DEPUIS QUELQUES JOURS, LA STAR DES PLATEFORMES DE TÉLÉCHARGEMENT LÉGAL A FAIT SON APPARITION EN BELGIQUE. LA SOLUTION POUR UNE INDUSTRIE DU DISQUE GANGRÉNÉE PAR LE PIRATAGE? TENTATIVE D’ANALYSE…

« Difficile d’imaginer que chaque pirate sera poursuivi et que les gouvernements leur retireront l’accès à l’Internet, alors qu’ on y trouve les services légaux et bancaires. Ce qu’il faut, c’est leur donner un meilleur produit.  » Jonathan Foster, gérant de Spotify pour l’Europe, n’est pas peu fier de nous présenter son petit bébé qui vient de débarquer en Belgique. A raison? Dans la jungle Internet, jamais une solution alternative au piratage n’avait semblé en tout cas si convaincante. Parce qu’elle est dans l’air du temps, rendant l' »objet » musique plus social que jamais, qu’elle est entièrement transportable (du PC au smartphone en passant par l’iPod et même la chaîne de salon), et surtout qu’elle est extrêmement facile d’utilisation: pas besoin d’un baccalauréat en geekologie pour s’y retrouver dans un programme qui pourrait remplacer les iTunes et autres Windows Media Player.

Bref rappel du principe: Spotify, comme beaucoup de ses concurrents directs (Deezer et Simfy en tête, Groove-shark et We7 suivant de peu), propose d’écouter toute la musique du monde en streaming, c’est-à-dire sans devoir la télécharger, et ce en échange de publicité ou d’un abonnement mensuel de 5 à 10 euros en fonction des versions. Bien entendu, rien n’est parfait: si le catalogue compte quelques 15 millions de titres, on y notera quelques carences notoires comme les Beatles ou Led Zeppelin.

La grosse différence avec la plupart de ses concurrents tient à peu de choses: toute la musique qu’on écoute via Spotify doit passer par leur logiciel. Ce qui est la cible des principales critiques (avec sa forte intégration à Face-book) est également son point fort: la lecture de musique y est d’autant plus naturelle et permet de télécharger temporairement les titres sur n’importe quelle machine, histoire de ne pas tomber en panne de musique là où le réseau se fait rare ou de ne pas épuiser son quota Internet auprès de son fournisseur d’accès.

L’idée, c’est de changer les habitudes.  » Il faut être meilleurs que les pirates, explique Jonathan Foster. Quoi qu’il se passe, nous devons convaincre ce gars de 18 ans qui télécharge non-stop qu’il faut qu’il arrête ça et utilise un service qui génère du revenu pour les artistes. En même temps, nous devons le penser de manière à ce que les artistes et labels s’y retrouvent.  »

Une solution d’avenir

Nous y voilà. Le nerf de la guerre: le streaming est-il en effet capable de venir en aide à une industrie du disque ratiboisée par le téléchargement illégal? Ou la nouvelle proposition digitale creusera-t-elle un peu plus sa tombe? Une chose est certaine: le discours anti-piratage de Spotify et autre Deezer a plutôt séduit les labels. Lors du dernier Midem, le grand raout cannois de l’industrie musicale qui a lieu chaque année au mois de janvier, tout le monde allait à peu près dans le même sens: l’avenir est au streaming.

Dix mois plus tard, le son de cloche a cependant un peu changé. Certes, les sites de streaming ont engrangé toujours plus de nouveaux adhérents. Mais certains commencent à douter. Les artistes en premier lieu. Récemment, plusieurs poids lourds ont préféré s’abstenir de proposer leur dernière production sur les plateformes de streaming légales. Pas de traces par exemple du dernier album de Tom Waits sur Spotify. Même chose avec le dernier Adele ou le Mylo Xyloto de Coldplay. La raison? La crainte de voir l’écoute gratuite de leur derniers opus freiner encore un peu plus l’acte d’achat. La démarche est interpellante: dans les 2 derniers cas au moins, il s’agit en effet déjà de gros vendeurs -après avoir vendu 5 millions d’exemplaires de son 1er album, Adele a déjà écoulé le double du second sorti début de l’année…

Fuck Spotify!

Les petits labels commencent également à se rebiffer. Récemment, ST Holdings, un distributeur qui gère 238 labels, a décidé de se retirer de Spotify. Le raisonnement est identique: « En tant que distributeur, nous devons faire ce qui est le mieux pour nos labels, explique le distributeur. La majorité d’entre eux ne veut plus que leur musique soit sur de tels sites. Ils ne rapportent que peu d’argent, et ont un effet nuisible sur les ventes », concluant le communiqué par un vibrant « Fuck Spotify! »… Les plateformes de streaming ne diminueraient donc pas seulement le piratage. Mais également les solutions légales, ainsi que les ventes physiques. C’est ce que semble d’ailleurs confirmer une étude, réalisée par le NPD Group, très sérieux groupe d’études de marché américain. L’enquête démontrerait que le modèle Spotify découragerait, au lieu de motiver les autres formes d’achat de musique. Clairement, les titulaires d’un abonnement à Spotify s’en contentent: plus de besoin ni d’envie d’acheter et de posséder une musique disponible à l’envi.

« Ce n’est pas parce que Spotify dit apporter une solution qu’il amène LA solution », prolonge Jean-Marc Ledermann. Musicien (The Weathermen, La Femme Verte, un récent album avec Jacques Duvall), il travaille également pour Kollektor, une technologie de traçage de morceaux de musique sur les radios, « l’un des seuls postes, avec les concerts et le merchandising, sur lequel le musicien peut encore se rétribuer ». C’est peu dire qu’il ne croit pas fort dans le modèle streaming, tel que proposé aujourd’hui. L’éventualité de voir les différentes propositions (CD, téléchargement légal, streaming) cohabiter harmonieusement? Il parle plutôt de « cannibalisation ». « Le business model de Spotify est parfait. Pour eux. Et pour les amateurs de musique. Mais il ne résout aucun des problèmes des créateurs et autres ayant-droits. La manière dont ils sont rétribués est honteuse. » A 0,02 euros l’écoute -le chiffre le plus couramment cité, les contrats passés par les labels restant très opaques, au grand dam des artistes eux-mêmes parfois-, il faut en effet déjà ramener pas mal de monde avant de pouvoir rassembler des revenus conséquents. Sur son blog, l’artiste norvégien Ugress a fait ses comptes: son dernier album devra être joué 600 fois sur Spotify avant de lui rapporter la même somme qu’un download légal sur iTunes. Pour un morceau unique, il lui faudra 7 200 streaming pour l’équivalent d’un téléchargement…

CD not dead?

A terme, on peut imaginer que, le succès aidant, les plateformes de streaming seront en mesure de mieux rétribuer les artistes. En attendant, la machine continue de grincer. Certes, les revenus numériques augmentent -Google Music fait le forcing pour venir concurrencer iTunes sur le terrain du téléchargement légal, tandis que le Congrès américain projette de renforcer sa législation contre le piratage. Mais la vente de CD continue de dégringoler. Dans le pétrin financier depuis plusieurs années, EMI (Beatles, Coldplay, Gorillaz…) vient par exemple d’être absorbé par Universal. Il y a quelques semaines, un site spécialisé lâchait une autre bombe: les principaux labels mettraient un terme au support CD d’ici la fin 2012. Même si l’info apparaît peu crédible, elle n’est pas dénuée de tout fondement. Si le support CD ne va pas s’évaporer tout de suite, il devrait rapidement se réduire à 2 cas de figure: la formule minimaliste (packaging de base à prix plancher) d’un côté, et l’édition de luxe de l’autre avec emballage sophistiqué et bonus en pagaille. La bête bouge encore. Mais pour combien de temps?…

TEXTE KEVIN DOCHAIN ET LAURENT HOEBRECHTS

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