest, en une recherche de soi s’étirant sur les plus de 2500 kilomètres d’un périple hasardeux. Le voyage initiatique aura fonction de révélateur, son récit acquérant, pour sa part, valeur emblématique, une fois Tracks publié en 1980. Mia Wasikowska raconte ainsi combien ses parents l’encouragèrent à faire le film, lorsqu’elle leur annonça en avoir reçu le scénario –« Ils avaient tous les deux lu le livre de Robyn Davidson et considéraient que c’était une histoire importante. Participer à un projet qui ait du sens à leurs yeux n’était pas pour me déplaire. Qui plus est, cette histoire n’a rien perdu de sa pertinence: elle résonne toujours pour les jeunes de mon âge. » En Australie, et ailleurs. Et avec des nuances, au besoin: « Lors de nos premières discussions, Emile Sherman, l’un des producteurs du film, craignait que les spectateurs ne comprennent pas ses motivations si elles n’étaient pas exprimées de manière plus explicite. Personnellement, cela ne me pose aucun problème: je peux parfaitement comprendre que l’on veuille, à un moment, se simplifier la vie, et se placer dans un environnement où l’on puisse vivre dans le présent, et n’avoir qu’à se soucier de ses besoins dans ce cadre. Même si je n’ai jamais rien entrepris d’aussi radical… » Et d’évoquer encore son empathie profonde pour le personnage –« j’ai éprouvé une compréhension instantanée, au point de devenir fort protectrice à son égard, presque « territoriale ». Je tenais absolument à la jouer. » Un sentiment encore renforcé lorsqu’elle fera la connaissance de Robyn Davidson –« quelqu’un d’incroyable, que j’apprécie vraiment énormément (…). »
Une ruée un peu folle
L’aventure de cette dernière n’ira pas sans son compromis. Afin de financer son voyage, Robyn acceptera de voir Rick Smolan (joué par l’impeccable Adam Driver), un photographe du National Geographic, venir rompre sa solitude de loin en loin afin de tirer les quelques clichés d’un reportage. Une intrusion guère appréciée, mais nécessaire à divers égards, source d’une contrariété à laquelle Mia Wasikowska n’a eu aucun mal à s’identifier. « Au cinéma, on a souvent des frustrations du genre: « Mais pourquoi diable ne peut-on tourner ce film sans caméra? » Une conjonction d’éléments vous permet de mener des choses à bien, mais ce sont ces mêmes éléments qui vous ennuient. C’est ce que Rick représente pour Robyn: il est, avec le National Geographic, la raison pour laquelle elle a pu faire ce voyage, mais il est aussi l’élément qui en ruine une partie à ses yeux. Au cinéma, c’est parfois la même chose: c’est un art où, pour qu’un film puisse se faire, il faut s’appuyer fortement sur le financement ou l’intérêt d’une tierce personne. »
De l’expérience de Tracks, tourné in situ, dans les étendues désertiques du Northern Territory et d’Australie du Sud, l’actrice souligne encore combien elle fut épuisante: « Se trouver dans l’Outback peut se révéler formidable si l’on est maître de son temps, et que l’on peut s’arrêter, manger ou dormir quand on veut. Mais si l’on a un timing serré, comme dans une production de cinéma, c’est beaucoup moins paisible et plaisant, d’autant plus que l’on se trouve confronté à des éléments incontrôlables, le temps, mais aussi la chaleur et la poussière. » Au sujet du tournage, John Curran parle ainsi d’une « ruée un peu folle », évoquant une équipe courant littéralement d’une scène à l’autre, sans possibilité de répéter, pour lutter contre la montre, cette ennemie des cinéastes. « C’est bien pour la spontanéité, mais très difficile pour un acteur, qui doit se projeter dans un autre moment », observe-t-il. Un exercice délicat dont Mia Wasikowska s’acquitte avec le même bonheur que celui avec lequel elle conduit sa carrière. Evoque-t-on un parcours exemplaire qu’elle répond, modeste: « Je choisis des choses que j’aime, des scénarios qui me parlent, et j’ai surtout la chance qu’ils me soient proposés… »
Le filon ne semble pas près de se tarir, qui l’annonce bientôt chez Guillermo Del Toro, après avoir illuminé le Maps to the Stars de David Cronenberg d’un air mutin. Au petit jeu des comparaisons, on l’associerait volontiers à Cate Blanchett, à quoi elle ajouterait un grain tout personnel. Du reste, suit-elle sa voie, qui l’a vue aussi s’essayer à la réalisation, pour le segment Long, Clear View du film collectif The Turning, découvert à Berlin: « Mettre en scène a été une expérience magnifique. C’est tellement merveilleux de débarquer sur un plateau sans avoir l’anxiété de devoir jouer, ni de produire une émotion. Travailler sur un film dans un rôle différent fut tout à la fois stimulant créativement et libérateur. » Affaire à suivre, comme l’on dit…
RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise
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