DE BON MATIN CONFIRME LE RÉALISATEUR MARSEILLAIS JEAN-MARC MOUTOUT DANS SA POSITION D’OBSERVATEUR CRITIQUE DE LA SOCIÉTÉ, COMME L’AVAIT ANNONCÉVIOLENCE DES ÉCHANGES EN MILIEU TEMPÉRÉ.

Le monde de l’entreprise, scruté dans ses dérives et perçu comme microcosme de la condition humaine, inspire décidément Jean-Marc Moutout. Le natif de Marseille s’était révélé voici 8 ans avec le saisissant Violence des échanges en milieu tempéré, où Jérémie Renier jouait un consultant découvrant les conséquences des « rationalisations » de personnel faites suite à ses rapports. Moutout s’attache dans son nouveau film, De bon matin ( lire critique page 48), à la trajectoire d’un cadre bancaire désabusé, allant vers le meurtre et le suicide… Un cinéma d’idées, mais puissamment incarné. Un cinéma politique, mais pas manichéen.

L’inspiration de votre nouveau film vous est venue d’un fait divers réel?

En effet. C’était en 2004 et j’étais occupé à écrire le scénario de La Fabrique des sentiments. J’ai entendu, à la radio, cette nouvelle d’un banquier suisse qui avait assassiné ses 2 supérieurs puis s’était suicidé. Fin 2007, cette histoire m’est revenue en tête, je n’arrivais plus à m’en détacher. Il fallait que j’en fasse un film.

C’était, entre autres, un retour au monde du travail…

Un univers qui me fascine, en effet. Et qui me préoccupe… Ce fait divers cristallisait les craintes que j’ai par rapport à ce monde-là. Je voyais aussi, d’emblée, ce que serait le film. Il commencerait par le meurtre, et des retours en arrière viendraient explorer ce qui a pu se passer pour qu’on en arrive là. Pour qu’un homme dit ordinaire puisse poser un tel geste. Il fallait remonter en arrière, ne pas tout réduire trop facilement à un conflit de travail qui tourne mal.

Ce travail sur la chronologie place le spectateur dans une position plus active que devant une histoire narrée de manière linéaire…

J’espère que le spectateur se posera les mêmes questions que je me posais, et pour lesquelles j’ai entrepris le film. On me dit parfois que ce processus empêche l’empathie de se créer. Mais je crois que cela fait percevoir la complexité des choses. Rien n’est simple, rien n’est univoque. Les mêmes valeurs, modes de fonctionnement, qui pouvaient être stimulants, incitatifs à aller de l’avant, à se réaliser, peuvent ensuite inspirer la peur ou le harcèlement…

Le cadre de votre film s’épanouit dans la banque, avant que les choses tournent mal…

Il s’épanouit si bien qu’il en devient dépendant. La dépendance au travail, nous la connaissons tous. Je la vis aussi moi-même, plus ou moins. Mais ces valeurs entrepreneuriales, managériales, de la réussite, de la concurrence, de l’évaluation, finissent par poser une chape de plomb sur l’humain qui s’y soumet, même volontairement. Pour un cadre de 50 ans comme celui du film, c’est toute une construction de vie qui se voit mise en cause, avec ce qu’elle comportait de valeurs, d’éthique, du sens de ce qui est bien. Et ça me secoue!

De bon matin est un film politique?

Entre autres, oui, sans doute. Mais s’il s’agissait uniquement de dénoncer un certain libéralisme économique, je ne me serais pas donné tout ce mal ( rire)! Les alternatives sont très très compliquées… Je ne connais pas de système qui n’imposerait rien aux hommes. C’est en termes d’avancées communes et individuelles que je me pose des questions. En termes de responsabilité.

Jean-Pierre Darroussin est extraordinaire dans votre film. On voit mal quel autre acteur aurait pu y être meilleur!

Ce type m’a tellement ému au cinéma. Chez Guédiguian bien sûr, mais pas que chez lui. Il possède une palette incroyable! Pour jouer un homme de 50 ans, père de famille, qui imaginer d’autre que lui, avec cette immense proximité qu’il dégage, ce côté monsieur tout-le-monde?

Son interprétation passe énormément par le corps, dès la scène d’ouverture où il est torse nu…

Oui, mais on ne s’en était jamais parlé, avant. C’était au tout début du film, en été, dans une salle de bains, donc il s’est assez logiquement retrouvé torse nu… Il s’est livré avec une totale confiance. C’était important, cette nudité. Pour qu’on voie les traces de l’âge, le poids des années, les marques de la vie. Mais c’est en même temps une forme de beauté… Quand Jean-Pierre arrive sur le plateau, c’est avec des propositions fortes. Il a lu, réfléchi, ressenti, préparé. On dialoguait tous les jours, on recadrait certaines choses. J’avais tendance à vouloir le durcir un peu, à montrer cette tension, cette violence, qu’a le personnage. Même avant qu’il devienne meurtrier, quand il est simplement homme d’affaires… Toutes ces couleurs-là, j’ai pu en jouer au montage, au cours duquel le film a été beaucoup réinventé. Il y a toujours un film qui se construit lui-même, à côté de celui que vous tournez sur base du scénario! l

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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